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  • Un Goncourt "lumineux"

    Ces dernières années, les Goncourt ont la main heureuse. Après avoir couronné il y a deux ans Lydie Salvayre pour son roman « Pas pleurer » qui prend appui sur « l’été radieux de 1936 » vécu par sa mère lors de la révolution libertaire espagnole, voici que le Goncourt 2016 vient d’être attribué à la marocaine et française #Leïla_Slimani, pour son roman « Chanson douce » .

    Leila Slimani, et c’est ce que cet article veut souligner, outre ses qualités d’auteure est connue pour ses positions humanistes. Elle n’a pas attendu le prix Goncourt pour prendre position contre la violence engendrée par la religion et les régimes autoritaires dans le monde arabe, plus particulièrement au Maghreb, mais l’attribution de ce prix lui a ouvert les portes des médias, ce qui lui a permis de multiplier déclarations et interviews.

    Ainsi, début novembre 2016, alors que deux adolescentes marocaines ont été arrêtées et emprisonnées par la police de leur pays pour s’être rendues « coupables » d’homosexualité. Leila Slimani prend leur défense et celle de la cause des homosexuels en général, fortement réprimés au Maroc. Elle appelle les Marocains à se soulever contre « l’humiliation » faite aux homosexuels dans ce pays. Elle dénonce les lois « moyenâgeuses » en vigueur dans le pays, en effet l’homosexualité est par exemple passible de six mois à trois ans de prison... La critique est pour le moins radicale, loin des thèses du relativisme culturel qui polluent l’extrême gauche et la gauche française, soumises à des réactionnaires comme Tariq Ramadan pour qui l’homosexualité est un trait culturel occidental indissoluble dans la culture musulmane (1). Esprit brillant, Leïla Slimani profite de ce fait divers pour élargir sa critique, consciente que la lutte contre l’autoritarisme du régime doit être globale. Elle affirme

    « La question, c’est la question des droits de l’homme, des droits sexuels, de la dignité et, en particulier, la dignité du corps de la femme » ,

    et elle souhaite l’avènement d’

    « une femme qui ne soit à personne, qui ne soit ni une mère, ni une sœur, ni une épouse, mais une femme et un individu à part entière. »

    Il y a quelques mois à peine, fin 2015, Leila Slimani a participé à un ouvrage collectif intitulé « Qui est Daech ? » . Sa contribution avait pour titre « Intégristes, je vous hais » . Le titre à lui seul est très révélateur. Sa haine de l’intégrisme provient sûrement de l’amour pour la vie humaine transmis par ses parents, qu’elle décrit comme « humanistes » . Dans un entretien avec le site Terrafemina elle nous dit que ses parents lui ont appris que

    « le plus important, ce n’était pas la religion, pas la nationalité, mais simplement le fait d’être humain. » .

    En tant que libertaires nous ne pouvons qu’être d’accord avec cette vision des choses.

    Toujours sur le site Femina, Leïla Slimani écrit, au sujet de la montée de l’intolérance au Maroc, que

    « Les gens se sentant abandonnés par l’Etat se sont tournés vers l’obscurantisme. » ,

    un fait que, faute de perspectives révolutionnaires, nous retrouvons ici en France (avec la monté des intégrismes religieux – chrétiens et musulmans – et celle de la fachosphère). Contrairement aux islamo-gauchistes postmodernes actuels qui, faisant le même constat ne trouvent pas mieux que d’accompagner activement les gens vers l’obscurantisme, l’écrivaine prend, elle, position contre ce même obscurantisme dès qu’elle le peut. Elle n’hésite pas à critiquer la position ambiguë du gouvernement français qui accueille les dirigeants saoudiens ou traite avec Bashar El Assad. Pour elle on ne peut pas défendre les valeur de liberté et d’égalité tout en menant une politique étrangère totalement contradictoire, en traitant avec des régimes totalitaires. Cette position tranche encore une fois avec nos postmodernes qui eux font comme nos gouvernants : ils condamnent le racisme tout en diffusant par exemple le concept d’islamophobie propagé actuellement par les monarchies intégristes du Golfe. Dans le même registre Leïla Slimani, qui vit en France, n’hésite pas à critiquer le Front National entre autres pour ses position qui nient la liberté de la femme telle sa position anti-IVG. En cela, elle se place dans la lignée du féminisme qui défend la femme concrètement, contrairement aux post-féminismes qui n’ont pas grand chose de féminisme et qui pensent défendre la cause féminine en proposant à ces même femmes la ségrégation volontaire par l’entremise de réunions ou de manifestations « non-mixtes » , le port de la burka et en écrasant la voix des femmes prolétaires victimes de l’exploitation.

    Une autre déclaration tirée d’un entretien sur le site du Point, également très frappante est celle-ci :

    « Aujourd’hui, dans les sociétés musulmanes et maghrébines, on est vraiment à un tournant. Il est très dangereux de ne pas faire de choix de projet de société, de rester dans une ambiguïté où on ménage les conservateurs tout en se donnant certains aspects de modernité. Ça fait le lit des intégristes. » .

    Comment ne pas faire l’analogie avec la société française et reconnaître ici l’attitude postmoderne qui, on le sait aujourd’hui, a effectivement fait le lit des intégristes avec le résultat que l’on sait ? Dans le même entretien, elle touche du doigt une réalité cruelle, celle de l’assignation identitaire. Elle même victime de ce phénomène elle dit à ce sujet :

    « Moi, bien sûr, ça va, je suis binationale, et je suis très attachée au Maroc. Mais quand on est français, qu’on est né ici, ça doit être très difficile d’être constamment assigné à son origine. » .

    Il est en effet insupportable, pour un être pensant, d’être constamment assigné de la sorte à une identité imposée soit par des réflexes réactionnaires venant de l’extrême-droite soit, et cela doit être encore plus dur, par des courants supposés de gauche comme le racialisme, tenant d’une violence symbolique mais également concrète.

    Bien que l’on doive saluer le courage et la pertinence de certaines positions de Leïla Slimani, il ne s’agit pas d’une militante libertaire et nous ne pouvons qu’avoir des analyses divergentes sur certains points. Ainsi, Leila Slimani pense que la situation catastrophique des libertés aux Maroc (et ailleurs dans le monde arabe) n’est pas liée à la religion. Dans sa critique du système politique marocain elle dédouane en effet la religion en disant

    « On maintient cette dichotomie, on maintient ce fossé parce que ça arrange le système, ça arrange certains, Cela n’a aucun rapport avec la religion. Beaucoup d’imams, beaucoup de théologiens extrêmement éclairés vous expliqueront que ça n’a aucun rapport » .

    Nous portons quant à nous un autre regard sur le rôle des religions dans toutes les sociétés.

    (1) – Il s’agit d’un mensonge éhonté. Certains des plus grands auteurs arabes Abou Nouass (747-815), Al-Jahiz (781-869), Ibn Arabi (1165-1240), Ibn Hazm (994-1064), ont parlé très librement de l’homosexualité dès le VIIIe siècle, alors que l’Occident n’influençait nullement l’Orient (voir : http://rue89.nouvelobs.com/2013/02/08/non-lhomosexualite-nest-pas-imposee-aux-arabes-par-loccident-239439)

    Article d’@Anarchosyndicalisme ! n°152 déc 2016 - Janv 2017
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article844