Le monde capitaliste en crise

http://mensuel.lutte-ouvriere.org//2016/

  • Pourquoi Le Capital de Marx est-il toujours d’actualité?

    interview de David Harvey - 24 janvier 2023

    https://www.contretemps.eu/capital-marx-actualite-entretien-david-harvey

    Le géographe marxiste David Harvey s’est entretenu avec Daniel Denvir pour le podcast The Dig de Jacobin Radio, à propos des forces créatrices et destructrices du capital, du dérèglement climatique et des raisons pour lesquelles il vaut toujours la peine de se battre contre le capitalisme.

    Il explique pourquoi Le Capital de Karl Marx reste un ouvrage essentiel pour comprendre et vaincre le capitalisme et ses horreurs. Plus d’un siècle et demi s’est écoulé depuis que Karl Marx a publié le premier volume du Capital. Il s’agit d’un ouvrage massif et intimidant, que de nombreux·ses lecteurs·rices pourraient être tenté·es d’ignorer. Selon David Harvey, ce serait assurément une erreur.

    Harvey enseigne Le Capital depuis des décennies. Ses cours sur les trois volumes du livre sont très populaires et disponibles gratuitement en ligne [ http://davidharvey.org/reading-capital ] ; ils ont été suivis par des millions de personnes à travers le monde et ont servi de base à ses livres d’accompagnement des volumes I et II. Le dernier livre de Harvey, Marx, Capital, and the Madness of Economic Reason, accompagne de manière plus synthétique les trois volumes. Il y traite de l’irrationalité fondamentale du système capitaliste.

    • A ce propos : L’actualité du marxisme :

      [...] Trotsky constatait en 1939, dans Le Marxisme et notre époque, qu’ «  en dépit des derniers triomphes du génie de la technique, les forces productives matérielles ont cessé de croître. Le symptôme le plus clair de ce déclin est la stagnation mondiale qui règne dans l’industrie du bâtiment, par suite de l’arrêt des investissements dans les principales branches de l’économie. Les capitalistes ne sont plus en état de croire à l’avenir de leur propre système.  »

      Alors que la bourgeoisie s’était engagée dans le fascisme ou le New Deal et s’apprêtait à plonger l’humanité dans une nouvelle guerre, Trotsky concluait  : «  Des réformes partielles et des rafistolages ne serviront à rien. Le développement historique est arrivé à l’une de ces étapes décisive, où, seule, l’intervention directe des masses est capable de balayer les obstacles réactionnaires et de poser les fondements d’un nouveau régime. L’abolition de la propriété privée des moyens de production est la condition première d’une économie planifiée, c’est-à-dire de l’intervention de la raison dans le domaine des relations humaines, d’abord à l’échelle nationale, puis, par la suite, à l’échelle mondiale.  »

      Quelques mois après que ces lignes étaient écrites, le monde sombrait dans le cataclysme de la Deuxième Guerre mondiale. Ayant échappé à la révolution prolétarienne au lendemain de cette guerre, le système capitaliste connut quelques années de reprise, qui semblaient contredire les prévisions de Trotsky.

      Mais on constate aujourd’hui qu’il ne s’agissait que d’une rémission et que le capitalisme conduit l’humanité vers l’abîme.

      Jamais pourtant dans l’histoire, l’humanité n’a eu autant de moyens à sa disposition pour faire face aux nécessités de sa vie collective. C’est la division de l’humanité en classes sociales aux intérêts opposés qui l’empêche de maîtriser sa vie collective.

      Jamais n’a été aussi énorme le décalage entre une humanité capable d’explorer les confins de l’espace et une société se consumant en même temps dans des guerres entre pays, entre nations, entre ethnies, entre villages.

      Jamais la mondialisation capitaliste n’a autant lié les hommes dans un destin commun. Mais jamais non plus l’humanité n’a été aussi morcelée.

