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  • J – 144 : Aujourd’hui j’ai vécu dans un film de science-fiction très étonnant, de la science-fiction proche, disons une période, très prochaine donc, où l’on viendrait tout juste d’inventer la téléportation. Un matin vous vous levez un peu plus tôt, et vous vous dires tiens aujourd’hui j’irai bien déjeuner en terrasse de seiches a la plancha sur les bords du Rhône à Arles. Nous sommes en décembre, ni une ni deux, vous montez dans un tube d’acier avec votre éditeur et vous voilà propulsé en un tour de main sur la place du forum, mais une drôle de place du forum pas du tout celle que vous connaissez pour être l’endroit de la récompense partagée avec Madeleine après avoir visité au pas de charge les soixante expositions de photographies des Rencontres Internationales de la Photographie à Arles, en une seule journée, une bonne glace triple boules pour Madeleine, une simple pour vous chez Casa mia, une place du forum noire de monde et envahie par les terrasses concurrentes de tous les restaurants de la place, non, une place déserte, on pourrait presque y jouer au toucher (rugby sans placage, pour défendre vous devez toucher le porteur du ballon des deux mains, touché ! et il doit poser le ballon par terre), de même dans les petites rues inondées d’un soleil rasant et sur les murs desquelles ricoche un petite bise fraîche et pas un bruit dans les rues dont les magasins arborent dans les vitrines de surprenantes processions de santons — les santons élément indispensable à tout récit de science-fiction qui se respecte.

    La téléportation n’en est qu’à ses débuts, l’effet n’est pas immédiat, mais une conversation à rompre du bâton avec votre éditeur et c’est vraiment le sentiment que la Bourgogne et la vallée du Rhône ont été rayées de la carte par du givre et du brouillard et donc traversées dans un clignement d’œil. Et le changement subreptice de décor dans les rues familières d’Arles vous laisse à penser qu’en plus de téléportation il y a potentiellement eu voyage dans le temps ce qui vous est confirmé en visitant l’intérieur d’une maison où chaque bout de ficelle dans une boîte est à sa place, et cela depuis deux cents ans, un arrière-arrière-grand-père a même son portrait photographique des années 60 du dix-neuvième siècle qui trône, non pas sur le manteau d’une cheminée mais sur une pile de livres d’un autre âge celui des années septante mais, cette fois, les années septante du vingtième siècle. Vous avisez même les tranches de quelques collections de polar de cette époque dont vous jureriez disposer de quelques exemplaires des mêmes, eux serrés, dans les rayonnages de votre propre maison de famille, dans les Cévennes, à deux heures de route, plus au Nord donc.

    Arrive une heure fatidique, celle qui a motivé l’effet balbutiant, mais réussi, de téléportation, vous pénétrez dans le hall d’un hôtel de luxe assez minable, pensez les décorations intérieures ont été confiées à une petite frappe locale, c’est kitsch et draperies nouveaux riches à tous les étages, rendez-moi vite la poussière des rayonnages de la vieille maison de famille arlésienne, on vous fait patienter dans la cour carrée d’un ancien cloître, vous en profitez pour chiper quelques feuilles de sauge dans les parterres au cordeau et puis on vous appelle et vous pénétrez dans une grande pièce de salon, les représentants commerciaux de votre éditeur-distributeur-diffuseur — je n’ai pas entièrement suivi les explications ferroviaires de mon éditeur — sont fort polis et une trentaine de bonjours anisochrones vous viennent aux oreilles.

    Vous avez dix minutes.

    Le livre dont on vous demande de parler, il vous a fallu une bonne douzaine d’années pour l’écrire, puis pour l’oublier, pour le réécrire, puis le relire, le corriger, le réécrire, le relire et le corriger à nouveau encore et encore. Vous avez dix minutes qui connaissent le même phénomène d’accélération que lors de la téléportation et vous laissent finalement chancelant sur les bords du Rhône pour une dernière promenade avant d’attraper le téléporteur du soir, la lumière du couchant en hiver sur le fleuve est orgiaque, rien à voir avec cette matraque froide du plein jour en été, là où vous photographiez, chaque année ce coude que le Rhône fait, tel une génuflexion devant la majesté du musée Réattu.

    Dans le train, vous lisez la fin de Je Paie d’Emmanuel Adely. Le soir en arrivant chez vous, dans le Val de Marne, donc pas exactement limitrophe des Bouches du Rhône, vous trouvez dans votre boîte aux lettres le deuxième tome du Journal d’une crise que votre ami Laurent Grisel vous a envoyé, et vous constatez, amer, que le matin même vous aviez oublié de refermer la fenêtre de votre chambre en partant, la chambre est parfaitement ventilée certes, mais glaciale, comme la maison des Cévennes quand on la rouvre à Pâques après l’hiver.

    Exercice #50 de Henry Carroll : Faites de l’exposition une métaphore

    #qui_ca
    #une_fuite_en_egypte

  • J – 172 : Entendu, je ne suis plus où, cette phrase : plus rien n’est comme avant nulle part.

    Exercice #31 de Henry Carroll : Liste d’occasions manquées en photographie

    Tel carrefour des beaux quartiers de Madrid le 31 décembre, nous allons écouter les douze coups de minuit à la puerte del Sol avec nos douze grains de raisin, j’ai déjà fait plus de sept cents photographies dans la journée, notamment du demi marathon déguisé, mais aussi à la fondation Thyssen, je décide de laisser mon appareil photo à l’hôtel, au carrefour, une femme élégamment habillée, façon années 30 presque fume sous l’auvent de son hôtel et son éclairage, le reste de la rue est désert. On dirait un tableau d’Edward Hopper.

    Telle rue de New York en septembre 1987, un nain discute avec un homme qui est en pleins travaux de voirie et partiellement descendu dans une bouche d’égout, les deux hommes ont le visage à la même hauteur. Le nain me voit il est furieux, je n’ai pas eu le temps de prendre la photo, je baisse mon appareil en m’excusant.

    Telle petite rue de Cady, juin 1987, avec Daphna, nous sommes descendus en train et nous cheminons ver sla maison de son père, je prends des photos de toutes sortes de choses, soudain le corps nu d’une femme apparait à une fenêtre pour fermer les volets, cela sent l’envie pressante de faire l’amour, je suis subjugué par la poitrine de la femme et oublie de prendre en photo son bras qui dépasse de la fenêtre.

    Telle rue de Fontenay, un matin en allant au travail, c’est l’été, 2016, grand beau temps, lumière du matin sur toute une façade d’immeuble, toutes les fenêtres renvoient un reflet noir à l’exceptiuon d’une seule de laquelle est penchée une femme qui téléphone, c’est comme si elle parlait à tout le monde.

    Lac des Minimes, Bois de Vincennes, hiver 2007 soudain un cygne prend son envol, la lumière est sombre, je pense que cela ira trop vite et qu’il n’y a pas assez de lumière, je regrette de n’avoir pas au moins tenté un filé.

    Telle photographie érotique, je n’étais pas à ce que je faisais.

    Toutes, ou presque, mes photographies des Etats-Unis, parties avec l’inondation du garage.

    #qui_ca