• J – 150 : Pour le moment Guy, mon ordinateur s’appelle Guy, n’a toujours pas fini de scanner immense_disque .

    Cela fait des années que je cite souvent l’exemple du Hasard de Kristof Kieslowski pour soutenir la validité des récits arborescents à la façon aussi de Smoking non smoking d’Alain Resnais, d’ailleurs nettement plus arborescent que le Hasard, au point même qu’il y ait deux films, celui de la cigarette fumée et celui de la cigarette refusée poliment, ou encore pour soutenir mes propres tentatives de la fiction de suivre, même modestement, de suivre deux voies parallèles dans un récit, ainsi dans une Fuite en Egypte :

     ; il rendait visite à un parent interné dans un hôpital psychiatrique ; à Villejuif je crois ; je lui avais proposé de l’emmener ; oui ; c’était à Villejuif ; dans le Val de Marne ; dans la banlieue Sud ; je devais aller moi-même dans cette direction ; je lui avais donc proposé de l’accompagner ; aussi parce que je me doutais que cela n’avait rien de drôle d’aller visiter un parent dans un hôpital psychiatrique ; nous nous sommes égarés ; nous avons fait de nombreuses circonvolutions pour retrouver notre chemin ; et ; sans nous départir du calme qui était le nôtre ; sans que ces égarements n’influent ; d’aucune façon que ce soit ; sur la bonne humeur qui était entre nous ; nous nous étions perdus ; et nous nous laissions emporter distraitement par le flot des autres véhicules ; plus soucieux en fait du plaisir de notre conversation que de nous orienter de façon fiable ; nous parlions de son retour hypothétique en Allemagne ; dehors il faisait gris ; et puis à un carrefour les deux voitures qui étaient derrière nous n’ont pas su s’arrêter et l’une a percuté l’autre qui nous a de fait tamponnés ; un tout petit choc ; un accident de rien du tout ; même pas de taule froissée ; le hayon de mon coffre ne fermait plus ; c’était tout ; nous avons réglé cela à l’amiable ; je veux dire entre la personne qui avait percuté l’arrière de ma voiture et nous ; entre les deux autres voitures en revanche les propos n’étaient pas courtois ; les deux conducteurs s’accusaient mutuellement d’être responsables de l’accident ; et tandis qu’ils argumentaient avec véhémence ; Gerd et moi avons continué de discuter aimablement ; Gerd m’a fait remarquer ; dans son accent allemand guttural ; tu te rends compte du nombre de détours que nous avons faits ; tout cela pour avoir cet accident ; nous avons ri de ce concours de hasard bénin ; nous aimions l’un et l’autre ce genre de considérations ; le hasard au travail ; nous avions vu ensemble au cinéma Le Hasard de Kristof Kieslowski ; et j’avais répondu que nous ne le saurions jamais ; en revanche il n’était pas exclu que cet accident et ses détours nous aient en fait déviés d’un accident dans lequel j’aurais perdu la vue et Gerd l’usage de ses membres inférieurs ; comment pouvais-je ; alors ; rire de pareilles éventualités ; à l’époque je ne l’avais pas encore rencontrée ; je n’avais pas encore fait sa connaissance ; je ne l’avais pas encore embrassée ; je n’avais pas encore fait l’amour avec elle ; nous ne vivions pas encore ensemble ; nous n’avions pas encore d’enfants ; elle n’était pas encore morte dans un accident de voiture ; je ne la connaissais pas encore ; je ne pouvais pas savoir ; je ne pouvais pas savoir qu’elle périrait dans un accident de la circulation ; en fait c’est très peu de temps après cet accident ; cet accident sans gravité ; en compagnie de Gerd ; que je l’avais rencontrée ; tenez ; c’est curieux ; c’est la première fois que je m’en rends compte ; que je m’aperçois que cet accident apparemment dénué de conséquences avait en fait été à l’origine de notre rencontre ; parce que cet accrochage anodin ; et le temps que nous avions perdu en nous égarant ; nous avaient mis en retard ; j’avais raté mon rendez-vous avec un assistant qui devait m’aider pour une prise de vue en studio ; le type était furieux ; j’avais donc dû m’adresser ailleurs ; à Paris ; et elle m’avait été recommandée par un collègue ; et c’est de cette façon que je l’ai rencontrée ;

