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    • On a, somme toute, très envie d’y croire. Et si, grâce au recyclage, notre mode de vie occidental devenait tout à coup soutenable, et surtout généralisable ? Ce scénario optimiste, très largement véhiculé de manière implicite ou explicite, est malheureusement irréaliste et potentiellement néfaste. Il agit comme un écran de fumée, à trois niveaux différents que nous nous proposons de décrire dans cet ouvrage. C’est tout d’abord la communication volontariste sur le geste de tri, qui masque les nombreuses autres limites et difficultés du système de recyclage actuel, liées aux choix d’entreprises productrices de biens et d’emballages qui n’assument pas complètement leur « responsabilité élargie ». C’est ensuite le mythe du recyclage à l’infini, utilisé comme un leurre pour éviter toute remise en question sérieuse d’activités économiques surconsommatrices et surproductrices de déchets. C’est, enfin, l’idée trompeuse que le recyclage nous permettrait de rompre avec l’économie linéaire.

      En réalité, le recyclage se nourrit du jetable et contribue à perpétuer son utilisation.

      Et on en vient à se demander si :
      - le recyclage n’est pas un sous-extractivisme inclus dans l’extractivisme, où la matière première est « déchet » d’un produit manufacturé ayant consommé de la matière extraite en premier lieu pour la fabrication de ce produit marchandise.
      - si le vrai « bilan carbone » (émission de gaz à effet de serre) ne viendra pas s’ajouter aux émissions en première intention pour la fabrication initiale de la marchandise produite et conditionnée industriellement.
      – la valorisation n’est pas, elle aussi soumise aux « lois du marché » quand le coût d’extraction de la matière première utilisée pour « produire » est plus bas que celui d’un éventuel recyclage.

      https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/recycler-pollue-t-il-620477.html
      (vieil article de janvier 2016) :

      L’étude souligne néanmoins que la manière la plus immédiate de rendre visible cet impact serait de donner un vrai prix au carbone qui, prenant en compte les externalités, permettrait de « rééquilibrer les systèmes économiques et écologiques ». Cela permettrait également de redonner un coup de pouce à l’industrie du recyclage qui, malgré sa contribution directe à la création d’emplois non délocalisables (en grande majorité en CDI), traverse en ce moment en France une crise, essentiellement due à la baisse du coût des matières premières vierges et préjudiciable à la transition énergétique.

      D’aucuns diraient que la « nature » se chargera de corriger le problème. C’est rigolo, cette façon de voir la « nature ». Alors que ce sont les oligarchies de nos sociétés productivistes et consuméristes qui, par leurs choix, ont impacté et corrompu notre environnement dit « naturel » mais surtout social.

  • « Il est urgent d’ouvrir le débat sur les finalités de la police »
    https://usbeketrica.com/article/il-est-urgent-d-ouvrir-le-debat-sur-les-finalites-de-la-police

    Vous avancez l’idée que cette #violence croissante de la #police marque aussi l’avancée du #néolibéralisme. Quel lien peut-on établir entre entre le néolibéralisme et les violences policières ?

    Il est important de montrer le mécanisme précis qui lie l’un à l’autre. Le fonctionnement des États modernes repose sur deux piliers : le #consentement et la #force. Il y a toujours un mélange et un équilibre entre les deux, qui permet en quelque sorte à l’État de se reproduire en dépit des changements de gouvernements. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en France, on a d’abord eu une période où cet équilibre fonctionnait : c’est ce qu’on appelé les Trente Glorieuses, et il y avait alors un consentement assez fort à l’ordre établi, notamment grâce à la sécurité sociale et à un minimum qui permettait à tout le monde de vivre relativement confortablement. Vous n’aviez pas seulement un confort matériel, mais aussi la perspective concrète que, dans un futur proche, les choses allaient s’améliorer pour vous, ce qui créait un consentement fort.

    « L’arme non létale est le remède technologique parfait pour ne pas affronter le problème de manière politique »

    Cet équilibre a été bouleversé par l’avènement du néolibéralisme dans les années 1970-1980, puisque le projet de cette doctrine est d’aboutir à une nouvelle forme de répartition des richesses. Il s’agit d’un changement d’époque fondamental, qui repose sur l’idée que les riches doivent devenir plus riches : depuis, les #inégalités augmentent précisément dans ce sens. Cette nouvelle période néolibérale creuse les inégalités et affaiblit le consentement de la population, ce qui pousse l’État à intervenir de plus en plus par la force. Sauf qu’il fait face à une contradiction : s’il utilise la force, il affaiblit encore plus le consentement de la population. Cela génère donc un potentiel de #contestation encore plus important.

  • Nous sommes plus que des végétariennes zéro déchet
    https://usbeketrica.com/article/nous-sommes-plus-que-des-vegetariennes-zero-dechet

    L’année dernière, j’ai participé à un débat passionnant sur l’instauration d’une dictature verte pour sauver la planète. Un jeu de rôle amusant pour évoquer des questions sérieuses. Alors que les échanges se font intenses, le cœur battant et les joues rouges, je m’élance : « Bonjour, je constate que nous sommes en parité, que ça fait 45 minutes qu’aucune femme n’a pris la parole et qu’il n’y a eu aucune rapportrice des groupes d’échanges. Ça me permet donc de poser ma question : quelle place pour les femmes dans cette dictature verte que nous sommes en train d’imaginer ? Doit-on pousser une dictatrice ? ».

    Je reçois quelques regards de soutien des filles de l’audience, quand le facilitateur me répond : « C’est une très bonne question mais ce n’est pas le sujet, donc je vais prendre une autre question ». Bon. Il revient me voir à la fin du débat et me dit, tout sourire : « J’espère que tu ne l’as pas mal pris, hein, je suis à fond pour l’égalité homme-femme ». Moi : « Non, bien sûr, mais ça m’intéresse dis-moi : pourquoi c’est pas un sujet ? ». Lui : « Non mais c’est pas que c’est pas un sujet, c’est juste que c’est pas la priorité ». Ah.

  • « La décentralisation sert de réponse magique à chaque crise »
    https://usbeketrica.com/article/decentralisation-reponse-magique-crise

    Ce qu’elles ont en commun, c’est que ce sont des représentations qu’on offre à l’opinion publique pour lui faire croire qu’elle peut s’attendre à des jours meilleurs. Avant, on nous expliquait que la mondialisation provoquait certes des problèmes comme la désindustrialisation ou le dumping social et environnemental, mais qu’après une période d’ajustement, elle bénéficierait à tout le monde : les normes sociales étaient censées s’équilibrer et être relevées dans les pays à bas coût de main d’œuvre, l’optimisation de la production allait rendre tout le monde gagnant, on allait avoir des économies d’échelle dans les processus de fabrication, on gagnerait en pouvoir d’achat… On entendait cela il y a 20 ou 30 ans, mais aujourd’hui plus personne n’y croit. Des personnes sont effectivement sorties de l’extrême pauvreté dans les pays du Sud, mais le prolétariat des pays à bas coût de main d’œuvre reste toujours largement sous-payé, avec une pression sur l’environnement terrible. Et le chantage aux délocalisations fait qu’on continue, par ailleurs, à mettre la pression sur les salariés dans les pays du Nord sans arriver à contraindre les entreprises à respecter les règles environnementales.

    Il faut donc trouver une autre perspective pour un futur un minimum désirable… et les options ne sont pas nombreuses : soit on démondialise à travers une politique de rupture avec les mécanismes de la mondialisation ; soit on préserve les fondements de la mondialisation en « donnant le change » avec autre chose. C’est ce qui se passe aujourd’hui : cette autre chose, c’est le localisme. Il s’agit d’affirmer que l’économie mondiale ne peut pas être changée du jour au lendemain mais qu’on peut, en revanche, faire des petites choses différemment au niveau local. Ce discours s’appuie certes sur une réalité, car on a effectivement des actions possibles en matière de cadre de vie, d’investissement politique local ou de circuits courts alimentaires, mais ce sont des exceptions à une règle de libre échange qui reste basée sur le productivisme et la division internationale du travail.

