• J – 45 : Mon cousin Fernand me fait le plaisir de me demander l’hébergement en région parisienne, gite et couvert pour la nuit et c’est une immense émotion que, le repas fini et la vaisselle faite, nous débarrassions la table pour installer une partie de Mah Jong, Fernand, Adèle et moi. On a le temps de jouer deux tours de vent. Fernand nous plume de 400 points chacun. Et on rigole bien lui et moi en entendant Adèle, qui ne l’a pas connu, reproduire certaines des expressions de Mon Oncle Michel, le père de Fernand, « j’ai bien fait, je rejoue », « les Honneurs ! », « Arvète ichi un peu comme i bôche sin jus », « le jeu c’est le jeu ». C’est comme si cela ressuscitait un grand magicien. Un grand magicien aux immenses pouvoirs. Un magicien qui ignorait tout de ses pouvoirs.

    Adèle ne veut pas aller se coucher. Tout comme, enfant, je ne voulais pas que nous repartions de la maison de Mon Oncle Michel le dimanche après-midi. Pour la même raison déchirante qu’on avait encore deux tours de vent à jouer.

    Et que demain il y a école. Mais c’était un autre temps, bien sûr.

    Le bruit qui rend fou.

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/060.htm

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/fred_frith_yard_with_lunatics.mp3

    Un concert de Fred Frith c’est toujours une fête, mais une fête simple, comme la réunion de quelques villageois pour une récente réalisation commune, c’est en bord de scène, c’est sans décoration avec l’éclairage disponible, et aux Instants chavirés cet éclairage c’est parfois juste une lampe de bureau pour éclairer toute la scène, et ça joue, point. Et une fois que ce sera terminé, cela ne saluera pas nécessairement, Fred Frith, et ses musiciens s’il n’est pas seul, descendront de scène et viendront accueillir les embrassades de leurs amis villageois. Et cela fait un bien fou. Mais cette absence de décoration en somme n’est pas une indication très fiable sur la valeur de ce qui sera joué, de ce qui est joué, de ce qui a été joué. Ainsi le concert de Fred Frith le 12 juin 2016 aux Instants restera sans doute l’un des plus beaux concerts auquel il m’a été donné d’assister.

    Mais de même que cela touche parfois au sublime dans l’absence de quoi que ce soit qui pourrait le signaler un peu, des fois c’est moins réussi — dans la même série de soirs en juin dernier le concert avec Lê Quan Ninh et Bérangère Maximin, le 10 juin 2016, était correct mais pas exhaltant, parfois cela peut même être médiocre — le concert du 11 avec Joëlle Léandre, et cela doit être une indication des dangers que ces musiiens bravent pour parvenir à ce qu’ils parviennent parfois à produire, tout Joëlle Léandre et Fred Frith qu’ils sont, des fois cela ne prend pas, et du coup quand cela prend, cela a un petit côté miraculeux, précieux même, de l’or fin vraiment — ce soir Fred Frith joue avec Jason Hoopes acrobate de la basse électrique, le genre à s’être mis à la basse électrique parce que la guitare c’était trop simple, et Jordan Glenn batteur qui en met partout avec science et délicatesse, et ça joue cela oui, mais ce n’est pas non plus le nirvana, mais ça joue.

    Et pendant tout le concert, tandis que cela joue, que cela joue, sans jouer de façon sublime, mais ça joue quand même, je ne peux m’empêcher, le concert durant donc, de faire l’application de cette équation de la réussite qui n’est pas systématiquement au rendez-vous, à l’écriture au jour le jour, puisque finalement c’est le principe de Qui ça ? Je repense à quelques unes des belles réussites que j’ai eues dans cette série de textes, mais pas si nombreuses finalement au regard de toutes les chroniques que j’ai pu écrire, une bonne centaine désormais, et je remarque mentalement pendant que ça joue, mais pas non plus le grand soir — il faut dire aussi si je me concentrais un peu sur la musique est-ce que je ne parviendrais pas à participer à une écoute plus soutenue, qui serait peut-être contagieuse et qui étendrait cette contagion heureuse, par exemple, au quatuor de jeunes femmes qui se sont intallées en retard sur les sièges voisins du mien et qui grignotent, causent, envoient des messages de téléphone de poche, en reçoivent, se les montrent, se les échagent, les commentent, enlèvent leur gilet puis le remettent, se grattent les chevilles, se retournent pour voir si des fois Machin ou Untel sont là, ils avaient dit qu’ils n’étaient pas sûrs de venir — pendant que tout ceci se produit sous mes yeux et, hélas, mes oreilles, à la fois la musique et le cirque de mes voisines d’un soir, je pense à toutes ces chroniques dans lesquelles je me suis lancé et dont je ne pense pas nécessairement le plus grand bien, après-coup, et d’ailleurs il n’y a pas de table de correspondance qui veuille que les chroniques à propos d’événements qi m’ont enthousiasmé soient des chroniques enthousiasmantes et même je crois que, parmi les plus réussies, il doit y en avoir qui ont attrait à des évenements minuscules.

    Par moments les musiciens jouent des passages plus heureux que d’autres, le batteur en met un peu moins partout et joue désormais sur les timbres, le bassiste brode de façon plus claire, moins brouillone et Fred Frith tire de sa guitare quelques sonorités d’un monde dans lequel il se rend parfois, mais dont il oublie parfois aussi comment on fait pour y retourner et là je suis entièrement avec eux, je me dis ça y est ils décollent, et je décolle avec eux, je ferme les yeux pour être sûr de ne pas être sollicité par le dernier message de téléphone de poche de ma voisine, décidément cela n’a pas l’air d’aller hyper fort avec son nouveau petit copain, mais voilà la musique, finalement, ne va pas si loin que cela, alors je me dis que c’est comme quand dans le garage j’essaye des trucs qui ne fonctionnent finalement pas mais pour lesquels j’avais nourri des espoirs, presque fous, déraisonnables souvent, et puis, au contraire, une idée que je trouverais presque décorative que je mets en branle quasiment par ennui, ou juste pour voir, par curiosité, et cela devient, a contrario, une nouvelle piste à suivre, et finalement est-ce que ce n’est pas cela justement que Fred Frith fait chaque fois qu’il monte sur scène : des tentatives pas toutes vouées au succès. Je me demande si ce n’est pas cela que j’aime par dessus tout dans sa musique, au delà même des réussites exemplaires telles que l’album Clearing .

