• photographie de Karen Savage (http://www.savagemartin.net

    J – 165 : En chemin vers le cinéma, je suis accosté par un géant - un homme qui devait bien me rendre une tête, je ne suis pas exactement un petit homme - qui me demande son chemin et de l’aider à le rejoindre, il cherche la bouche de métropolitain, mais mal voyant, presque aveugle lâche-t-il, et son téléphone qui lui sert habituellement de guide n’ayant plus de batterie - je lui conseillerais volontiers de prendre contact avec l’école des chiens guides d’aveugle à Saint-Mandé, plus ou moins en face du rocher du zoo de Vincennes, plus besoin de batterie - il est perdu.

    Mais avec plaisir, vous n’êtes plus très loin. Est-ce que je peux vous prendre par le bras ?

    Curieux attelage que le nôtre un vieux type obèse et armoire à glace qui est bras dessus bras dessous avec un géant dont la fixité du regard n’est pas flagrante, je vois bien que les passants se demandent quel genre de couple incertain nous formons, et je ne doute pas une seule seconde que dans l’esprit de beaucoup je dois passer pour un vieil arthritique (ce que je suis) escorté par un assistant de grande taille (eut égard à mon gabarit, arthritique certes, mais pas exactement vouté ni bossu).

    Tandis que nous faisons chemin, mon géant aveugle m’explique que sa perception des lieux est aggravée par la nuit, l’éclairage public, les sols réfléchissants et les jours de pluie, je lui explique que le cumul est complet, nous marchons sur les pavés lisses du nouveau centre-ville, il fait nuit, quelques éclairages jettent des éclats de lumière sur les pavés lustrés par la pluie, encore que je ne lui dise pas les choses de cette manière. De même il se lamente que cela fasse une heure qu’il est égaré et que personne ne répond à ses demandes en aide.

    Oui, parce que j’ai oublié de préciser le contexte de cette histoire. L’histoire se passe en 2016, dans un petit pays gris et raciste, la France. Aussi je risque une plaisanterie à mon géant, ben c’est un peu de votre faute aussi, si vous étiez un vieil homme blanc comme moi aux cheveux blancs comme les miens, toutes les jeunes femmes de la place se seraient mises en quatre pour vous venir en aide, alors que Noir comme vous êtes…

    Un grand sourire barre la bouche de mon géant aveugle : ah bon je suis Noir ?

    Oui, et je pense que vous avez déjà entendu du Ray Charles, et on se marre tous les deux d’un bon rire, je le dépose à la bouche de métro, nous nous serrons la main et juste avant qu’il n’avance je le rattrape par le bras, excusez-moi, j’ai oublié de vous dire, je vous laisse en haut des marches. Quel idiot je fais !

    Je ne suis pas raciste donc, prêt à aider mon prochain, mais parfois je manque un peu de jugement.

    Exercice #36 de Henry Carroll : Photographiez un banc public. Sur la page ci contre donnez-lui un titre qui change radicalement le sens du cliché

    La légende de cette image est un peu longue :

    http://www.desordre.net/bloc/contre/novembre/pages/090_2017.htm

    #qui_ca