      Jamais l’humanité n’a eu autant de moyens matériels et culturels pour vaincre définitivement les multiples formes de préjugés, de mysticismes hérités de siècles de division de la société en classes et d’oppression. Mais jamais les religions, les mysticismes n’ont connu un retour aussi fracassant dans la vie sociale.

      Quelle expression plus écœurante de la putréfaction de la société capitaliste que l’attraction mortifère du terrorisme islamiste sur une fraction de la jeunesse  ?

      Jamais, en somme, les conditions matérielles et techniques pour une société humaine unifiée dans un tout fraternel à l’échelle de la planète n’ont été aussi favorables. Jamais, en même temps, elles n’ont semblé aussi lointaines.

      Le grand apport du marxisme au mouvement ouvrier n’a pas été seulement la dénonciation du capitalisme et le constat qu’il a cessé de faire avancer l’humanité. Son grand apport a été de donner les moyens de briser les chaînes  : «  Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, mais ce qui importe c’est de le transformer  », disait Marx dès 1845.

      Le marxisme ne s’est pas contenté de voir dans cette classe alors nouvelle qu’était le prolétariat moderne une classe souffrante. Il y a reconnu la classe sociale capable de renverser le capitalisme.

      Marx, Engels et leur génération voyaient la fin du capitalisme plus proche. Ils avaient l’optimisme des révolutionnaires.

      L’histoire en général et celle du mouvement ouvrier en particulier, avec leurs formidables pas en avant mais aussi leurs reculs catastrophiques, ont fait que le capitalisme se survit bien plus longtemps que ce qu’espéraient Marx, Engels et leurs camarades.

      Il a survécu bien plus longtemps même que ne l’espérait Trotsky près d’un siècle plus tard lorsqu’il constatait que le capitalisme était incapable de faire progresser les forces productives.

      L’humanité a connu depuis Marx un grand nombre de crises économiques, d’innombrables formes d’oppression, d’innombrables formes de régimes autoritaires, d’innombrables guerres locales, et deux guerres mondiales.

      Jusqu’à présent c’est surtout par la négative que l’histoire a confirmé les analyses de Marx. Mais le prolétariat, dans lequel Marx voyait la force sociale capable de changer l’avenir de l’humanité, n’est pas une construction de l’esprit, fût-elle d’un génie de l’envergure de Marx. C’est une réalité sociale. Les robots n’ont pas remplacé le prolétariat. Et, malgré les possibilités croissantes offertes par la science et la technique, la société est celle des êtres humains.

      Le prolétariat, la classe des exploités, est bien plus diversifié aujourd’hui qu’au temps de Marx et même qu’au temps de Lénine et de la révolution russe. La bourgeoisie a appris à jouer de cette diversité, à opposer les unes aux autres les différentes catégories de travailleurs salariés, à combattre la conscience de classe et l’émergence d’organisations, nationales et internationales, qui incarnent cette conscience. Mais la classe ouvrière est bien plus nombreuse que dans le passé et présente partout sur la planète.

      La lutte de classe entre la bourgeoisie et le prolétariat se mène à une échelle bien plus vaste que dans des périodes du passé où le prolétariat posait sa candidature à la direction de la société.

      Dans un grand nombre de pays où le prolétariat industriel est jeune et son sort misérable, de la Chine au Bangladesh, la lutte de classe prend des formes aussi massives et aussi virulentes que lors de l’émergence du prolétariat moderne en Europe occidentale.

      Mais elle est incessante également dans les grands pays industriels, fût-ce sous la forme de ces réactions quotidiennes que les travailleurs savent opposer dans les entreprises à l’aggravation de l’exploitation et aux multiples manifestations de l’arbitraire patronal.

      Les idées de lutte de classe sont susceptibles de tomber sur un terrain aussi fertile qu’au temps de Marx ou de Lénine, tout simplement parce qu’elles correspondent à une réalité que les travailleurs vivent tous les jours. Encore faut-il les exprimer et transmettre le vaste capital politique accumulé par le marxisme révolutionnaire, tiré des luttes de générations de travailleurs  !