    Et sinon même si le concert de ce soir n’était pas la plus lumineuse des réussites, je crois qu’on l’aura compris, et que ma jeune voisine est un peu au bord des larmes, je me demande si ce n’est pas fini avec le nouveau Jules, du coup, je me dis qu’il n’est pas urgent de tenter de lui expliquer que son comportement pendant un concert n’est pas optimal, le disque qui marque la collaboration entre ces trois musiciens est lui au contraire très écoutable. Another day in fucking paradise . Oui, c’est ça, juste un autre jour au putain de paradis. Avec Fred Frith.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/invites/daniel_van_de_velde/index.htm

    J – 80 : Quel plaisir d’aller chercher mon ami Daniel à la gare et comme souvent avec lui, nous ne sommes pas arrivés depuis deux minutes à la maison, j’ai à peine eu le temps de remettre au four, couvertes d’aluminium, les tomates farcies, qu’il me remet déjà un exemplaire de son dernier recueil de poèmes visuels de même qu’un exemplaire du dernier numéro de la revue Nuire dont il est le secrétaire particulièrement actif et enthousiaste.

    Et je découvre donc, pendant que Daniel se régale de mes tomates farcies, dont il m’apprend que c’est son plat préféré, son dernier recueil, Numérique a minima . Et c’est tout un monde qui me saute au visage presque, celui de la poésie visuelle qui, si Daniel ne m’en avait pas parlé plus ou moins la dernière fois que nous nous sommes vus chez lui aux Vayacs, océan visuel donc dans lequel j’avais plongé la tête la première en donnant à Daniel les moyens de mettre en ligne un premier recueil numérique dans le Désordre , pour son plus grand contentement, sans tout cela donc, je n’aurais jamais eu la moindre idée que ce fût là une manière de 17ème art. J’avais bien entendu parler des travaux de Julien Blaine, je ne suis plus très bien par quel biais nécessairement poétique, ou encore, cela tombait bien il était prévu que nous allions à son exposition, des poèmes de Carl André, et sans doute aussi de quelques poèmes visuels vus/lus ici ou là, mais dont j’aurais été bien en peine d’en nommer les maternités.

    Et j’imagine que c’est un peu, toutes proportions mal gardées comme si je découvrais un champ artistique de la taille d’un continent, à l’âge de 52 ans, soit quatre adolescences de 13 ans, juste après en avoir vécu trois de 17ans.

    Dans le travail de Daniel, aussi bien celui de sculpture que celui donc de la poésie, pas nécessairement visuelle, donc, je suis toujours frappé par la très grande pertinence de son travail, ses choix, les grandes directions du travail parfaitement sous tendues par le travail en lui-même ou comment un travail et une patience de fourmi, du lettre à lettre sur de grands panneaux, finit par dessiner de grands poèmes, visuels, assurément visuels, comme si l’énergie propre à un mot, à une expression, un nom de lieu, était soudainement libéré de la bouteille trop étroite qui le contenait et que tous ses sens finissaient par résonner. Et je vois bien ce qu’il y a de précisément poétique à cette libération et la démultiplication qu’elle engendre, le poème n’est-ce pas cette phrase que l’on a dépouillée de tout et qui, décharnée à l’extrême, permet à chacun de ses mots de chanter, de recouvrir tous les sens que ce mot contient, et de pouvoir, enfin, peindre des impressions, par exemple, mais seulement des impressions, sans lester ces dernières au point de les anéantir.

    Et il faut pour produire de tels poèmes justement un esprit comme celui de Daniel, un esprit à la fois aux aguets, jamais tout à fait tranquille, capable de percevoir chaque infime nuance, et d’avoir le courage de certaines répétitions pour justement produire de tels poèmes, certains qui ne contiennent qu’un seul mot, deux, quelques-uns et ce sont des univers ouverts dans lesquels le lecteur est happé. Irrémédiablement. Des énigmes et des miracles. Rien moins. Et ce n’est pas grand chose. Tout en étant tout à la fois.

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  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/055.htm

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/20170207_apnees_suresnes.mp3

    J-83 : Il y a arriver de bonne heure et trouver une scène sur laquelle Nicolas le technicien de la médiathèque a tout préparé avec soin, il n’y a vraiment plus qu’à brancher nos différents équipements.

    Il y a s’installer, brancher, mettre en route, vérifier et projeter en grand, en très grand même, ce que dans le garage je projetais sur une feuille de format raisin.

    Il y a lutter, pendant quarante-cinq minutes, contre un incident technique, un câble défectueux, mais dans un tel plat de spaghetti de câbles, il n’est pas facile de trouver le segment défaillant.

    Il y a, finalement, trouver le câble coupable, le remplacer et constater que tout rentrer dans l’ordre, mais toute la journée et le soir il y aura en arrière-pensée la possibilité pour que l’incident se produise à nouveau, et au pire moment. Même si je n’ai jamais eu à souffrir vraiment d’un tel incident pendant un spectacle, si, une petite fois à Montbéliard, c’est ce que je déteste par-dessus tout dans la production de spectacle, la possibilité du plantage technique, et justement les plats de spaghetti que dessinent nos assemblages de câble me donnent souvent du souci. Et mais si je sais qu’en pareille situation, comme se plait à me répéter chaque fois Dominique, il y a toujours le recours possible au solo de batterie, à vrai dire étant donné que plus cela va et plus le set de Michele se rapetisse au profit de davantage et davantage d’électronique et de numérique, la pensée n’est pas tellement rassurante, en fait.

    Il y a aller chercher les musiciens sur la grand place de l’Etoile et serrer dans le coffre instruments et équipement, se dire que ce n’est pas tous les jours que l’on transporte à la fois l’arsenal de cymbales de Michele et le violon de Dominique, sans parler, évidemment, de Michele et de Dominique eux-mêmes.