    Mais cela faisait extrêmement longtemps que je n’avais pas revu ce film, il me semble, effectivement au cinéma, et sans doute en compagnie de Daphna, donc en première ou seconde années des Arts Déco. Du coup commençant à préparer un manière de mini site pour la publication d’une Fuite en Egypte qui donne donc accès à toutes sortes de ressources et, a minima, à des œuvres des différents artistes cités dans le cours du récit, Twombly, Weegee, Witkin, Wahrol, il y a donc Le Hasard de Kieslowski (à croire que j’ai fait exprès de citer des artistes qui ont tous un w dans leur patronyme, à l’époque de l’écriture, il y une treizaine d’années maintenant, je l’ai sûrement fait exprès, aujourd’hui c’est tout juste si je me rappelle m’être donné de telles contraintes), dont je me suis employé récemment à en tirer un extrait. J’ai donc téléchargé le film - en fait ces derniers temps j’ai eu recours à un excellent assistant pour retrouver certaines des ressources les plus obscures.

    Et je viens de le revoir, presque trente ans plus tard tout de même.

    Je peux donc mesurer à quel point mon souvenir était vague à bien des égards, et, au contraire, extrêmement précis de certains plans, par exemple je me souvenais parfaitement du clochard de la gare qui ramasse une pièce qui roule et s’achète une bière avec - et apparemment un Tchèque pourrait survivre en Pologne, parce que pour demander une bière en polonais c’est presque Pivo prosim - en revanche, et ce n’est pas banal tout de même, si j’avais du raconter l’intrigue, finalement pas simple pour ses implications politiques, de ce film, comme par exemple, cela peut arriver, en couple, de se raconter des films, à l’image de la deuxième partie de ce film, la femme du mécanicien aéronautique qui raconte Manhattan à son amant, racontant donc Le Hasard , j’aurais oublié, du tout au tout, la troisième partie de ce film, qui, dans mon esprit, sans doute influencé par la trame de Smoking non smoking d’Alain Resnais, n’en comptait que deux, alors que, et c’est tout de même assez troublant, que c’est directement au principe même de la troisième partie que fait référence la remarque que je prête au personnage de Gerd, dans une Fuite en Egypte , à propos d’un accident qui permet d’échapper à un autre, plus grave.

    Par ailleurs, c’est quand même étonnant d’avoir oublié la troisième partie plutôt que les deux autres, alors que c’est la troisième partie qui est de loin la plus simple, tout roule pour le personnage principal, sa carrière connait une ascension fulgurante, il se marie avec une jeune femme dont il est fou amoureux, elle lui apprend devant le maire qu’elle est enceinte, et ils pouffent de rire en échangeant leurs vœux, l’enfant nait il est fort mignon et il peut partir à Paris avec un passeport en bonne et due forme.

    Et quand je pense à tous les films que j’ai vus, tous les romans que j’ai lus, et pour lesquels mes souvenirs sont pareillement imprécis, ou mélangés, je me dis que je foisonne de récits, il suffit juste que je fasse confiance à ma mémoire dans tout ce qu’elle a d’imprécis.

    Sans compter que par ailleurs j’ai tendance à oublier tout ce que j’écris, ou plus exactement que j’écris, non pas pour ne pas oublier, mais au contraire pour oublier. J’avais, par exemple, tout à fait oublié cette référence au Hasard dans mon récit, que je viens de relire une nouvelle fois avant d’en envoyer la version définitive à mon éditeur, j’aime bien dire mon éditeur .

    Exercice #45 de Henry Carroll : Photographiez un lieu insipide de jour ... mais fascinant de nuit.

    La forêt autour de la maison de Barbara Crane dans le Michigan est nettement plus mystérieuse la nuit que le jour, ce qui est en grande partie dû aux puissant éclairages que cette dernière a braqués sur les bois depuis les autres coins de sa terasse qui entoure sa petite maison, un peu comme Claude Monet a arrangé son jardin pour mieux le peindre. Le parti qu’elle en tire est infiniment supérieur.

    #qui_ca
    #une_fuite_en_egypte