  • « L’écosocialisme peut nous sortir du consumérisme effréné »
    https://usbeketrica.com/article/ecosocialisme-sortir-consumerisme-effrene-daniel-tanuro


    En résumé  : le capitalisme est l’ennemi de la vie.

    Dans une interview donnée au journal Le Monde le 5 juin, Patrick Pouyanné, le PDG de Total, explique miser sur les technologies de capture de CO2 et réfute la possibilité de diviser par deux les émissions mondiales d’ici 2030. Les émissions du groupe pétrolier « ne baisseront pas d’ici 2030, car la demande ne baissera pas à cet horizon », dit-il. Cette dilution des responsabilités entre l’offre et la demande est-elle selon vous au cœur du problème ?

    Dire que l’offre ne fait que répondre à la demande est complètement fallacieux. Les pétroliers font face à une réalité qui est que pour respecter l’accord de Paris, il faudrait laisser 4/5e au moins des réserves connues dans le sous-sol. Or, celles-ci figurent déjà à l’actif de ces entreprises. Ne pas les exploiter reviendrait donc à détruire du capital, et ces messieurs ne sont pas prêts à se résoudre à cela. Ils sont pris dans un gigantesque engrenage par des investissements de moyen et long terme : la construction de chaînes logistiques, de pipelines, de tankers, de centrales électriques, tout cela ne se rentabilise qu’en 30 ou 50 ans, y renoncer serait une perte considérable. Ils veulent donc repousser l’échéance au maximum. Il faut le marteler dans l’opinion : ces gens-là sont prêts à sacrifier l’équilibre écologique dont l’humanité dépend sur l’autel de la sauvegarde de leurs profits.

    Mais les réticences à agir ne viennent-elles pas aussi du fait que nous avons tous à perdre dans l’éclatement de cette « bulle du carbone » ? Si ces investissements deviennent des « actifs échoués », obsolètes, les pertes de milliers de milliards de dollars potentielles pourraient provoquer une crise financière majeure et affecter la population bien au-delà de l’industrie du carbone...

    Évidemment, dans le cadre du système capitaliste basé sur l’exploitation de la force de travail comme marchandise, la crise économique qui résulterait des mesures climatiques à la hauteur du défi se solderait par une crise sociale de très grande ampleur. Il faut donc sortir de la logique capitaliste, exproprier ces groupes pétroliers, socialiser la production d’énergie et le secteur financier qui continue de financer ce secteur fossile. L’urgence est extrême et tant qu’on ne change pas de système, on continue dans cette fuite en avant qui aura un effet boomerang terrible. Il faut une transformation très profonde du système économique, remplacer la logique de production de marchandises pour le profit par une logique de production pour les besoins humains réels. Je suis conscient que ce que je dis peut paraître utopique et hors d’atteinte, mais je ne vois rationnellement aucun autre moyen de procéder.

    #écologie #socialisme #capitalisme #profitation

    • #effondrement (récit de l’) Me fait penser à une BD publiée chez Adrastia où tu vois une tribu de « djeunes gens » prêt à se barrer de la ville en mode chacun pour sa gueule et tant pis s’il faut écraser celle des autres et dont le but ultime est d’aller se réfugier quelque part dans la France sauvage pour s’initier à la #résilience ...

      Mais on peut les pardonner : il vaut mieux sacrifier un peu d’urbanité en remplaçant son verre de vin en terrasse par du jus de pomme mal filtré consommé dans une grange poussiéreuse plutôt que de faire société avec des gueux mal éduqués.

    • Ils sont designer, créateur sonore, directrice d’école dans l’enseignement supérieur ou encore entrepreneuse dans l’économie sociale et solidaire.

      Il faut bien ça pour pouvoir dire :

      Pour moi, cette crise est une réminiscence : ce sentiment qu’on contrôle sa vie et que d’un coup, tout s’écroule. Je n’ai pas envie de revivre ça.

      Le meilleur est pour la fin : est-ce que ces gens dans la force de l’âge ont des projets de développement local, solidaire et écologique, des activités de subsistance (agriculture, transformation alimentaire, artisanat et réparation) pour le pays dans lequel ils vont vivre et travailler ? Non, ils vont vivre avec la béquille technologique plutôt que dans leur milieu ! Des salaires toulousains et de grands maisons campagnardes !

      Une fois installé, il télétravaillera, sa profession de créateur sonore le lui permet. Pour les autres, des choix sont encore à opérer mais aucun ne compte rompre totalement avec la métropole.

      #survivalisme_chic #écologie_des_riches #écovillage #transition #transition_et_bourgeoisie

    • Via le géographe Matthieu Adam sur Twitter.

      (3) Lettre d’une néorurale aux candidats à l’exode urbain - Libération
      https://www.liberation.fr/debats/2020/05/12/lettre-d-une-neorurale-aux-candidats-a-l-exode-urbain_1787941

      Vous qui rêvez de la campagne, plus seulement pour un week-end, mais pour un véritable projet de vie. On vous attend !

      Lui tourner le dos est un acte de résistance, de réappropriation de nos vies, de notre futur, de l’avenir de nos enfants.

      Quitter la ville, se libérer de la publicité, du coût exorbitant du foncier qui oblige à toujours plus travailler pour pouvoir vivre dignement.

      L’exode urbain 2020 sera à l’image de la génération qui fera ce choix : connectée, ouverte, en quête de sens et de lien.

      Il y a de la place dans les maisons vides, mais aussi et surtout dans le cœur de celles et ceux qui font nos territoires. Si vous saviez combien nous avons besoin de vous !

      « Vivre à la campagne, c’est sortir d’un système qui n’est bon pour personne »
      https://usbeketrica.com/article/vivre-a-la-campagne-c-est-sortir-d-un-systeme-qui-n-est-bon-pour-person

      Plus des trois-quarts des Français habitent aujourd’hui en ville : cette répartition pourrait-elle basculer dans les années à venir, et mener une vague de néo-ruraux en direction de la campagne, portés par la crise économique, la flambée des prix de l’immobilier, les températures caniculaires en ville - Paris aura en 2050 le climat de Canberra - des aspirations en adéquation avec l’urgence climatique, ou tout simplement la banalisation du télétravail ?

      Originaire du Havre, ancienne conseillère politique après des études à Sciences Po Lille, Claire Desmares-Poirrier est engagée depuis dix ans dans le développement d’une ferme bio et d’un café-librairie en Bretagne, à Sixt-sur-Aff, une commune de 2 000 habitants. Avec son compagnon, elle produit des plantes aromatiques et médicinales en agriculture biologique, et des tisanes gastronomiques. Elle publiera en août prochain ce qu’elle espère être un « appel à l’action » : un essai aux éditions Terre Vivante intitulé Exode urbain, Manifeste pour une ruralité positive.

      Elle a quand même l’air de faire quelque chose de ses mains.

    • Pour compléter : les inénarrables aventures de « Nours » & « Plüche » par Bruno Isnardo et Eva Roussel, deux étudiants lyonnais contaminés par les récits de l’effondrement des Servigne et consorts.
      https://bdtoutvabien.tumblr.com/leprojet

      Nours & Plüche sont les petits surnoms que se donnent, entre eux, nos deux héros, avatars des auteurs.
      Plüche est illustratrice et travaille sur un projet de BD, Nours est menuisier et travaille en parallèle sur des projets d’écriture et de photographie. Tous les deux sont fusionnels et vivent heureux et modestement.
      Mais en ce début d’année, l’équilibre économique mondial commence à s’effriter sérieusement et nos deux personnages, habitants d’une grande ville et loin d’être autonomes, vont subir ce qui se révèlera être la plus grande crise économique que l’Histoire ait connue.

      Le lien chez Adrastia :
      http://adrastia.org/tout-va-bien-enfin-ca-va-aller

      Les deux auteurs lyonnais, après avoir découvert l’effondrement, décident de réagir en écrivant cette bande dessinée. Ils cherchent à répondre aux deux questions qui les obsèdent : si ça arrive demain, on fait quoi ? Comment on aborde le sujet avec les gens sans passer pour des fous ?