    Il y a les regarder s’installer, et surtout les écouter s’installer, parfois en ces moments de tests et de balance il y a des sonorités produites que l’on ne retrouvera pas pendant les répétitions ou le spectacle.

    Il y a les blagues un peu potaches entre nous, quand messieurs les musiciens seront prêts, quand monsieur le petit projectionniste voudra bien, je crois que l’on peut aller manger, qui chaque fois installent la bonne humeur pour la journée.

    Il y a ce retroussement de manche et rejet de tête en arrière typiques de Dominique qui indique que c’est bon, les réglages sont faits et on va pouvoir travailler.

    Il y a les réponses toujours gentilles et polies de Michele aux techniciens qui pourraient lui annoncer que rien ne marche et Michele avec son accent italien dirait toujours que ce n’est pas grave, il va se débrouiller, en fait quand on creuse un peu on s’aperçoit que Michele est une boule de nerfs. Qu’il est tendu comme un arc.

    Il y a la dernière installation de chacun dans ses protocoles avant de se lancer dans un filage de débourrage. Et là cela devient magique, pour moi en tout cas, c’est comme si ces deux-là, mon grand et mon petit frère bruitaient et sous titraient mes séquences et que ces dernières devenaient ce qu’elles rêvaient depuis toujours d’être.

    Il y a notre sourire de satisfaction après ce filage très réussi : on sait vraiment le faire, eux ont leurs moments de liberté et je suis en train d’emménager les miens. Je crois que l’on peut aller manger.

    Il y a Dominique qui fait ses gammes, ses échauffements à base de Bach.

    Le soir, il y a ce moment en coulisses où Dominique joue un vieux standard de Wayne Shorter que Michele reconnaît, puis il y a Dominique qui nous surprend en jouant fort bien une musique épouvantable, celle de la Liste de Shindler telle qu’il a tendue Anne-Sophie Mutter la jouer.

    Il y a monter sur scène, pendant que le poisson et la musique du prologue tournent.

    Il y a ce moment où ça commence. Piano. Je commence par réduire la couche d’alpha tout en insinuant par-dessous les images du tableau suivant, celui des Croutes dorées et puis il y a jouer avec les hauteurs de notes de Dominique et sa réaction comprenant que c’est quasiment lui qui fait explorer le tableau.

    Il y a cette fascination à découvrir les effets aléatoires sur mes images et la façon dont eux deux interprètent ce hasard et m’aident à le canaliser, j’aime par-dessus tout cette façon dont nous pouvons compter les uns sur les autres, cette façon par laquelle nous sommes présents les uns aux autres.

    Il y a les moments intenses, le passage de la guerre notamment, celui où je suis le plus avec eux, il y a le retrait progressif diminuendo de l’image de la bouche et la façon admirable avec laquelle Michele souligne et accompagne ce diminuendo , il y a les moments pendant lesquels la musique se fait très dense, étouffante et je tombe sur les bonnes images.

    Il y a la dernière ligne droite dans laquelle je rentre trop vite. Trop impatient sans doute.

    Il y a cette réaction magnifique de Dominique et Michele qui ont pigé mon erreur et qui s’adaptent.

    Il y a les applaudissements dans le public (et la petite voix de Sara juste derrière moi).

    Il y a le salut.

    Et il y a le grand éclat de rire en coulisse à cause de mon erreur qui a grandement raccourci le spectacle.

    Il n’y a pas assez de moments de cette sorte dans la vie. Mais un seul de ces moments justifie bien des choses.

    #qui_ca

  • J – 85 : À Bailleul sur le trottoir, je procède au remplacement de mes deux feux de croisement, opération simple, parfois malaisée mais pas complexe, rendue extraordinairement difficile à faire soi-même en grande partie parce que la conception même de la simple ouverture du capot a été étudiée pour en interdire l’accès au conducteur et on voit bien à qui profite le crime. La dernière fois que j’ai voulu ouvrir le capot, j’avais fini par casser tout bonnement la languette de plastique qui permet d’actionner, non sans s’être amplement pincé la main, le mécanisme d’ouverture du capot, depuis, paradoxalement l’ouverture de ce dernier est plus facile si l’on se sert d’une assez longue tige d’acier pour crocheter le mécanisme, ce qui, sous le crachin de ce dimanche matin, dans le Nord, n’est pas très agréable à faire. Une grosse dame d’allure bien flamande passe par là et comme elle me voit un peu à la peine, avec un très bel accent du Ch’Nord, elle me dit, des fois on cherche hein jeune homme ! Ce qui a le don de me détendre et du coup je finis par attraper le crochet de sécurité avec ma tringle en métal et j’ouvre finalement le capot, et brin des fois on trouve , je lui réponds et c’est elle que cela fait bien rire. Je tenais absolument à décrire ce passage, dont d’ailleurs je ne sais que faire dans mon récit, mais je voulais absolument préserver cet échange de rire avec cette grosse dame flamande.

    Sur le chemin du retour, je parviens à synchroniser une chouette rencontre trop rapide, le temps d’un café, à Lille, avec @aude_v, qui avait remarquablement choisi son café pour être à quelques encablures seulement de la porte de Loos, que je connais bien, et dans un café fort calme dans lequel il a été possible de faire connaissance, même brève, avec cette dame-que-nous-ne-connaissons-pas comme a dit Nathan. Mais en fait si, Nathan, tu sais Aude je la connais quand même un peu. Mais comment expliquer cela Nathan ?

    Retour silencieux avec Nathan qui m’a dit qu’il ferait son possible pour ne pas me déconcentrer — vu qu’il pleut et que c’est pas facile quand il pleut, selon son expression —, sous des trombes de pluie donc, jusqu’à Arras ou Bapaume, puis sur une route plus sèche heureusement, je trouve un certain contentement à ce que mes feux de croisement éclairent très bien les quelques mètres vitaux au-devant de moi et j’emmène avec moi le souvenir de la grosse dame flamande. Oui, des fois on cherche .

