• J – 115 : Nick Park est vraiment allé sur la Lune.

    J’ai découvert les films d’animation de Nick Park il y a une quinzaine d’années, un peu plus, avec les enfants, quand ils étaient petits et qu’ils étaient le public prédestiné pour de tels films. Et cela fait partie de ces découvertes extraordinaires, celle du plaisir de regarder de tels films en compagnie des enfants sans avoir à me mettre à leur niveau pour en apprécier la très grande beauté. Pour les enfants petits, c’étaient des crises de rire inextinguible aux gags, tellement nombreux de Wallace & Gromit , quant à moi, non seulement les gags me faisaient rire mais je trouvais un plaisir esthétique immense à deviner le travail des animateurs, à la beauté des décors, des personnages mais aussi aux cadrages aux éclairages, tout ce vocabulaire cinématographique admirable.

    Mais si je peux avoir vu Wallace & Gromit une bonne douzaine de fois, je ne pense pas que je l’avais déjà vu au cinéma sur un très grand écran, au premier rang, le nez sur l’écran. Au point de remarquer sans difficulté toutes les empreintes digitales des animateurs sur les personnages, les minuscules scories sur les blocs de pâtes à modeler ou encore certaines ficelles qui ont permis certains mouvements, ainsi quand Gromit bat les cartes à jouer, on voit, très furtivement, qu’elles sont toutes percées en leur centre et reliées à cet axe par un fil, qui est à l’image même du récit en question, le voyage sur la Lune pour aller y chercher du fromage (puisque toute la Lune est un immense fromage, tout le monde le sait), moyennant la construction d’une fusée aux décorations d’intérieur tellement britanniques.

    Depuis le projet de production des quatorze petits films d’animation pour le deuxième disque d’Élémarsons (http://www.le-terrier.net/musique/elemarsons), j’ai effleuré du bout du doigt tout ce qui était en jeu pour de telles réalisations, et ce n’est pas tant la somme invraisemblable de travail que représentent quelques secondes de ce genre de films qui fait mon admiration que les tellement remarquables astuces pour donner corps aux idées fantasques du réalisateur, astuces qui sont coulées dans la même matière poétique que les premiers trucages de Georges Méliès, je pense qu’il n’y a pas de plus intenses forges de l’imagination au pouvoir qu’un studio dans lequel Nick Park est en train de tourner un film.

    Et c’est un de ses tours de force que l’on puisse, à chaque fois, à la fois oublier ce qui est en jeu pour ce qui est de la fabrication des images que l’on regarde avec un esprit d’enfant retrouvé, et à la fois, en pleine conscience, que ce que l’on regarde c’est juste de la pâte à modeler et des trucages qui sont transparents d’ingéniosité, quand bien même Nick Park ne boude jamais le plaisir de la récursivité, c’est-à-dire faire un film d’animation qui parle aussi à son spectateur du travail même de l’animation, et tout cela encore une fois, avec des bouts de ficelle, de la bête pâte à modeler, au point que le projet de construction de la fusée digne du Voyage sur la Lune de Jules Verne dans son dessin, est à l’égale même en douce folie et en opiniâtreté que d’entreprendre de construire une fusée dans son garage.

    Il m’aura fallu cette projection d’un samedi après-midi glacial de janvier au Kosmos avec Nathan et Adèle pour le comprendre, l’entrevoir. Dès les premiers temps, Adèle et moi, qui passons de temps en temps du temps dans notre garage à nous à faire des trucs avec de la pâte à modeler et un appareil-photo juché sur son trépied, nous nous sommes regardés pour faire la même remarque en chuchotant, tu as vu, on voit les traces de doigt. Et c’est à force de laisser des traces de doigt sur ses personnages que Nick Park a réussi à vraiment les emmener sur la Lune.

    #qui_ca