    • Commentaire à la lecture de l’autre #saloperie de Libé (le journal des CSP+ néoruraux) relayé par @antonin1 depuis le compte Twitter de Matthieu Adam, géographe :
      Quand la gentrification s’exile aux champs : vivre à la campagne, oui, mais avec la fibre et du haut-débit (et des écoles Montessori privées parce que, hein, faudrait pas que notre progéniture se mélange avec les petits bouseux du coin).

  • Comment la file d’attente est devenue en enjeu marketing
    https://usbeketrica.com/article/comment-la-file-d-attente-est-devenue-un-enjeu-marketing


    Personnellement, je pense que la file d’attente est consubstantielle au #capitalisme, qui dans un contexte d’inégalités exponentielles, règle à peu près tous les problèmes de #rareté de cette manière (Pôle Emploi en est le parfait exemple).
    Ce qui est cocasse quand on pense que la file d’attente était utilisée comme symbole repoussoir du soviétisme.

    Selon une étude Valtech, 70% des individus ont tendance à abandonner leurs envies de shopping face aux longues files qui envahissent les trottoirs. Ces mêmes personnes se tourneront davantage vers des boutiques en ligne (56%), à condition qu’elles proposent les retours gratuits et le remboursement immédiat. Le Covid-19 vient donc renforcer le basculement déjà amorcé du physique vers le digital. Dans un tel contexte, l’expérience en boutique - et à l’abord des boutiques - devient un enjeu vital pour le commerce physique.

    • Ça m’a fait penser qu’au bout de trois semaines je n’ai pas réussi à acheter un mixer chez Conforama avec leur système rayons vides > tu commandes sur Internet > tu viens retirer ton produit. Ça faisait deux jours que j’oubliais d’annuler ma commande suite au conseil dépité du vendeur : il est sur la machine mais je l’ai pas en dépôt, prochaine commande dans 2-3 semaines, je vous conseille d’annuler. (Je crois que Conforama a un gros problème informatique, ils sont obligés d’appeler les gens au téléphone pour gérer derrière les commandes.)

      Mais tu peux aussi acheter sur la Market Place, des vendeurs chelou qui t’enverront ce qui les arrange et tu mettras 8 mois à te faire rembourser la tablette « reconditionnée à neuf » pleine de rayures sur la coque et l’écran.

      Que la #vente_en_ligne soit une arnaque, c’est une chose. Mais c’est devenu obligatoire à cause des stratégies commerciales des enseignes avec les rayons vides (autre figure soviétique !) qui t’obligent à acheter en ligne. J’hésite vraiment à m’acheter un mixer moins cher (mais vraiment moins bien) à la droguerie du vieil Arabe sympa du quartier.

      #monopole_radical

    • Pour revenir à l’article, c’est super anxiogène de ne pas savoir combien de temps ça va prendre et si on va devoir se battre pour conserver sa place.

      Enfin, la question épineuse de la justice est traditionnellement résolue par ce que l’on appelle la file en serpentin, bien connue dans les aéroports notamment (Wendy’s, American Airlines et Citibank s’en réclament les inventeurs). Si elle n’est pas nécessairement plus rapide que plusieurs files parallèles, elle offre une certaine sérénité d’esprit : pas une seule personne arrivée après moi ne sera servie avant moi !

      J’ai attendu un jour trois heures debout dans une foule qui jouait des coudes pour un visa pour la Serbie en 2000, j’en garde un souvenir pas très charmant !

      Capture d’écran de l’application Fila Indiana, qui indique en temps réel la durée des files d’attentes des supermarchés en période de pandémie

    • Je cherche batteur-mixer-hachoir trois en un... Finalement, comme c’est bientôt mon anniv, je laisse une copine m’en offrir un et je fais comme les trois singes.

      Mais je suis super en colère contre la vente en ligne. D’abord c’est une exclusion de plus pour la minorité de gens qui n’ont qu’un smartphone (20 % environ). Et les droits des consommateurs y sont bafoués. J’ai acheté une tablette sur la Market Place (c’est des vendeurs indépendants qui versent une com au site) de Darty.com :
      –première tablette ne s’allume pas, 2 mois de négo et 10 mails, envoi de 2 chargeurs qui ne règlent pas le problème, au final autorisation de débourser 12 euros pour le renvoyer ;
      –deuxième tablette (reconditionnée à neuf) visiblement malmenée pendant longtemps, coque et écran bien rayés (reste même des gommettes sur la coque), au bout encore de 2 mois de négo et de 10 mails je peux faire compenser la valeur deux fois moindre (!) du produit reçu (mon estimation sur LeBonCoin.fr) par des accessoires, à la discrétion du vendeur.

      Je fais intervenir un médiateur de justice (il y en a un dans chaque mairie, un monsieur retraité bénévole versé en droit) qui leur propose une négo qu’heureusement ils acceptent (leur refus ne leur aurait pas été reproché devant un tribunal, c’est dire si le dispositif est efficace). Ils me proposent un énième renvoi à mes frais à 12 euros et une énième surprise. Je refuse, ils finissent par céder. Restent à ma charge 24 euros de renvois pour un produit de 140 euros (les deux produits ne correspondaient pas à mon achat, en vrai je n’aurais rien dû payer) et le vendeur me fait fuck.

      Cet éloignement entre vendeur et consommateur laisse la place à tous les abus, c’est très dur de s’en sortir. Un copain commande un truc avec 2 ans de garantie, sur la facture c’est 6 mois. Les 2 ans devaient être une hallucination visuelle. J’avais vraiment eu du nez de faire une capture d’écran lors de l’achat ("tablette reconditionnée à neuf") parce que sur la facture ils signalaient déjà la présence possible de « traces » sur l’écran. C’est une #escroquerie qui profite de l’éloignement parce que personne ne s’achèterait une tablette « reconditionnée à neuf » en mauvais état extérieur. Et que chaque renvoi coûte !

      J’en parle parce que ça m’a pourri 8 mois de ma vie, ce conflit, ce mail hebdo auquel répondre sans trop m’énerver. (Certaines fois je demandais à des ami·es de me les lire tellement ça me rendait malade.) Et parce que, comme dit Keucheyan dans Les Besoins artificiels, c’est une nouvelle victoire du capitalisme, un nouveau défaut d’encadrement de la part de la collectivité.

  • Roland Gori déconstruit le progrès... et la collapsologie
    https://usbeketrica.com/article/roland-gori-deconstruit-progres-et-collapsologie

    Dans son dernier essai, Et si l’effondrement avait déjà eu lieu ? (Les liens qui libèrent, 2020), le psychanalyste Roland Gori développe l’idée que le discours de l’effondrement relève de la croyance et oublie les fondamentaux de l’esprit critique qui ont mené aux progrès sociaux.

    Initiateur en 2018 de L’Appel des appels, lancé pour « résister à la destruction volontaire et systématique de tout ce qui tisse le lien social », infatigable pourfendeur des normes néolibérales, du new public management et de sa passion pour l’évaluation qui ne mesure jamais l’essentiel, Roland Gori est ce qu’on pourrait appeler un allié authentique du progrès social (au sens de progrès pour toutes et tous, à distinguer du « progressisme » visant à faire avancer des revendications particulières).

    À ce titre, les réserves que le psychanalyste exprime, dans son nouvel essai, contre la collapsologie ne s’inscrivent en rien dans une veine techno-solutionniste à la Laurent Alexandre et consorts, lesquels reçoivent d’ailleurs au passage quelques critiques acerbes de sa part. Non, Roland Gori veut plutôt nous secouer et nous montrer qu’un discours reposant sur de la croyance, de la spiritualité et une absence d’esprit critique n’est pas le chemin à suivre.

    [...] Et c’est là où le sous-titre du livre prend tout son sens : « L’étrange défaite de nos croyances » est un clin d’œil à L’étrange défaite de l’historien Marc Bloch, livre paru en 1940. Officier pendant la seconde guerre mondiale, Bloch ne décolérait pas contre la responsabilité partagée du commandement et du renseignement en amont du conflit, et contre le manque de concertation qui a poussé la France à capituler alors qu’elle pouvait encore combattre les nazis. Le livre ne cède pas à la tentation du point Godwin mais décortique plutôt notre abandon de l’idéal de progrès pour toutes et tous, et le fait que nous acceptons le joug progressiste qui réduit au strict minimum l’État social, comme si l’on attendait la libération de cet asservissement par l’effondrement...

