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    J – 141

    Choses vues et entendues en allant faire les courses de Noël avec les enfants un dimanche après-midi, froid de canard, dans un vaste centre commercial, une fois par an, cela fait plaisir aux enfants qu’exceptionnellement je gâte, d’autant qu’ils sont hyper conscients de ce que je m’impose pour leur offrir qui une paire de chaussures convoitée, qui une salopette, qui des tshirts avec quelques impressions dessus qui permettent par la suite de ne pas trop dépareiller dans son établissement.

    Des enfants, plein, qui hurlent, qui pleurent, qui courent en tous sens, des parents à la traîne de ces enfants, menaçant, invectivant, frappant, un peu, pas trop fort, avec des regards alentours pour voir si des fois cela ne serait pas passé inaperçu.

    Des coupes de cheveux de pousseurs de citrouille, il semble que la barbe de bûcheron d’Amérique du Nord qui faisait tellement fureur ces derniers temps soit en train de refluer un peu, je vous dis cela je ne peux pas dire que je suive ces choses-là avec beaucoup d’attention.

    Des jeunes gens avec des sourires étincelants pour vous accueillir dans un immense magasin où quelques petits objets électroniques sont présentés sur des écrins de verre, comme le seraient des bijoux dans une bijouterie du XXIIIème siècle, je crois que l’on appelle cela un magasin pomme .

    Des parents qui prennent en photo leurs enfants à tout bout de champ à l’aide de leur téléphone de poche. Quelques perches qui permettent de se prendre soi-même en photo, je crois que l’on appelle cela des perches à autoportraits.

    Des vendeurs de chaussures de sport qui ne comprennent pas la question et ce modèle ci, vous l’auriez dans une demi pointure supplémentaire ? Et pareillement, vous peinez à comprendre les explications de ces jeunes gens en uniformes, apparemment on ne dit plus vraiment chaussures de sport, pas même basket que j’aurais jugé trop familier de prime abord, je crois qu’on dit sneakers , ce qui est, en anglais plus proche de pantoufle d’extérieur, mais pas d’argutie.

    Les mêmes vendeurs qui portent et déballent sous vos yeux de leur parallélépipèdes de carton des chaussures de sport comme si c’était d’inestimables trésors et qui vous regardent de travers quand vous demandez à pouvoir essayer les DEUX chaussures et qui ne comprennent pas vos explications que votre fille pourrait avoir un pied plus fort que l’autre, ben tout le monde a un côté plus fort que l’autre, certes, mais j’entendais, plus fort dans le sens, un peu plus gros que l’autre, tête du vendeur.

    Une caissière qui s’excuse de devoir vous faire patienter pour remplir un formulaire invraisemblable de commande d’un certain modèle dans une certaine pointure, la caissière à la différence du jeune vendeur comprend le mot pointure, vous ironisez, qu’est-ce que ce serait si nous étions venus acheter un bijou ? Elle s’excuse encore, dit qu’elle ne peut pas faire autrement qu’elle a toute une procédure à suivre, qu’elle on lui demande de ne pas penser mais de suivre la procédure, vous, vieux bonhomme, ne vous dépréciez pas Madame, vous valez bien plus que ce que vous faites aujourd’hui, c’est gentil Monsieur. Un superviseur s’approchant, sentant sans doute que trop de sympathie est en train de s’installer entre une préposée et un client.

    Des armoires à glace à talkie-walkie interdire certains accès au parking du centre commercial, mais incapables de réguler l’embouteillage que cela générait.

    Des enfants s’écrier, regarde il y a les pères Noël en bas et effectivement des employés habillés de costumes rouges ridicules sortaient de leur coursive et s’éparpillaient dans le centre commercial. Il y aurait donc plusieurs pères Noël.

    La gentillesse et la patience d’une caissière envers Nathan qui ne savait pas très bien comment demander que ses habits soient emballés, lui proposant diverses solutions, et Nathan choisissant sans choisir, son sourire, puis son sourire par-dessus l’épaule de Nathan pour moi.

    Le fou rire du vendeur de jean en écoutant les remarques d’Adèle qui tâchait de lui faire comprendre que quand même ce serait bien si elle prenait la taille au-dessus et qu’elle n’avait pas fini de grandir et qu’une salopette c’était pour la vie. On s’est bien amusé avec ce vendeur il faut dire.

    Un enfant renverser un paquet dont l’intérieur a produit un bruit de bris, et la tarte qu’il a reçue de sa mère, le gamin n’a même pas pleuré, rien.

    Des jeunes qui prenaient des photographies du grand sapin de Noël du centre commercial pour partager ces images en direct avec d’autres jeunes de leur connaissance au travers de sites internet de partage d’images.

    Les mêmes gens qui se prenaient très souvent en photo devant les devantures de magasin apparemment populaires, notamment le magasin de produits électronique à effigie de pomme entamée.

    De jeunes adultes rouler des mécaniques avec des blousons ciglés Chicago Bulls et portant des vêtements unanimement de marque Michael Jordan, joueur de basket-ball très célèbre de l’équipe de Chicago, que j’ai d’ailleurs vu jouer contre les Lakers de Los Angeles en juin 1991, les Lakers de Magic Johnson, à une époque où ces jeunes adultes n’étaient pas encore tous nés.

    Des enfants tirés par la main par des parents entièrement accaparés par l’écoute ou la consultation de leur téléphone de poche, et je ne cesse de me demander depuis quelques temps quels adultes vont devenir ces enfants pareillement en carence de l’attention réelle de leurs parents.

    J’ai vu de jeunes grands parents tenter de raisonner leurs petits enfants à propos du prix de certaines choses, de certains articles, mais leur propos étaient entièrement recouverts par une musique à la fois forte et lourdement rythmée.

    J’ai vu des employés de magasin au bord de la rupture physique tant ils paraissaient fatigués.

    J’ai entendu des couples se disputer pour des motifs de dépenses qui n’étaient, semble-t-il, pas entièrement pourvues.

    J’ai vu des portes donnant accès à des locaux techniques s’entrebâiller sur un désordre sans nom d’emballages éventrés.

    J’ai vu des liasses de billets être comptées, recomptées, recomptées encore, puis insérées dans des enveloppes épaisses, signées et contre signées pour repartir entre les mains de femmes accompagnées par deux armoires à glace.

    J’ai vu des vigiles épier de loin en loin des familles dont on voyait bien que leur budget allait être serré. D’ailleurs j’ai connu une certaine fierté à remarquer que nous étions pris en chasse par un tel surveillant.

    J’ai vu une cohue sans nom, des personnes piétiner, ne pas s’excuser quand elles heurtaient, même légèrement, leur prochain.

    J’ai vu des personnes continuer de parler à des caissières alors qu’elles étaient au téléphone, parfois même commenter à leur correspondant ce que venait de dire la caissière, ce qui pourtant n’avait pas du échapper à la personne à l’autre bout du fil, à l’autre bout du fil c’est mal dit.

    J’ai vu des personnes en venir aux mains sur le parking pour un motif dont j’ai préféré tout ignorer. En général je me propose pour éviter les bagarres, là cela m’était devenu indifférent, je n’ai pas aimé cette indifférence.

    Je me demande si je n’ai pas vu la fin du monde, en train de se produire sous mes yeux, là, devant moi.

    Exercice #51 de Henry Carroll : Créez l’ambiguité en mélangeant lumière naturelle et artificielle

    #qui_ca