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/054.htm

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/agnel_minton.mp3

    J – 89 : Une jolie dame brune, habillée comme toutes les jolies dames en hiver, un loden sombre sur les épaules sur lesquelles est accroché un sac de dame, sorte de grande fourre-tout, dans lequel les dames puisent, souvent en aveugle, les accessoires qui font d’elles des dames, beaucoup plus rarement de ces sacs elles tirent des balles de ping-pong, du fil de fer, des baguettes de bois, une mailloche, une enclume, un vibrato électrique — habituellement l’apanage des guitaristes électriques —, quelques objets contondants, un peigne, une enclume de secours, dingue tout ce que l’on peut sortir dans le sac d’une dame et que cette dernière, et quelle dame ! dispose sur les côtés du Bösendorfer des Instants Chavirés qui doit trembler en se demandant ce qu’il va prendre à nouveau et qu’est-ce qu’on va encore essayer de tirer de lui ce soir ? et, les outils de la dame étant disposés sur les flancs du piano, elle se penche sous le capot comme le fait un garagiste, et effectivement tel un garagiste triture avec science un ou deux câbles, putain c’est encore la tête de delco qui fuit, rebouchonne le merdier, remet le contact, la la la la, oui, c’est bon ça sonne, sourire amusé de cette jolie dame, Sophie Agnel, merveilleuse pianiste qui remet son manteau pour ressortir aller en griller une et qu’on l’appelle quand on aura besoin d’elle.

    Ce qui finit par se produire quand Phil Minton, délicieux vieux monsieur anglais, finit par s’installer sur son siège haut de bar face à un microphone auquel il va raconter des histoires à dormir debout tout en chuintements, sifflements, raclements de gorge, soupirs, respirations exaltées, reniflements, percussion des cordes vocales, vocalises, fredonnements, chant, chuchotements, paroles inaudibles, charabia, tachycardie, imitations, appeaux vocaux, expectorations, claquements de la langue, claquements des dents, grincement des dents, percussion de la langue contre les dents, léchage sonore des babines, mimiques diverses pas toutes sonores, paroles qui lui passent par la tête, imitation, très drôle, de Donald Duck, roucoulements, amples respirations, expirations modulées, vibrations diverses de la gorge, tapes sur les joues, enfoncement de la langue dans les joues, grattements de la barbe très amplifiés, fermeture très outrée des lèvres, clapotements d’on ne sait pas d’où ils viennent, rythmes de gorge divers, circulation bruyante de la salive dans les bajoues, hésitations puis de nouveau, murmures et conciliabules, sifflements de comptines et de Nursery Rhymes, bref un arsenal assez exhaustif de ventriloquie bouche ouverte.

    Le délicieux vieux monsieur anglais et la belle dame ont l’air de très bien s’entendre que c’en est fusionnel entre eux, ils se relancent sans cesse, s’interrogent en commun, tentent, essayent, ratent, essayent encore, ratent encore, ratent mieux, divaguent et digressent, reviennent au carré un, recommencent, sautent des passages, improvisent et inventent, dialoguent, ne sont pas d’accord sur tout, mais s’entendent sur l’essentiel, démarrent au car de Tours, ou manquent de concert le train pour Caen, essayent des nouveaux trucs, cherchent à étonner, séduire désarçonner l’autre, hésitent, ne peuvent plus avancer mais avancent, se jettent dans le vide ensemble mais ne tombent pas, se relèvent, partent en croisière sans quitter le port, partent à la pêche au gros et trouvent des champignons, partent à la chasse et gardent leur place, échangent des points de vue, pèsent et soupèsent, trient ou mélangent c’est selon, assemblent et construisent, puis démolissent avec de grands gestes empressés ou au contraire sabotent en silence, échangent de place sans bouger ? ce qui n’est pas le plus piètre de leurs tours, quand on ne sait plus bien qui produit quelle sonorité ? se disputent et se rabibochent, s’aiment et s’admirent même, se sourient, rient sous cape, ont peur, n’ont plus peur, affrontent les grandes décisions, partent mais ne bougent pas. Rideau.

    C’est ensuite une jeune femme qui se joint au vieux monsieur anglais, Audrey Chen, et là pareil, mais à deux et sans piano, amples respirations, expirations modulées, appeaux vocaux, chant, charabia, chuchotements, chuintements, circulation bruyante de la salive dans les bajoues, clapotements d’on ne sait pas d’où ils viennent, claquements de la langue, claquements des dents, enfoncement de la langue dans les joues, expectorations, fermeture très outrée des lèvres, fredonnements, grattements de la barbe très amplifiés, grincement des dents, hésitations puis de nouveau, imitation, très drôle, de grimaces de Donald Trump, imitations, léchage sonore des babines, mimiques diverses pas toutes sonores, murmures et conciliabules, paroles inaudibles, paroles qui lui passent par la tête, percussion de la langue contre les dents, percussion des cordes vocales, raclements de gorge, reniflements, respirations exaltées, roucoulements, rythmes de gorge divers, sifflements de comptines et de Haïkus de Ryôkan, sifflements, soupirs, tachycardie, tapes sur les joues, vibrations diverses de la gorge, vocalises, essais et débats à propos de la ventriloquie en milieu ouvert, on dira que la jeune femme a plus de capacités, notamment purement sonore, mais elle n’a pas encore l’imagination débridée du vieux monsieur.

    Pause d’un quart qui dure une demi-heure.