    Roland Gori montre de façon très convaincante que le renoncement à un idéal n’est pas un projet de société et que nous devons retisser les contours d’un progrès social et écologique fort. Plus manuel de lutte contre un quotidien étouffant que manifeste politique, son essai permet de retrouver confiance dans l’existence d’un « après » vraiment différent de l’avant - ce qui n’est pas rien.

    [...] À propos de la propagande progressiste qui invente des découpages historiques artificiels pour raconter un progrès historique linéaire : « On reconnaît dans ce discours cette grande rhétorique de la séparation des temps qui, du même mouvement, invente les deux périodes qu’elle écarte : Moyen Âge et Renaissance » (l’historien Patrick Boucheron). Ou encore, à propos d’un possible effondrement (à l’époque à cause de la répression politique) : « Les questions de ce qui périra ou subsistera dans nos sociétés sont insolubles. Ce que nous savons d’avance, c’est que la vie sera d’autant moins inhumaine que la capacité individuelle de penser et d’agir sera plus grande » (la philosophe Simone Weil).

    #collapsologie

  • Oeuvrer à l’émergence d’un « autre numérique » est-il une impasse ?
    https://usbeketrica.com/article/oeuvrer-emergence-autre-numerique-est-il-impasse

    Il y a des livres qui vous font profondément réfléchir. C’est certainement le cas des livres les plus critiques à l’encontre des enjeux technologiques – et ils sont nombreux. Les arguments de ceux qui s’opposent à la numérisation sont bien plus pertinents et nécessaires que les arguments de ceux qui vous promettent du bonheur numérique ou qui continuent à soutenir que l’innovation technologique tient du progrès sans observer concrètement ses limites et ses effets délétères.

    Le nouveau livre publié par les éditions La lenteur – Contre l’alternumérisme (La Lenteur, 2020, 128p.), signé de l’étudiante en philosophie Julia Laïnae, membre des Décâblés, et de l’informaticien Nicolas Alep, membre de Technologos -, est assurément un livre qui interroge les arguments de ceux qui espèrent d’un autre numérique dont je suis. En cela, il est assurément nécessaire de nous y confronter.

    Comme le disait récemment Félix Tréguer : cela fait 40 ans qu’on nous propose de miser sur la transparence, l’auditabilité, l’éthique, la réglementation pour protéger nos libertés… sans y parvenir. Ce petit livre interroge les horizons politiques que nous avons à construire en commun. Nous invite à arrêter des machines. Reste à savoir si nous souhaitons toutes les arrêter ? Et si ce n’est pas toutes, lesquelles ? Il interroge nos possibilités d’actions qui effectivement se réduisent à mesure que le numérique innerve la société tout entière. Il nous adresse une question de fond : à défaut de ne pouvoir ou de ne devoir jamais peser sur les choix technologiques, devons-nous nous radicaliser plus avant ? Contre l’alternumérisme est un livre qui nous amène à douter, à interroger le numérique que nous défendons. Ce n’est pas une petite vertu !

    #Culture_numérique #Alternumérisme #Techno_critique

  • Covid-19, la #frontiérisation aboutie du #monde

    Alors que le virus nous a rappelé la condition de commune humanité, les frontières interdisent plus que jamais de penser les conditions du cosmopolitisme, d’une société comme un long tissu vivant sans couture à même de faire face aux aléas, aux menaces à même d’hypothéquer le futur. La réponse frontalière n’a ouvert aucun horizon nouveau, sinon celui du repli. Par Adrien Delmas, historien et David Goeury, géographe.

    La #chronologie ci-dessus représente cartographiquement la fermeture des frontières nationales entre le 20 janvier et le 30 avril 2020 consécutive de la pandémie de Covid-19, phénomène inédit dans sa célérité et son ampleur. Les données ont été extraites des déclarations gouvernementales concernant les restrictions aux voyages, les fermetures des frontières terrestres, maritimes et aériennes et des informations diffusées par les ambassades à travers le monde. En plus d’omissions ou d’imprécisions, certains biais peuvent apparaitre notamment le décalage entre les mesures de restriction et leur application.

    https://www.youtube.com/watch?time_continue=64&v=mv-OFB4WfBg&feature=emb_logo

    En quelques semaines, le nouveau coronavirus dont l’humanité est devenue le principal hôte, s’est propagé aux quatre coins de la planète à une vitesse sans précédent, attestant de la densité des relations et des circulations humaines. Rapidement deux stratégies politiques se sont imposées : fermer les frontières nationales et confiner les populations.

    Par un processus de #mimétisme_politique global, les gouvernements ont basculé en quelques jours d’une position minimisant le risque à des politiques publiques de plus en plus drastiques de contrôle puis de suspension des mobilités. Le recours systématique à la fermeture d’une limite administrative interroge : n’y a-t-il pas, comme répété dans un premier temps, un décalage entre la nature même de l’#épidémie et des frontières qui sont des productions politiques ? Le suivi de la diffusion virale ne nécessite-t-il un emboîtement d’échelles (famille, proches, réseaux de sociabilité et professionnels…) en deçà du cadre national ?

    Nous nous proposons ici de revenir sur le phénomène sans précédent d’activation et de généralisation de l’appareil frontalier mondial, en commençant par retrouver la chronologie précise des fermetures successives. Bien que resserrée sur quelques jours, des phases se dessinent, pour aboutir à la situation présente de fermeture complète.

    Il serait vain de vouloir donner une lecture uniforme de ce phénomène soudain mais nous partirons du constat que le phénomène de « frontiérisation du monde », pour parler comme Achille Mbembe, était déjà à l’œuvre au moment de l’irruption épidémique, avant de nous interroger sur son accélération, son aboutissement et sa réversibilité.

    L’argument sanitaire

    Alors que la présence du virus était attestée, à partir de février 2020, dans les différentes parties du monde, la fermeture des frontières nationales s’est imposée selon un principe de cohérence sanitaire, le risque d’importation du virus par des voyageurs était avéré. Le transport aérien a permis au virus de faire des sauts territoriaux révélant un premier archipel économique liant le Hubei au reste du monde avant de se diffuser au gré de mobilités multiples.

    Pour autant, les réponses des premiers pays touchés, en l’occurrence la Chine et la Corée du Sud, se sont organisées autour de l’élévation de barrières non-nationales : personnes infectées mises en quarantaine, foyers, ilots, ville, province etc. L’articulation raisonnée de multiples échelles, l’identification et le ciblage des clusters, ont permis de contrôler la propagation du virus et d’en réduire fortement la létalité. A toutes ces échelles d’intervention s’ajoute l’échelle mondiale où s‘est organisée la réponse médicale par la recherche collective des traitements et des vaccins.

    Face à la multiplication des foyers de contamination, la plupart des gouvernements ont fait le choix d’un repli national. La fermeture des frontières est apparue comme une modalité de reprise de contrôle politique et le retour aux sources de l’État souverain. Bien que nul dirigeant ne peut nier avoir agi « en retard », puisque aucun pays n’est exempt de cas de Covid-19, beaucoup d’États se réjouissent d’avoir fermé « à temps », avant que la vague n’engendre une catastrophe.

    L’orchestration d’une réponse commune concertée notamment dans le cadre de l’OMS est abandonnée au profit d’initiatives unilatérales. La fermeture des frontières a transformé la pandémie en autant d’épidémies nationales, devenant par là un exemple paradigmatique du nationalisme méthodologique, pour reprendre les termes d’analyse d’Ulrich Beck.

    S’impose alors la logique résidentielle : les citoyens présents sur un territoire deviennent comptables de la diffusion de l’épidémie et du maintien des capacités de prise en charge par le système médical. La dialectique entre gouvernants et gouvernés s’articule alors autour des décomptes quotidiens, de chiffres immédiatement comparés, bien que pas toujours commensurables, à ceux des pays voisins.

