• Ce matin, je fouillais dans les archives de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP). J’y cherchais confirmation du passage à l’hôpital Saint Louis de Lavalette, le communard dont je remonte l’histoire.

    Dans le monde des archivistes, il y a des gens très agréables. Et puis il y a ceux tels qu’on les imagine, tatillons et pas marrants, qui font remplir des papiers et des papiers pour donner à consulter d’autres papiers.

    Alors je fais mes recherches, une chanson dans la tête :
    http://grooveshark.com/s/Les+Petits+Papiers/4k4jhn?src=5

    Un médecin, Eugène Guibout, racontait dans un livre comment il avait accueilli Lavalette à l’hôpital Saint Louis puis l’avait aidé à fuir Paris aux mains des Versaillais :
    http://seenthis.net/messages/56193#message58977

    Voici ce que disait notamment le bon médecin :

    Le [...] 28 mai, jour de la Pentecôte, nous assistâmes, dans notre belle cathédrale [de Troyes], aux offices [...].
    Aussitôt que nous eûmes la possibilité de rentrer à Paris, nous partîmes. [...]
    Le lendemain matin, je trouve l’hôpital Saint-Louis occupé militairement par les Versaillais ; ils gardaient à vue les soldats de la Commune blessés et très nombreux dans les salles.
    Mon interne, M. Poupon, m’apprit tout de suite avec émotion, qu’une heure avant l’arrivée des Versaillais, un chef de la Commune s’était présenté à lui, en disant J’ai sauvé votre maître, sauvez-moi ; les Versaillais sont là, je suis perdu !
    « Alors, me raconte ce brave jeune homme, j’ai fait entrer cet homme dans ma chambre, il s’est déshabillé, j’ai déchiré tous ses vêtements, que j’ai jetés dans la fosse d’aisance ; je l’ai revêtu d’une capote de l’hôpital, coiffé d’un bonnet de coton, je lui ai signé un billet d’admission comme fiévreux, et je l’ai conduit dans la salle Saint-Charles, où il est couché ; mais je tremble pour lui, car il est entouré de Communards ; les Versaillais montent la garde à toutes les portes et dans l’intérieur même de la salle, il y a plusieurs factionnaires. »

    Je cherchais donc confirmation de ce témoignage, paru en 1892 - soit 21 ans après les évènements.

    Lavalette apparaissait-il sur le registre des admissions ?

    Eh ! bien oui ! Notre communard est bien inscrit au registre des entrées de l’hôpital Saint Louis le 25 mai 1871. L’orthographe de son nom a été légèrement modifiée : Lavelatte et non Lavalette. Mais le prénom est bien Gilbert. Son numéro au registre des entrées est le 3612. Ce qui me permet de retrouver ailleurs d’autres informations : Lavelatte, Gilbert, âge 42 ans, gazier. L’adresse semble : 97, rue de Belleville, dans le XIXe arrondissement. Sa ville de naissance : Lurcy-Lévy dans l’Allier.

    « Marié à Suzanne Chantelot » précise le registre. C’est nouveau ça ! J’avais jusqu’à présent une concubine nommée Anna Moulin. Au cimetière où est enterré le communard est indiqué : Anna Lavalette, née Germillon... Je pensais donc qu’elle avait pu être mariée précédemment à un M. Moulin, puis s’être remariée avec Lavalette. Mais le registre laisse aussi penser que celui-ci avait aussi été marié précédemment...

    Le registre indique effectivement « fiévreux », comme l’écrivait le docteur Guibout dans son livre. Il précise par contre salle Saint-Louis et non Saint-Charles. Lit 20.

    Lavalette serait sorti le 11 juin et aurait passé 17 jours dans cet hôpital. Les dates semblent difficilement traficables, les noms étant inscrits au fur et à mesure sur le registre des entrées.

    Les archives des hôpitaux de Paris confirment donc le témoignage du médecin, au seul détail du nom de la salle où il a été alité. Elle donnent une autre information : Lavalette serait entré le jeudi 25 mai.

    Jusqu’à présent, je pensais qu’il s’était battu avec les derniers communards retranchés au cimetière du Père Lachaise. Mais c’était lire un peu trop vite ce rapport de police :

    « A l’arrivée des troupes, il s’est replié à l’intérieur de Paris. Dans les premiers jours, il a présidé à l’installation des batteries des insurgés au Père Lachaise et il en a dirigé le tir. »

    http://seenthis.net/messages/56193#message57972

    Il a donc organisé la défense du Père Lachaise au début de la Semaine sanglante, le 22 mai. Mais il n’a pas participé aux derniers combat dans ce cimetière.

    (Gravure ci-dessus : derniers combats parmi les tombes du Père Lachaire)

    Ce qui explique qu’il soit resté en vie et n’ait pas été fusillé au « mur des fédérés » où furent alignés les ultimes combattants.

    Lavalette a arrêté de sa battre le 25 mai 1871. Il s’est réfugié à l’hôpital Saint Louis. Au même moment, à deux pas de là, sur la place du Château d’eau, l’actuelle place de la République, le délégué à la guerre de la Commune, Charles Delescluze, grimpait désespéré sur une barricade et se laissait volontairement tuer.

    http://lacomune.perso.neuf.fr/medias/delescluzetrait3.jpg

    (Images ci-dessus : Charles Delescluze)

    Les registres de l’hôpital Saint Louis nous apprennent d’autres éléments sur cette Semaine sanglante. Sur des pages et des pages, les noms des maladies des personnes admises sont remplacées par « plaie par arme à feu », « balle ayant traversé le bras », « coup de feu à la cuisse », « plaie à la tête par balle », « blessé par éclat d’obus », etc. Beaucoup d’amputations. Près d’un quart des personnes meurent. Et beaucoup de blessés « remis à la disposition de l’autorité militaire ».

    Peu sont des militaires. Sur des pages de trente noms, un en moyenne correspond à un militaire versaillais. Le reste est occupé par le petit peuple de Paris : « journalier », « coche de pompe funèbre », « horloger », « passementier », « femme de ménage », « maçon », « fleuriste », « employé », « taillandier », « tourneur »...

    Des hommes, peu de femmes. Pour celles qui arrivent, on indique parfois « fiévreux ». Est-ce une manière, comme pour Lavalette, de leur éviter des problèmes ? Les femmes sont généralement là pour accoucher. Quel moment terrible pour cela : en plein apocalypse, alors que l’on fusille sans pitié et que le sang de plus de vingt milles Parisiens coule sur les pavés.

    Lorsqu’un registre administratif se cogne à la réalité, cela donne pour la case « Nature de la maladie » : « grossesse ».

    #A_la_recherche_de_Lavalette #Lavalette #Commune_de_Paris #communard #communeux #Belleville #archives #Eugène_Guibout #Guibout