• Quand le chef de la DGSE dévoile le double discours de l’Etat

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    M. Bajolet dévoile que la structure chargée, en France, des interceptions de sécurité n’était pas aussi « neutre » qu’on le croyait

    Un espion, même gradé, peut livrer des secrets sans s’en rendre compte. Par excès de confiance, souvent, il fera, d’un coup, le bonheur de son auditoire, heureux de découvrir une réalité jusque-là cachée. C’est la mésaventure qui vient d’arriver à Bernard Bajolet, chef de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), dans un entretien accordé à la revue Politique internationale dans son numéro d’automne 2016.

    Soucieux de montrer que la formidable puissance de surveillance dont dispose son service est assortie d’un contrôle adéquat, M. Bajolet fait état d’un argument qui semble, à ses yeux, en mesure d’écarter tout soupçon. Il se félicite ainsi que le groupement interministériel de contrôle (GIC), qui centralise, en France, toutes les interceptions administratives pour les services de police et de renseignement, ait « rompu le cordon ombilical avec la DGSE » en 2016. Il explique : « La situation est à présent plus claire et plus saine, les membres du GIC, y compris son chef, étaient rattachés pour leur gestion administrative à la DGSE (…). Je ne leur donnais aucune instruction mais j’étais statutairement leur responsable administratif : c’était une situation anormale. Il est plus logique qu’ils soient complètement indépendants de la DGSE et rattachés aux services du premier ministre. »

    Cette déclaration ne manque pas d’étonner. Dans son rapport en 2014, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), autorité indépendante, devenue fin 2015 la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, vantait encore les vertus du GIC : « Cette centralisation des moyens d’écoute, placés sous l’autorité du premier ministre et confiés à un service technique neutre, puisqu’il n’est pas en charge de l’exploitation du renseignement et des enquêtes, a été considérée par le législateur comme une garantie fondamentale pour la protection des libertés publiques. Elle offre une séparation claire et solide entre “l’autorité qui demande” issue d’un des trois ministères habilités, (…) et le service qui met en œuvre les moyens d’interception : le GIC. »

    Garantie essentielle au bon fonctionnement démocratique des institutions en charge du recueil du renseignement technique, cette clause de neutralité n’était donc pas remplie depuis… 1991, date de la première loi sur les interceptions administratives qui créa, dans la foulée, la CNCIS. Le GIC, lui, existait, en secret, depuis 1960, et servait les intérêts du pouvoir en place jusqu’à ce qu’il soit officialisé en 1991. Sans le vouloir, M. Bajolet nous a rappelé qu’il fallait toujours se méfier des apparences.