    La frontiérisation du monde consécutive de la pandémie de coronavirus ne peut se résumer à la seule somme des fermetures particulières, pays par pays. Bien au contraire, des logiques collectives se laissent entrevoir. A défaut de concertation, les gouvernants ont fait l’expérience du dilemme du prisonnier.

    Face à une opinion publique inquiète, un chef de gouvernement prenait le risque d’être considéré comme laxiste ou irresponsable en maintenant ses frontières ouvertes alors que les autres fermaient les leurs. Ces phénomènes mimétiques entre États se sont démultipliés en quelques jours face à la pandémie : les États ont redécouvert leur maîtrise biopolitique via les mesures barrières, ils ont défendu leur rationalité en suivant les avis de conseils scientifiques et en discréditant les approches émotionnelles ou religieuses ; ils ont privilégié la suspension des droits à grand renfort de mesures d’exception. Le risque global a alors légitimé la réaffirmation d’une autorité nationale dans un unanimisme relatif.

    Chronologie de la soudaineté

    La séquence vécue depuis la fin du mois janvier de l’année 2020 s’est traduite par une série d’accélérations venant renforcer les principes de fermeture des frontières. Le développement de l’épidémie en Chine alarme assez rapidement la communauté internationale et tout particulièrement les pays limitrophes.

    La Corée du Nord prend les devants dès le 21 janvier en fermant sa frontière avec la Chine et interdit tout voyage touristique sur son sol. Alors que la Chine développe une stratégie de confinement ciblé dès le 23 janvier, les autres pays frontaliers ferment leurs frontières terrestres ou n’ouvrent pas leurs frontières saisonnières d’altitude comme le Pakistan.

    Parallèlement, les pays non frontaliers entament une politique de fermeture des routes aériennes qui constituent autant de points potentiels d’entrée du virus. Cette procédure prend des formes différentes qui relèvent d’un gradient de diplomatie. Certains se contentent de demander aux compagnies aériennes nationales de suspendre leurs vols, fermant leur frontière de facto (Algérie, Égypte, Maroc, Rwanda, France, Canada, entre autres), d’autres privilégient l’approche plus frontale comme les États-Unis qui, le 2 février, interdisent leur territoire au voyageurs ayant séjournés en Chine.

    La propagation très rapide de l’épidémie en Iran amène à une deuxième tentative de mise en quarantaine d’un pays dès le 20 février. Le rôle de l’Iran dans les circulations terrestres de l’Afghanistan à la Turquie pousse les gouvernements frontaliers à fermer les points de passage. De même, le gouvernement irakien étroitement lié à Téhéran finit par fermer la frontière le 20 février. Puis les voyageurs ayant séjourné en Iran sont à leur tour progressivement considérés comme indésirables. Les gouvernements décident alors de politiques d’interdiction de séjour ciblées ou de mises en quarantaine forcées par la création de listes de territoires à risques.

    Le développement de l’épidémie en Italie amène à un changement de paradigme dans la gestion de la crise sanitaire. L’épidémie est dès lors considérée comme effectivement mondiale mais surtout elle est désormais perçue comme incontrôlable tant les foyers de contamination potentiels sont nombreux.

    La densité des relations intra-européennes et l’intensité des mobilités extra-européennes génèrent un sentiment d’anxiété face au risque de la submersion, le concept de « vague » est constamment mobilisé. Certains y ont lu une inversion de l’ordre migratoire planétaire. Les pays aux revenus faibles ou limités décident de fermer leurs frontières aux individus issus des pays aux plus hauts revenus.

    Les derniers jours du mois de février voient des gouvernements comme le Liban créer des listes de nationalités indésirables, tandis que d’autres comme Fiji décident d’un seuil de cas identifiés de Covid-19. Les interdictions progressent avec le Qatar et l’Arabie Saoudite qui ferment leur territoire aux Européens dès le 9 mars avant de connaître une accélération le 10 mars.

    Les frontières sont alors emportées dans le tourbillon des fermetures.

    La Slovénie débute la suspension de la libre circulation au sein de l’espace Schengen en fermant sa frontière avec l’Italie. Elle est suivie par les pays d’Europe centrale (Tchéquie, Slovaquie). En Afrique et en Amérique, les relations avec l’Union européenne sont suspendues unilatéralement. Le Maroc ferme ses frontières avec l’Espagne dès le 12 mars. Ce même jour, les États-Unis annonce la restriction de l’accès à son territoire aux voyageurs issu de l’Union européenne. La décision américaine est rapidement élargie au monde entier, faisant apparaitre l’Union européenne au cœur des mobilités planétaires.

    En quelques jours, la majorité des frontières nationales se ferment à l’ensemble du monde. Les liaisons aériennes sont suspendues, les frontières terrestres sont closes pour éviter les stratégies de contournements.

    Les pays qui échappent à cette logique apparaissent comme très minoritaires à l’image du Mexique, du Nicaragua, du Laos, du Cambodge ou de la Corée du Sud. Parmi eux, certains sont finalement totalement dépendants de leurs voisins comme le Laos et le Cambodge prisonniers des politiques restrictives du Vietnam et de la Thaïlande.

    Au-delà de ces gouvernements qui résistent à la pression, des réalités localisées renseignent sur l’impossible fermeture des frontières aux mobilités quotidiennes. Ainsi, malgré des discours de fermeté, exception faite de la Malaisie, des États ont maintenus la circulation des travailleurs transfrontaliers.

    Au sein de l’espace Schengen, la Slovénie maintient ses relations avec l’Autriche, malgré sa fermeté vis-à-vis de l’Italie. Le 16 mars, la Suisse garantit l’accès à son territoire aux salariés du Nord de l’Italie et du Grand Est de la France, pourtant les plus régions touchées par la pandémie en Europe. Allemagne, Belgique, Norvège, Finlande, Espagne font de même.

    De l’autre côté de l’Atlantique, malgré la multiplication des discours autoritaires, un accord est trouvé le 18 mars avec le Canada et surtout le 20 mars avec le Mexique pour maintenir la circulation des travailleurs. Des déclarations conjointes sont publiées le 21 mars. Partout, la question transfrontalière oblige au bilatéralisme. Uruguay et Brésil renoncent finalement à fermer leur frontière commune tant les habitants ont développé un « mode de vie binational » pour reprendre les termes de deux gouvernements. La décision unilatérale du 18 mars prise par la Malaisie d’interdire à partir du 20 mars tout franchissement de sa frontière prend Singapour de court qui doit organiser des modalités d’hébergement pour plusieurs dizaines de milliers de travailleurs considérés comme indispensables.

    Ces fermetures font apparaitre au grand jour la qualité des coopérations bilatérales.

    Certains États ferment d’autant plus facilement leur frontière avec un pays lorsque préexistent d’importantes rivalités à l’image de la Papouasie Nouvelle Guinée qui ferme immédiatement sa frontière avec l’Indonésie pourtant très faiblement touchée par la pandémie. D’autres en revanche, comme la Tanzanie refusent de fermer leurs frontières terrestres pour maintenir aux États voisins un accès direct à la mer.

    Certains observateurs se sont plu à imaginer des basculements dans les rapports de pouvoirs entre l’Afrique et l’Europe notamment. Après ces fermetures soudaines, le bal mondial des rapatriements a commencé, non sans de nombreuses fausses notes.

    L’accélération de la frontiérisation du monde

    La fermeture extrêmement rapide des frontières mondiales nous rappelle ensuite combien les dispositifs nationaux étaient prêts pour la suspension complète des circulations. Comme dans bien des domaines, la pandémie s’est présentée comme un révélateur puissant, grossissant les traits d’un monde qu’il est plus aisé de diagnostiquer, à présent qu’il est suspendu.

    Ces dernières années, l’augmentation des mobilités internationales par le trafic aérien s’est accompagnée de dispositifs de filtrage de plus en plus drastiques notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Les multiples étapes de contrôle articulant dispositifs administratifs dématérialisés pour les visas et dispositifs de plus en plus intrusifs de contrôle physique ont doté les frontières aéroportuaires d’une épaisseur croissante, partageant l’humanité en deux catégories : les mobiles et les astreints à résidence.