    Ensuite ils ont fait un peu comme on fait au bureau, une réunion de synthèse mais ils sont cependant procédé très différemment, d’abord le patron si tant est qu’il y en est un, disons que ce soit Phil Minton, puissance invitante est resté en retrait pour bien écouter Sophie Agnel jouer avec Audrey Chen, puis quand elles étaient bien lancées sur un bon rythme de croisière pour ce qui est d’affronter les grandes décisions, assembler et construire, avoir peur, chercher à étonner, démarrer au car de Tours, désarçonner l’autre, dialoguer, digresser, divaguer, échanger de place sans bouger, échanger des points de vue, essayer des nouveaux trucs, essayer encore, essayer, hésiter, improviser, inventer, mais avancer, mais ne pas tomber, mais s’entendre sur l’essentiel, ne pas être d’accord sur tout, ne plus avoir peur, ne plus pouvoir avancer, ou au contraire saboter en silence, ou manquer de concert le train pour Caen, partir, partir à la chasse et garder sa place, partir à la pêche au gros et trouver des champignons, partir en croisière sans quitter le port, peser et soupeser, puis démolir avec de grands gestes empressés, rater encore, rater mieux, rater, recommencer, revenir au carré un, rire sous cape, s’admirer même, s’aimer, s’interroger en commun, sauter des passages, se disputer, se jeter dans le vide ensemble, se rabibocher, se relancer sans cesse, se relever, se sourire, séduire, tenter, trier ou mélanger c’est selon, il est venu progressivement ajouter son grain de sel qui ne manquait pas de sel et emmener, les trois ensemble, ce trio vers des rivages inconnus, pas tous beaux, certains oui, tous inconnus, jamais foulés. Rideau.

    Tonnerre d’applaudissements. Mérités. Je suis reparti des Instants en empochant vivement le disque de Phil Minton avec Sophie Agnel que j’écoute en boucle depuis et donc depuis je vis dans un monde infiniment décalé, un monde dans lequel les objets ne produisent pas les sonorités que l’on attend d’eux, une verre en tombant et en se brisant fait le bruit du vent qui lorsque ce dernier souffle et me décoiffe produit le son de mes doigts sur le clavier lequel me renvoie des chants d’oiseaux, lesquels en piaillant font des bruits de démarreurs poussifs un matin d’hiver, monde curieux dans lequel les uns et les autres échangent librement dans des langues de Pentecôte, des lambeaux d’affiche sur les panneaux de la ville ont tenté, un moment, sans succès d’attirer notre attention sur la nécessité de remplacer l’ancien chef par un nouveau chef, nous les ignorons tous en suivant, médusés, les mimiques du vieux monsieur anglais délicieux.

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/052.htm

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2014/sons/20140924_jacques_demierre001.mp3

    J – 95 : C’est rare mais cela peut arriver : la première partie d’un concert est d’un intérêt supérieur à la seconde partie qui elle avait motivé que vous ressortiez de chez vous par un froid mordant. Ainsi je voulais aller écouter Jonas Kocher à l’accordéon accompagné de Joke Lanz aux platines, en grande partie parce que j’avais été estomaqué par le jeu de Jonas Kocher en trio avec Jacques Demierre au piano et Axel Dörner à la trompette, cette fois je n’aurais pas été déçu nécessairement, en tout cas pas par le jeu toujours extraordinaire de Jonas Kocher, mais déçu parce qu’il m’a semblé qu’en une poignée de minutes Joke Lanz avait soit montré les limites de son dispositif, soit les siennes et que d’une certaine manière Jonas Kocher a donc été incapable de tirer ces dix minutes vers l’heure de jeu tout en nous maintenant captif de son jeu. En soi ce n’est pas un mauvais concert, juste une association qui ne fonctionne pas. Pas bien. Et justement rien à voir (et entendre) avec le trio avec Jacques Demierre et Axel Dörner dont je découvre, par bonheur, deux ans et quelques plus tard, qu’il a été enregistré, et très bien enregistré au vu des difficultés insignes que doit représenter un enregistrement d’une musique qui laisse une certaine part à l’à peine audible.

    En revanche, en première partie, Johanny Melloul (graphiste) et Ogrob (boutons) avaient par ailleurs, ce qui n’était pas prévu au programme mais qui a été infiniment heureux, invité Annie Lam, danseuse buto, laquelle est montée sur la scène au fond de laquelle un écran avait été tendu sur lequel un vidéo projecteur, dans un premier temps envoyait une lumière blanche un peu âpre dont on comprenait sans mal que c’était l’image renvoyée par une caméra filmant une grande feuille blanche au banc titre. Après une dizaine de minutes d’un solo de danse en silence, n’était-ce le bruit de la respiration rauque de la danseuse, des petits grattements se sont fait entendre d’abord doucement et dont on a vite compris qu’ils étaient produits par les feutres avec lesquels Johanny Melloul dessinait, épousant le corps de la danseuse, frottement et grattements qui n’ont pas tardé à être amplifiés et triturés par Ogrob aux boutons, danse, images et sons se renvoyant sans cesse les uns aux autres dans une spirale ascendante vertigineuse. Par moments on voyait les avant-bras de Johanny Melloul faire irruption dans l’image se mélangeant à la fois avec le corps de la danseuse et aussi par échange de tatouages, ceux, discrets, du graphiste sur les avant-bras et ceux de la danseuse, sur tout le corps, des épaules aux mollets. Il est assez difficile de décrire en quelques mots les sensations du spectateur devant cette osmose entre les trois artistes, mais il n’y avait pas que le plaisir esthétique de cette affaire qui entrait en jeu, rendant cette œuvre tricéphale admirablement émouvante, fragile et merveilleuse à la fois et condamnant les spectateurs à une certaine forme de mutisme bêtifiant : c’est beau. En tout cas le spectateur que je suis, qui, par ailleurs, n’a, pour ainsi dire, aucune connaissance en matière de Buto qui permettrait d’étayer un peu le propos, au delà du c’est beau. C’est merveilleux.

    Et en dépit du fait que c’était effectivement beau et merveilleux, sans compter, et c’est peut-être là que se tient le magique de ce spectacle : une tension de tous les diables. Avec trois fois rien. Du papier et des feutres, une danseuse nue et une console MIDI et d’autres tableaux pleins à craquer de fiches comme celles des opératrices du 22 à Asnières.

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  • J – 102 : Telle est l’incroyable grandeur de la scène des Instants chavirés . Pendant les trois prochaines semaines la programmation est compacte et sans fissures et cela commence donc ce soir avec le duo de Fred Van Rohe (piano — le Bösendorfer des Instants qui en aura vu de toutes les couleurs quand on y pense) et Roger Turner (batterie non limitative).

