Le dur apprentissage de l’impuissance Bertrand Badie sur la crise des diplomaties occidentales - Libération
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La diplomatie occidentale, raide dans ses certitudes schmittiennes, ne parvient pas non plus à s’insérer dans un monde où l’ennemi de son ennemi n’est pas nécessairement son ami, à l’instar de l’Iran, ennemi juré de Daech mais à qui on ne veut pas parler. Et pire encore, sont ces amis de la grande péninsule du Moyen-Orient dont les gouvernements sont officiellement les ennemis des entrepreneurs islamistes, mais dont les réseaux sociaux se perdent dans un soutien à peine déguisé. Que dire enfin de cette figure nouvelle de l’allié turc, brillant membre de l’Otan, qu’on a humilié depuis plus de cinquante ans, et qui se rattrape en jouant sa propre carte dans la région, acte impie dans un monde qui se voulait ordonné à la seule guise des gendarmes européens et nord-américains ?
Il faut à tout prix changer de logiciel dès lors qu’on veut comprendre et agir utilement. Ce qui paralyse les chancelleries occidentales tient d’abord à cette stupeur qui les ronge de devoir constater que le monde n’a plus de quartier général capable de décider de tout pour tous. Après cinq siècles de certitudes, il est douloureux de découvrir que ses propres manettes ne répondent plus. La chute du Mur inaugurait un temps où l’hégémon croyait ne plus avoir à connaître d’obstacles sur sa route : il pouvait tout régir comme du temps de Metternich. Quoiqu’il se passât sur cette terre, il avait pour usage d’appeler le premier jour à la « retenue », de formuler ses solutions le deuxième et de monter l’expédition qu’il fallait le troisième. On n’a pas su comprendre à temps que les rares victoires qui en dérivaient étaient celles de Pyrrhus, qu’en réalité les défaites s’enchaînaient, les crises s’en trouvaient aggravées et qu’une formidable humiliation s’en dégageait, incitant les petits à la méfiance, les moyens à la contestation et les émergents à la résistance. Sans la voir venir, une vague souverainiste a alors déferlé sur le monde, offrant à une Russie déjà humiliée une aubaine unique pour restaurer sa puissance d’antan, ne lésinant alors sur aucun moyen.