    En parallèle, les routes terrestres et maritimes internationales sont restées actives et se sont même réinventées dans le cadre des mobilités dites illégales. Or là encore, l’obsession du contrôle a favorisé un étalement de la frontière par la création de multiples marches frontalières faisant de pays entiers des lieux de surveillance et d’assignation à résidence avec un investissement continu dans les dispositifs sécuritaires.

    L’épaisseur des frontières se mesure désormais par la hauteur des murs mais aussi par l’exploitation des obstacles géophysiques : les fleuves, les cols, les déserts et les mers, où circulent armées et agences frontalières. À cela s’est ajouté le pistage et la surveillance digitale doublés d’un appareil administratif aux démarches labyrinthiques faites pour ne jamais aboutir.

    Pour décrire ce phénomène, Achille Mbembe parlait de « frontiérisation du monde » et de la mise en place d’un « nouveau régime sécuritaire mondial où le droit des ressortissants étrangers de franchir les frontières d’un autre pays et d’entrer sur son territoire devient de plus en plus procédural et peut être suspendu ou révoqué à tout instant et sous n’importe quel prétexte. »

    La passion contemporaine pour les murs relève de l’iconographie territoriale qui permet d’appuyer les représentations sociales d’un contrôle parfait des circulations humaines, et ce alors que les frontières n’ont jamais été aussi polymorphes.

    Suite à la pandémie, la plupart des gouvernements ont pu mobiliser sans difficulté l’ingénierie et l’imaginaire frontaliers, en s’appuyant d’abord sur les compagnies aériennes pour fermer leur pays et suspendre les voyages, puis en fermant les aéroports avant de bloquer les frontières terrestres.

    Les réalités frontalières sont rendues visibles : la Norvège fait appel aux réservistes et retraités pour assurer une présence à sa frontière avec la Suède et la Finlande. Seuls les pays effondrés, en guerre, ne ferment pas leurs frontières comme au sud de la Libye où circulent armes et combattants.

    Beaucoup entretiennent des fictions géographiques décrétant des frontières fermées sans avoir les moyens de les surveiller comme la France en Guyane ou à Mayotte. Plus que jamais, les frontières sont devenues un rapport de pouvoir réel venant attester des dépendances économiques, notamment à travers la question migratoire, mais aussi symboliques, dans le principe de la souveraineté et son autre, à travers la figure de l’étranger. Classe politique et opinion publique adhèrent largement à une vision segmentée du monde.

    Le piège de l’assignation à résidence

    Aujourd’hui, cet appareil frontalier mondial activé localement, à qui l’on a demandé de jouer une nouvelle partition sanitaire, semble pris à son propre piège. Sa vocation même qui consistait à décider qui peut se déplacer, où et dans quelles conditions, semble égarée tant les restrictions sont devenues, en quelques jours, absolues.

    Le régime universel d’assignation à résidence dans lequel le monde est plongé n’est pas tant le résultat d’une décision d’ordre sanitaire face à une maladie inconnue, que la simple activation des dispositifs multiples qui préexistaient à cette maladie. En l’absence d’autres réponses disponibles, ces fermetures se sont imposées. L’humanité a fait ce qu’elle savait faire de mieux en ce début du XXIe siècle, sinon la seule chose qu’elle savait faire collectivement sans concertation préalable, fermer le monde.

    L’activation de la frontière a abouti à sa consécration. Les dispositifs n’ont pas seulement été activés, ils ont été renforcés et généralisés. Le constat d’une entrave des mobilités est désormais valable pour tous, et la circulation est devenue impossible, de fait, comme de droit. Pauvres et riches, touristes et hommes d’affaires, sportifs ou diplomates, tout le monde, sans exception aucune, fait l’expérience de la fermeture et de cette condition dans laquelle le monde est plongé.

    Seuls les rapatriés, nouveau statut des mobilités en temps de pandémie, sont encore autorisés à rentrer chez eux, dans les limites des moyens financiers des États qu’ils souhaitent rejoindre. Cette entrave à la circulation est d’ailleurs valable pour ceux qui la décident. Elle est aussi pour ceux qui l’analysent : le témoin de ce phénomène n’existe pas ou plus, lui-même pris, complice ou victime, de cet emballement de la frontiérisation.

    C’est bien là une caractéristique centrale du processus en cours, il n’y a plus de point de vue en surplomb, il n’y a plus d’extérieur, plus d’étranger, plus de pensée du dehors. La pensée est elle-même confinée. Face à la mobilisation et l’emballement d’une gouvernementalité de la mobilité fondée sur l’entrave, l’abolition pure et simple du droit de circuler, du droit d’être étranger, du droit de franchir les frontières d’un autre pays et d’entrer sur son territoire n’est plus une simple fiction.

    Les dispositifs de veille de ces droits, bien que mis à nus, ne semblent plus contrôlables et c’est en ce sens que l’on peut douter de la réversibilité de ces processus de fermeture.

    Réversibilité

    C’est à l’aune de ce constat selon lequel le processus de frontiérisation du monde était à déjà l’œuvre au moment de l’irruption épidémique que l’on peut interroger le caractère provisoire de la fermeture des frontières opérée au cours du mois de mars 2020.

    Pourquoi un processus déjà enclenché ferait machine arrière au moment même où il accélère ? Comme si l’accélération était une condition du renversement. Tout se passe plutôt comme si le processus de frontiérisation s’était cristallisé.

    La circulation internationale des marchandises, maintenue au pic même de la crise sanitaire, n’a pas seulement permis l’approvisionnement des populations, elle a également rappelé que, contrairement à ce que défendent les théories libérales, le modèle économique mondial fonctionne sur l’axiome suivant : les biens circulent de plus en plus indépendamment des individus.

    Nous venons bien de faire l’épreuve du caractère superflu de la circulation des hommes et des femmes, aussi longtemps que les marchandises, elles, circulent. Combien de personnes bloquées de l’autre côté d’une frontière, dans l’impossibilité de la traverser, quand le moindre colis ou autre produit traverse ?

    Le réseau numérique mondial a lui aussi démontré qu’il était largement à même de pallier à une immobilité généralisée. Pas de pannes de l’Internet à l’horizon, à l’heure où tout le monde est venu y puiser son travail, ses informations, ses loisirs et ses sentiments.

    De là à penser que les flux de data peuvent remplacer les flux migratoires, il n’y qu’un pas que certains ont déjà franchi. La pandémie a vite fait de devenir l’alliée des adeptes de l’inimitié entre les nations, des partisans de destins et de développement séparés, des projets d’autarcie et de démobilité.

    Alors que le virus nous a rappelé la condition de commune humanité, les frontières interdisent plus que jamais de penser les conditions du cosmopolitisme, d’une société comme un long tissu vivant sans couture à même de faire face aux aléas, aux zoonoses émergentes, au réchauffement climatique, aux menaces à même d’hypothéquer le futur.