    Fred Van Rohe est un très vieux monsieur, il a l’âge de mon père, qui se hisse avec peine mais envie sur la scène via le petit escalier des Instants, mais une fois calé derrière le piano, il est comme un gamin et c’est tout juste s’il attend que son jeune, plus jeune que lui, batteur s’installer derrière ses fûts, Roger Turner est un type de grande taille qui joue sur une toute petite batterie, ses genoux en enserrant la caisse claire ne cessent de butter contre les limites de la grosse caisse, un adulte qui tenterait à tout prix d’enfourcher le vélo de son enfant, donc à peine assis Fred Van Rohe démarre d’abord piano, pour rapidement entrer dans le vif du sujet, une sorte de Cecil Taylor mâtiné de Steve Reich.

    Ma surprise vient surtout du jeu de Roger Turner qui est à la fois arythmique (quand on exclue quelques drives de cymbale dont on peut se demander s’ils ne servent pas surtout, mais pas seulement, à patienter pendant qu’il farfouille dans un arsenal pléthorique d’objets contondants et de cymbales à main et autres petits objets au rapport bruit/taille avantageux) et pas toujours très percussif, Roger Turner promène et fait survoler baguettes, tiges en acier et balais sur un set selon des gestes qui sont dû lui demander quelques journées d’entraînement pour parvenir à pareillement les canaliser, les repères rythmiques sont presque inexistants et on assiste à une inversion des rôles quasiment entre le piano qui sert de boussole et la batterie qui brode.

    Je repense à un très lointain concert de Paul Bley et John Surman, Gary Peacock à la contrebasse et donc Toni Oxley à la batterie, l’installation du set de ce dernier ayant pris trois bons quarts d’heures, cela commençait à siffler un peu dans la salle mais nous avons tous fini par comprendre que cette installation avait tout son sens parce qu’elle ne cessait d’anticiper les ricochets entre cymbales et timbales

    Les deux musiciens ne semblent pas beaucoup échanger, pas même quelques regards et il est étonnant de les entendre se retrouver sans mal pour des fins cut de morceaux au long cours. C’est une musique passionnante qui est fabriquée littéralement sous nos oreilles, entièrement improvisée selon des grammaires acquises depuis longtemps, plus jamais révisées, tenues pour correctes et non fautives depuis des lustres, ce qu’ils jouent-là n’aurait rien à voir s’ils l’avaient joué une heure plus tôt ou une heure plus tard, en cela c’est une matière brute que l’on débite à intervalles données laissant à voir des tranches sans cesse changeantes, comme le sont les sculptures de Ulrich Rückheim.

    Et l’un des grands bonheurs des Instants c’est de pouvoir être le nez sur ce que font les musiciens ou encore d’engager librement la conversation avec eux à la fin du concert, ne serait-ce que pour les remercier de certains de ces voyages invraisemblables dans lesquels ils nous entraînent.

    Fred Van Rohe :
    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/van_rohe_gratkowski_oxley.mp3

    Roger Turner :
    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/sons/turner_yoshihide.mp3

    Les deux, ensemble :
    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/049.htm

    #qui_ca

  • J – 123 : Je ne sais pas comment vous faites, vous, mais moi, quand un programme, un logiciel, une fonctionnalité, ou quoi que ce soit de ce genre me résiste, je finis par aller regarder dans le menu d’aide, mais je ne pourrais jamais dire que j’y trouve toujours ce que je venu chercher. Depuis qu’internet existe aussi massivement qu’aujourd’hui (c’est-à-dire qu’on y trouve à peu près tout ce que l’on cherche et souvent au-delà), quand le menu d’aide n’est pas suffisamment aidant, je me rencarde sur internet et je finis toujours par trouver plus ou moins ce que je cherche en termes d’explications avec parfois des copies d’écran qui me permettent de mieux comprendre comment on atteint telle ou telle figure. Depuis quelques années de tels vecteurs d’aide prennent désormais la forme de vidéos et pour certaines choses c’est même la seule voie possible. En général cela ne fait pas mon affaire, la parole étant pour moi le pire des véhicules, je ne comprends pas toujours bien ce qu’on me dit, je préfère le lire à mon rythme. Sans compter que dans ces vidéographies, le plus souvent réalisées par des amateurs qui touchent leur bille, certes, il y a une façon d’expliquer qui ne va pas toujours dans le sens de la clarté, je ne jette la pierre à personne, quand j’explique quoi que ce soit, singulièrement à mes enfants, personne ne comprend jamais rien, et surtout pas mes enfants pourtant habitués à mes nébuleuses. Les choses s’enveniment d’autant à mes yeux que c’est désormais une tendance lourde, les apprentis sorciers aiment beaucoup s’écouter pisser sur les feuilles, en fait je crois même qu’ils s’aiment tout court énormément. Et donc je pense que pour moi il n’y a pas pire torture que de devoir regarder une telle vidéographie parce que je ne parviens pas du tout à obtenir tel effet dans le logiciel de retouche d’images numériques, ou plus souvent encore, exporter telle ou telle séquence vidéographique dans un format qui est ensuite pleinement reconnu par mon programme de projection, couche alpha comprise. Certaines soirées sont exécrables dans le garage, vous n’avez pas idée, surtout quand ces dernières sont entièrement mangées par une quête pas toujours atteinte, loin s’en faut, d’un résultat dont j’aurais pourtant jugé de prime abord que ce n’était pas la mer à boire, il m’arrive parfois même de jurer ou d’avoir des paroles déconcertantes de bêtise ou même d’impolitesse envers Guy, mon ordinateur s’appelle Guy. Et ces derniers temps j’étais à la recherche d’un effet dans le logiciel d’animation qui pourrait donner le sentiment qu’un texte qui s’affiche progressivement à l’écran est tapé à la machine à écrire — pour donner le sentiment au spectateur d’ Apnées que c’est ce que je suis en train de faire pendant que les deux autres, qui au violon, qui aux percussions, se débattent, eux aussi, avec leurs machines à calculer. Oh, j’en ai bien trouvé de ces tutoriaux vidéographiques, mais aucun au début duquel ne figure pas tout un laïus de bonimenteur dans lequel l’amateur nous explique comment les choses sont paramétrées dans son logiciel et pourquoi il a fait en sorte qu’elles s’affichent de cette manière et pourquoi il nous recommanderait peut-être d’en faire autant, bien que le seul argument qu’il déploie effectivement pour nous convaincre c’est que cela fait plus joli, ce dont on pourrait discuter. Bref quand l’amateur décorateur d’interface de programme, en vient au nœud du problème, les explications sont alors d’une rapidité déconcertantes un peu comme si un prestidigitateur faisant semblant de vous expliquer comment il produit son tour, en n’ayant absolument pas l’intention de vous révéler quoi que ce soit, après tout c’est son fonds de commerce. Dix minutes d’explications à propos de telle ou telle façon d’agencer les icônes des outils dans le logiciel de retouche d’images numérique et une fraction de seconde que vous pouvez difficilement passer au ralenti sur le site de partage de documents vidéographiques : après quoi l’humeur dans le garage est morose, vous n’avez pas idée.