    La réponse frontalière n’a ouvert aucun horizon nouveau, sinon celui du repli sur des communautés locales, plus petites encore, formant autant de petites hétérotopies localisées. Si les étrangers que nous sommes ou que nous connaissons se sont inquiétés ces dernières semaines de la possibilité d’un retour au pays, le drame qui se jouait aussi, et qui continue de se jouer, c’est bien l’impossibilité d’un aller.

    https://blogs.mediapart.fr/adrien-delmas/blog/280520/covid-19-la-frontierisation-aboutie-du-monde
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    ping @mobileborders @karine4 @isskein @thomas_lacroix @reka

    • Épisode 1 : Liberté de circulation : le retour des frontières

      Premier temps d’une semaine consacrée aux #restrictions de libertés pendant la pandémie de coronavirus. Arrêtons-nous aujourd’hui sur une liberté entravée que nous avons tous largement expérimentée au cours des deux derniers mois : celle de circuler, incarnée par le retour des frontières.

      https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/droits-et-libertes-au-temps-du-corona-14-liberte-de-circulation-le-ret

    • #Anne-Laure_Amilhat-Szary (@mobileborders) : « Nous avons eu l’impression que nous pouvions effectivement fermer les frontières »

      En Europe, les frontières rouvrent en ordre dispersé, avec souvent le 15 juin pour date butoir. Alors que la Covid-19 a atteint plus de 150 pays, la géographe Anne-Laure Amilhat-Szary analyse les nouveaux enjeux autour de ces séparations, nationales mais aussi continentales ou sanitaires.

      https://www.franceculture.fr/geopolitique/anne-laure-amilhat-szary-nous-avons-eu-limpression-que-nous-pouvions-e

    • « Nous sommes très loin d’aller vers un #repli à l’intérieur de #frontières_nationales »
      Interview avec Anne-Laure Amilhat-Szary (@mobileborders)

      Face à la pandémie de Covid-19, un grand nombre de pays ont fait le choix de fermer leurs frontières. Alors que certains célèbrent leurs vertus prophylactiques et protectrices, et appellent à leur renforcement dans une perspective de démondialisation, nous avons interrogé la géographe Anne-Laure Amilhat Szary, auteure notamment du livre Qu’est-ce qu’une frontière aujourd’hui ? (PUF, 2015), sur cette notion loin d’être univoque.

      Usbek & Rica : Avec la crise sanitaire en cours, le monde s’est soudainement refermé. Chaque pays s’est retranché derrière ses frontières. Cette situation est-elle inédite ? À quel précédent historique peut-elle nous faire penser ?

      Anne-Laure Amilhat Szary : On peut, semble-t-il, trouver trace d’un dernier grand épisode de confinement en 1972 en Yougoslavie, pendant une épidémie de variole ramenée par des pèlerins de La Mecque. 10 millions de personnes avaient alors été confinées, mais au sein des frontières nationales… On pense forcément aux grands confinements historiques contre la peste ou le choléra (dont l’efficacité est vraiment questionnée). Mais ces derniers eurent lieu avant que l’État n’ait la puissance régulatrice qu’on lui connaît aujourd’hui. Ce qui change profondément désormais, c’est que, même confinés, nous restons connectés. Que signifie une frontière fermée si l’information et la richesse continuent de circuler ? Cela pointe du doigt des frontières aux effets très différenciés selon le statut des personnes, un monde de « frontiérités » multiples plutôt que de frontières établissant les fondements d’un régime universel du droit international.

      Les conséquences juridiques de la fermeture des frontières sont inédites : en supprimant la possibilité de les traverser officiellement, on nie l’urgence pour certains de les traverser au péril de leur vie. Le moment actuel consacre en effet la suspension du droit d’asile mis en place par la convention de Genève de 1951. La situation de l’autre côté de nos frontières, en Méditerranée par exemple, s’est détériorée de manière aiguë depuis début mars.

      Certes, les populistes de tous bords se servent de la menace que représenteraient des frontières ouvertes comme d’un ressort politique, et ça marche bien… jusqu’à ce que ces mêmes personnes prennent un vol low-cost pour leurs vacances dans le pays voisin et pestent tant et plus sur la durée des files d’attentes à l’aéroport. Il y a d’une part une peur des migrants, qui pourraient « profiter » de Schengen, et d’autre part, une volonté pratique de déplacements facilités, à la fois professionnels et de loisirs, de courte durée. Il faut absolument rappeler que si le coronavirus est chez nous, comme sur le reste de la planète, c’est que les frontières n’ont pas pu l’arrêter ! Pas plus qu’elles n’avaient pu quelque chose contre le nuage de Tchernobyl. L’utilité de fermer les frontières aujourd’hui repose sur le fait de pouvoir soumettre, en même temps, les populations de différents pays à un confinement parallèle.

      Ne se leurre-t-on pas en croyant assister, à la faveur de la crise sanitaire, à un « retour des frontières » ? N’est-il pas déjà à l’œuvre depuis de nombreuses années ?

      Cela, je l’ai dit et écrit de nombreuses fois : les frontières n’ont jamais disparu, on a juste voulu croire à « la fin de la géographie », à l’espace plat et lisse de la mondialisation, en même temps qu’à la fin de l’histoire, qui n’était que celle de la Guerre Froide.

      Deux choses nouvelles illustrent toutefois la matérialité inédite des frontières dans un monde qui se prétend de plus en plus « dématérialisé » : 1) la possibilité, grâce aux GPS, de positionner la ligne précisément sur le terrain, de borner et démarquer, même en terrain difficile, ce qui était impossible jusqu’ici. De ce fait, on a pu régler des différends frontaliers anciens, mais on peut aussi démarquer des espaces inaccessibles de manière régulière, notamment maritimes. 2) Le retour des murs et barrières, spectacle de la sécurité et nouvel avatar de la frontière. Mais attention, toute frontière n’est pas un mur, faire cette assimilation c’est tomber dans le panneau idéologique qui nous est tendu par le cadre dominant de la pensée contemporaine.

      La frontière n’est pas une notion univoque. Elle peut, comme vous le dites, se transformer en mur, en clôture et empêcher le passage. Elle peut être ouverte ou entrouverte. Elle peut aussi faire office de filtre et avoir une fonction prophylactique, ou bien encore poser des limites, à une mondialisation débridée par exemple. De votre point de vue, de quel type de frontières avons-nous besoin ?

      Nous avons besoin de frontières filtres, non fermées, mais qui soient véritablement symétriques. Le problème des murs, c’est qu’ils sont le symptôme d’un fonctionnement dévoyé du principe de droit international d’égalité des États. À l’origine des relations internationales, la définition d’une frontière est celle d’un lieu d’interface entre deux souverainetés également indépendantes vis-à-vis du reste du monde.

      Les frontières sont nécessaires pour ne pas soumettre le monde à un seul pouvoir totalisant. Il se trouve que depuis l’époque moderne, ce sont les États qui sont les principaux détenteurs du pouvoir de les fixer. Ils ont réussi à imposer un principe d’allégeance hiérarchique qui pose la dimension nationale comme supérieure et exclusive des autres pans constitutifs de nos identités.

      Mais les frontières étatiques sont bien moins stables qu’on ne l’imagine, et il faut aujourd’hui ouvrir un véritable débat sur les formes de frontières souhaitables pour organiser les collectifs humains dans l’avenir. Des frontières qui se défassent enfin du récit sédentaire du monde, pour prendre véritablement en compte la possibilité pour les hommes et les femmes d’avoir accès à des droits là où ils vivent.

      Rejoignez-vous ceux qui, comme le philosophe Régis Debray ou l’ancien ministre socialiste Arnaud Montebourg, font l’éloge des frontières et appellent à leur réaffirmation ? Régis Débray écrit notamment : « L’indécence de l’époque ne provient pas d’un excès mais d’un déficit de frontières »…

      Nous avons toujours eu des frontières, et nous avons toujours été mondialisés, cette mondialisation se réalisant à l’échelle de nos mondes, selon les époques : Mer de Chine et Océan Indien pour certains, Méditerranée pour d’autres. À partir des XII-XIIIe siècle, le lien entre Europe et Asie, abandonné depuis Alexandre le Grand, se développe à nouveau. À partir du XV-XVIe siècle, c’est l’âge des traversées transatlantiques et le bouclage du monde par un retour via le Pacifique…

      Je ne suis pas de ces nostalgiques à tendance nationaliste que sont devenus, pour des raisons différentes et dans des trajectoires propres tout à fait distinctes, Régis Debray ou Arnaud Montebourg. Nous avons toujours eu des frontières, elles sont anthropologiquement nécessaires à notre constitution psychologique et sociale. Il y en a même de plus en plus dans nos vies, au fur et à mesure que les critères d’identification se multiplient : frontières de race, de classe, de genre, de religion, etc.