    J’étais donc bernique dans l’eau, comme on ne dit pas, après avoir, dans un premier temps, tenté de trouver, seul, dans le logiciel d’animation une manière de m’y prendre, puis avoir remué ciel et terre dans le logiciel avoir compulsé le menu d’aide pour comprendre que je ne comprenais pas, avoir tenté de chercher des explications écrites sur internet, regardé deux de ces vidéographiques à la gloire de leurs auteurs amateurs, fini par me souvenir que mon voisin d’en face était animateur de métier et comme justement il passait dans la rue, dis Nicolas, toi qui es de la partie j’essaye d’utiliser un effet de machine à écrire en animation, je ne m’en sors pas tout seul est-ce que tu pourrais passer un petit moment dans le garage avec moi pour me montrer comment on fait ?

    -- Pas de problème.

    C’est tout moi chercher au mauvais endroit (internet) ce que je pourrais facilement trouver en face, chez Nicolas-de-chez-Smith-en-face.

    Donc effectivement Nicolas a vite réglé mon problème qui n’en était pas un et je suis désormais en possession de l’extrait vidéographique dont j’ai besoin pour Apnées (http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/043.htm ).

    Mais ce que j’ai vu par ailleurs, c’est la façon dont mon voisin Nicolas a pris possession de l’outil d’animation dont je croyais jusqu’à présent qu’il servait essentiellement à être chargé de collections d’images séquencées et de produire, moyennant un peu de paramétrage, des fichiers vidéographiques résultant de cette animation, bref une sorte d’objet bidimensionnel. Mais en quelques clics, Nicolas a déplié l’outil qui s’est littéralement creusé sous mes yeux pour devenir une véritable machine temporelle truffée de petits chronomètres, de déclencheurs s’appliquant à des calques, bref une véritable féérie d’images, un processus capable de produire des étincelles en vrai. Et je disposais d’une telle magie dans le garage en en ignorant tout.

    Et lorsque Nicolas et moi remontons du garage, une petite demi-heure plus tard, Nicolas m’assure que surtout si je rencontre de nouvelles difficultés, il se fera un plaisir de m’aider. On ne pourrait rêver mieux non ?

    Je n’en suis pas si sûr. En fait la boîte de Pandore telle qu’elle a été entre ouverte par mon voisin Nicolas est une boîte à double fond. Je ne peux m’empêcher de regretter de n’avoir pas connu l’existence de telles choses bien avant, disons, il y a une quinzaine d’années, si tant est que de tels outils existaient alors sous cette forme incroyablement performante. Et, taraudé par un tel regret, je suis également assailli par cette pensée triste que je ne sois pas certain que je puisse aujourd’hui démarrer une nouvelle carrière, une carrière de vidéaste en somme. Que n’ai-je suivi Daphna quand elle optait pour la section vidéo en seconde année aux Arts Déco, plutôt que d’aller m’enterrer dans la section photo ! Et c’est curieux, comme je remarque que de plus en plus souvent de telles pensées semblent m’entourer et me cerner de plus en plus près. Je ferai bien de surveiller de tels effets de fossilisation chez moi.

    Mais quand j’y pense ce n’est peut-être pas entièrement un problème de vieillissement ou d’âge, en y pensant bien, j’ai toujours eu un tel sentiment, celui que je n’aurais jamais l’occasion de faire tout ce que j’aimerais faire de ma vie. Et pourtant j’essaye.

    Allez du nerf mon gars !

    Exercice #65 de Henry Carroll : Associez deux images pour créer quelque chose de surréaliste

    #qui_ca

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/videos/039.htm

    J – 141

    Choses vues et entendues en allant faire les courses de Noël avec les enfants un dimanche après-midi, froid de canard, dans un vaste centre commercial, une fois par an, cela fait plaisir aux enfants qu’exceptionnellement je gâte, d’autant qu’ils sont hyper conscients de ce que je m’impose pour leur offrir qui une paire de chaussures convoitée, qui une salopette, qui des tshirts avec quelques impressions dessus qui permettent par la suite de ne pas trop dépareiller dans son établissement.

    Des enfants, plein, qui hurlent, qui pleurent, qui courent en tous sens, des parents à la traîne de ces enfants, menaçant, invectivant, frappant, un peu, pas trop fort, avec des regards alentours pour voir si des fois cela ne serait pas passé inaperçu.

    Des coupes de cheveux de pousseurs de citrouille, il semble que la barbe de bûcheron d’Amérique du Nord qui faisait tellement fureur ces derniers temps soit en train de refluer un peu, je vous dis cela je ne peux pas dire que je suive ces choses-là avec beaucoup d’attention.

    Des jeunes gens avec des sourires étincelants pour vous accueillir dans un immense magasin où quelques petits objets électroniques sont présentés sur des écrins de verre, comme le seraient des bijoux dans une bijouterie du XXIIIème siècle, je crois que l’on appelle cela un magasin pomme .

    Des parents qui prennent en photo leurs enfants à tout bout de champ à l’aide de leur téléphone de poche. Quelques perches qui permettent de se prendre soi-même en photo, je crois que l’on appelle cela des perches à autoportraits.

    Des vendeurs de chaussures de sport qui ne comprennent pas la question et ce modèle ci, vous l’auriez dans une demi pointure supplémentaire ? Et pareillement, vous peinez à comprendre les explications de ces jeunes gens en uniformes, apparemment on ne dit plus vraiment chaussures de sport, pas même basket que j’aurais jugé trop familier de prime abord, je crois qu’on dit sneakers , ce qui est, en anglais plus proche de pantoufle d’extérieur, mais pas d’argutie.

    Les mêmes vendeurs qui portent et déballent sous vos yeux de leur parallélépipèdes de carton des chaussures de sport comme si c’était d’inestimables trésors et qui vous regardent de travers quand vous demandez à pouvoir essayer les DEUX chaussures et qui ne comprennent pas vos explications que votre fille pourrait avoir un pied plus fort que l’autre, ben tout le monde a un côté plus fort que l’autre, certes, mais j’entendais, plus fort dans le sens, un peu plus gros que l’autre, tête du vendeur.

    Une caissière qui s’excuse de devoir vous faire patienter pour remplir un formulaire invraisemblable de commande d’un certain modèle dans une certaine pointure, la caissière à la différence du jeune vendeur comprend le mot pointure, vous ironisez, qu’est-ce que ce serait si nous étions venus acheter un bijou ? Elle s’excuse encore, dit qu’elle ne peut pas faire autrement qu’elle a toute une procédure à suivre, qu’elle on lui demande de ne pas penser mais de suivre la procédure, vous, vieux bonhomme, ne vous dépréciez pas Madame, vous valez bien plus que ce que vous faites aujourd’hui, c’est gentil Monsieur. Un superviseur s’approchant, sentant sans doute que trop de sympathie est en train de s’installer entre une préposée et un client.

    Des armoires à glace à talkie-walkie interdire certains accès au parking du centre commercial, mais incapables de réguler l’embouteillage que cela générait.

    Des enfants s’écrier, regarde il y a les pères Noël en bas et effectivement des employés habillés de costumes rouges ridicules sortaient de leur coursive et s’éparpillaient dans le centre commercial. Il y aurait donc plusieurs pères Noël.

    La gentillesse et la patience d’une caissière envers Nathan qui ne savait pas très bien comment demander que ses habits soient emballés, lui proposant diverses solutions, et Nathan choisissant sans choisir, son sourire, puis son sourire par-dessus l’épaule de Nathan pour moi.

    Le fou rire du vendeur de jean en écoutant les remarques d’Adèle qui tâchait de lui faire comprendre que quand même ce serait bien si elle prenait la taille au-dessus et qu’elle n’avait pas fini de grandir et qu’une salopette c’était pour la vie. On s’est bien amusé avec ce vendeur il faut dire.

    Un enfant renverser un paquet dont l’intérieur a produit un bruit de bris, et la tarte qu’il a reçue de sa mère, le gamin n’a même pas pleuré, rien.

    Des jeunes qui prenaient des photographies du grand sapin de Noël du centre commercial pour partager ces images en direct avec d’autres jeunes de leur connaissance au travers de sites internet de partage d’images.

    Les mêmes gens qui se prenaient très souvent en photo devant les devantures de magasin apparemment populaires, notamment le magasin de produits électronique à effigie de pomme entamée.

    De jeunes adultes rouler des mécaniques avec des blousons ciglés Chicago Bulls et portant des vêtements unanimement de marque Michael Jordan, joueur de basket-ball très célèbre de l’équipe de Chicago, que j’ai d’ailleurs vu jouer contre les Lakers de Los Angeles en juin 1991, les Lakers de Magic Johnson, à une époque où ces jeunes adultes n’étaient pas encore tous nés.

    Des enfants tirés par la main par des parents entièrement accaparés par l’écoute ou la consultation de leur téléphone de poche, et je ne cesse de me demander depuis quelques temps quels adultes vont devenir ces enfants pareillement en carence de l’attention réelle de leurs parents.

    J’ai vu de jeunes grands parents tenter de raisonner leurs petits enfants à propos du prix de certaines choses, de certains articles, mais leur propos étaient entièrement recouverts par une musique à la fois forte et lourdement rythmée.

    J’ai vu des employés de magasin au bord de la rupture physique tant ils paraissaient fatigués.

    J’ai entendu des couples se disputer pour des motifs de dépenses qui n’étaient, semble-t-il, pas entièrement pourvues.

    J’ai vu des portes donnant accès à des locaux techniques s’entrebâiller sur un désordre sans nom d’emballages éventrés.

    J’ai vu des liasses de billets être comptées, recomptées, recomptées encore, puis insérées dans des enveloppes épaisses, signées et contre signées pour repartir entre les mains de femmes accompagnées par deux armoires à glace.

    J’ai vu des vigiles épier de loin en loin des familles dont on voyait bien que leur budget allait être serré. D’ailleurs j’ai connu une certaine fierté à remarquer que nous étions pris en chasse par un tel surveillant.

    J’ai vu une cohue sans nom, des personnes piétiner, ne pas s’excuser quand elles heurtaient, même légèrement, leur prochain.

    J’ai vu des personnes continuer de parler à des caissières alors qu’elles étaient au téléphone, parfois même commenter à leur correspondant ce que venait de dire la caissière, ce qui pourtant n’avait pas du échapper à la personne à l’autre bout du fil, à l’autre bout du fil c’est mal dit.

    J’ai vu des personnes en venir aux mains sur le parking pour un motif dont j’ai préféré tout ignorer. En général je me propose pour éviter les bagarres, là cela m’était devenu indifférent, je n’ai pas aimé cette indifférence.

    Je me demande si je n’ai pas vu la fin du monde, en train de se produire sous mes yeux, là, devant moi.

    Exercice #51 de Henry Carroll : Créez l’ambiguité en mélangeant lumière naturelle et artificielle

    #qui_ca