      Nos existences sont striées de frontières visibles et invisibles. Pensons par exemple à celles que les digicodes fabriquent au pied des immeubles ou à l’entrée des communautés fermées, aux systèmes de surveillance qui régulent l’entrée aux bureaux ou des écoles. Mais pensons aussi aux frontières sociales, celles d’un patronyme étranger et racialisé, qui handicape durablement un CV entre les mains d’un.e recruteur.e, celles des différences salariales entre femmes et hommes, dont le fameux « plafond de verre » qui bloque l’accès aux femmes aux fonctions directoriales. Mais n’oublions pas les frontières communautaires de tous types sont complexes car mêlant à la fois la marginalité choisie, revendiquée, brandie comme dans les « marches des fiertés » et la marginalité subie du rejet des minorités, dont témoigne par exemple la persistance de l’antisémitisme.

      La seule chose qui se transforme en profondeur depuis trente ans et la chute du mur de Berlin, c’est la frontière étatique, car les États ont renoncé à certaines des prérogatives qu’ils exerçaient aux frontières, au profit d’institutions supranationales ou d’acteurs privés. D’un côté l’Union Européenne et les formes de subsidiarité qu’elle permet, de l’autre côté les GAFAM et autres géants du web, qui échappent à la fiscalité, l’une des raisons d’être des frontières. Ce qui apparaît aussi de manière plus évidente, c’est que les États puissants exercent leur souveraineté bien au-delà de leurs frontières, à travers un « droit d’ingérence » politique et militaire, mais aussi à travers des prérogatives commerciales, comme quand l’Arabie Saoudite négocie avec l’Éthiopie pour s’accaparer ses terres en toute légalité, dans le cadre du land grabbing.

      Peut-on croire à l’hypothèse d’une démondialisation ? La frontière peut-elle être précisément un instrument pour protéger les plus humbles, ceux que l’on qualifie de « perdants de la mondialisation » ? Comment faire en sorte qu’elle soit justement un instrument de protection, de défense de certaines valeurs (sociales notamment) et non synonyme de repli et de rejet de l’autre ?

      Il faut replacer la compréhension de la frontière dans une approche intersectionnelle : comprendre toutes les limites qui strient nos existences et font des frontières de véritables révélateurs de nos inégalités. Conçues comme des instruments de protection des individus vivant en leur sein, dans des périmètres où l’Etat détenteur du monopole exclusif de la violence est censé garantir des conditions de vie équitables, les frontières sont désormais des lieux qui propulsent au contraire les personnes au contact direct de la violence de la mondialisation.

      S’il s’agit de la fin d’une phase de la mondialisation, celle de la mondialisation financière échevelée, qui se traduit par une mise à profit maximalisée des différenciations locales dans une mise en concurrence généralisée des territoires et des personnes, je suis pour ! Mais au vu de nos technologies de communication et de transports, nous sommes très loin d’aller vers un repli à l’intérieur de frontières nationales. Regardez ce que, en période de confinement, tous ceux qui sont reliés consomment comme contenus globalisés (travail, culture, achats, sport) à travers leur bande passante… Regardez qui consomme les produits mondialisés, du jean à quelques euros à la farine ou la viande produite à l’autre bout du monde arrivant dans nos assiettes moins chères que celle qui aurait été produite par des paysans proches de nous… Posons-nous la question des conditions dans lesquelles ces consommateurs pourraient renoncer à ce que la mondialisation leur offre !

      Il faut une approche plus fine des effets de la mondialisation, notamment concernant la façon dont de nombreux phénomènes, notamment climatiques, sont désormais établis comme étant partagés - et ce, sans retour possible en arrière. Nous avons ainsi besoin de propositions politiques supranationales pour gérer ces crises sanitaires et environnementales (ce qui a manqué singulièrement pour la crise du Cocid-19, notamment l’absence de coordination européenne).

      Les frontières sont des inventions humaines, depuis toujours. Nous avons besoin de frontières comme repères dans notre rapport au monde, mais de frontières synapses, qui font lien en même temps qu’elles nous distinguent. De plus en plus de personnes refusent l’assignation à une identité nationale qui l’emporterait sur tous les autres pans de leur identité : il faut donc remettre les frontières à leur place, celle d’un élément de gouvernementalité parmi d’autres, au service des gouvernants, mais aussi des gouvernés. Ne pas oublier que les frontières devraient être d’abord et avant tout des périmètres de redevabilité. Des espaces à l’intérieur desquels on a des droits et des devoirs que l’on peut faire valoir à travers des mécanismes de justice ouverts.

      https://usbeketrica.com/article/on-ne-va-pas-vers-repli-a-interieur-frontieres-nationales

    • C’est ce qu’affirme une étude publiée dans la revue scientifique Science Advances le 8 mai 2020 par des chercheurs américains et britanniques. Ils ont étudié les données de nombreuses stations météorologiques en analysant à la fois les températures et le niveau d’humidité, s’intéressant plus précisément ce qu’on appelle la « température humide », notée TW, et qui combine la mesure de la chaleur et celle du taux d’humidité. Résultat : la fréquence des évènements météo extrêmes compris entre 27°C TW et 35°C TW a doublé depuis 1979. Et pour la première fois depuis que l’on enregistre ces données météo, les 35°C TW ont été dépassés « pendant une heure ou deux » à Jacobabad, au Pakistan, et à Ras al Khaimah, dans les Émirats arabes unis (EAU).
      Défaillance des organes vitaux

      À titre de comparaison, la canicule de 2003, qui a fait plus de 70 000 morts en Europe, n’a pas dépassé les 28°C TW car il s’agissait surtout d’une vague de chaleur sèche. Si 35°C TW est considéré comme un seuil mortel pour l’être humain, c’est parce que ces conditions bloquent les deux mécanismes de refroidissement du corps. Notre peau a en surface une température de 35°C. Si l’air au contact de la peau est aussi chaud ou plus chaud que celle-ci, l’échange thermique ne peut plus se faire : seule la sudation permet alors d’évacuer la chaleur. Mais si l’air est en plus saturé d’humidité, la sudation n’opère plus non plus, expliquent les chercheurs. Le corps surchauffe et finit par céder : « Les réactions biochimiques s’atténuent, les protéines se déforment, les cellules musculaires se détruisent, le sang ne circule plus, les organes vitaux défaillent en chaîne », détaille un article de Science & Vie.

      #climat #mort

  • Le revenu de base expérimenté à Grande-Synthe est-il efficace ?
    https://usbeketrica.com/article/le-revenu-de-base-experimente-a-grande-synthe-est-il-efficace


    C’est un revenu de base comme je suis le pape qui danse en tutu : il s’agit juste d’un complexe filet de sécurité qui remonte au seuil de pauvreté ceux qui étaient saqués par des aides sociales insuffisantes.
    En gros, le minimum du minimum… avec gros flicage à la clé, c’est à dire, tout le contraire d’un revenu d’émancipation.

    Le dispositif vise à apporter une aide financière aux 17,2 % de Grand-Synthois qui vivent sous le « seuil de pauvreté bas », fixé à 867 euros. Calculée par la différence entre ce seuil et la somme des revenus de toutes les personnes qui composent le ménage, incluant les prestations sociales déjà existantes, cette aide facultative et temporaire peut s’élever jusqu’à 764 euros et concerne aujourd’hui 3 700 habitants. Elle est dédiée aux dépenses de logement, au transport, à l’éducation, à la formation, à la culture et à la recherche d’emploi. Les bénéficiaires sont soumis à un accompagnement obligatoire du CCAS, qui vérifie les dépenses et accompagne vers une insertion sociale ou professionnelle. Fin novembre 2019, près de 600 foyers étaient concernés par ce dispositif.

    • Aucun droit au revenu qui ne soit pas porté et imposé aux gestionnaires par des forces sociales en mesure de nuire férocement à l’économie - programmée pour le profit et la domination- ne sera en mesure de répondre aux besoins ni d’ouvrir à un tant soit peu de liberté réelle.
      Cela fait des années qu’ici on (y compris moi) recense des trucs en taguant revenu des mesures vantées par une variété ou une autre de militants de l’économie à visage humain, quand il ne s’agit pas d’annonces sans effet ou de sympathiques autopromotions de la bonté de maîtres soudainement humanisés, généreux et conscients de leurs devoirs sociaux. Vaste blague.
      #revenu_de_base à gogos.