      C’est le rôle qui devrait être celui des organisations communistes révolutionnaires, leur raison d’être afin que chaque lutte importante de la classe ouvrière bénéficie des expériences des luttes précédentes.

      C’est justement le fond du problème de nos jours. Ce que Trotsky exprimait en affirmant, dans le Programme de Transition  : «  La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat.  »

      Ce qui unissait les générations des communistes révolutionnaires, de Marx à Trotsky en passant par Lénine, Rosa Luxemburg et tant d’autres, c’est la conviction qu’une fois débarrassée des chaînes du capitalisme, l’humanité reprendrait sa marche en avant, mais aussi la conviction que la seule force sociale capable de cette transformation historique fondamentale est le prolétariat.

      Le marxisme a toujours été et reste aujourd’hui la seule façon scientifique de comprendre le fonctionnement de la société et de ses ressorts. La seule aussi qui non seulement permet d’appréhender le monde, mais aussi de le transformer. Il reste le seul humanisme de notre époque.

      «  Il appartient aux générations à venir de renouer avec les traditions du communisme révolutionnaire, avec ses combats du passé, avec ses expériences. Partout, se pose le problème de reconstruire des partis communistes révolutionnaires, et c’est en cela que cette question se confond avec la renaissance d’une Internationale communiste révolutionnaire  », avons-nous ainsi résumé les tâches de notre génération de révolutionnaires lors de notre congrès de mars dernier.

      «  Personne ne peut prédire comment, à travers quel cheminement, les idées communistes révolutionnaires pourront retrouver le chemin de la classe ouvrière, classe sociale à laquelle elles étaient destinées au temps de Marx puis de Lénine et Trotsky et qui aujourd’hui encore est la seule qui peut, en s’emparant de ces idées, les transformer en une explosion sociale capable d’emporter le capitalisme  ».

      La nécessité demeure la même depuis que Trotsky a écrit le Programme de Transition. Nos tâches en découlent.

      1er novembre 2016

      https://mensuel.lutte-ouvriere.org//2016/12/18/le-monde-capitaliste-en-crise_73418.html

    • Marx dit que nous devons faire quelque chose à ce sujet. Mais, ce faisant, nous ne devons pas devenir nostalgiques et dire « nous voulons revenir au féodalisme » ou « nous voulons vivre de la terre ». Nous devons penser à un avenir progressiste, en utilisant toutes les technologies dont nous disposons, mais en les utilisant dans un but social plutôt que d’accroître la richesse et le pouvoir dans des mains de plus en plus rares.

      […]

      DAVID HARVEY : Je suis venu aux États-Unis en 1969, et je suis allé à Baltimore. Il y avait là une énorme usine sidérurgique qui employait environ trente-sept mille personnes. En 1990, l’aciérie produisait toujours la même quantité d’acier, mais employait environ cinq mille personnes. Aujourd’hui, l’aciérie a pratiquement disparu. Le fait est que, dans l’industrie manufacturière, l’automatisation a fait disparaître des emplois en masse, partout, très rapidement. La gauche a passé beaucoup de temps à essayer de défendre ces emplois et a mené un combat d’arrière-garde contre l’automatisation.

      C’était une mauvaise stratégie pour plusieurs raisons. L’automatisation arrivait de toute façon, et vous alliez perdre. Deuxièmement, je ne vois pas pourquoi la gauche devrait être absolument opposée à l’automatisation. La position de Marx, dans la mesure où il en avait une, serait que nous devrions utiliser cette intelligence artificielle et cette automatisation, mais nous devrions le faire de manière à alléger la charge de travail.

      La gauche devrait travailler sur une politique dans laquelle nous disons « nous accueillons l’intelligence artificielle et l’automatisation, mais elles devraient nous donner beaucoup plus de temps libre ». L’une des grandes choses que Marx suggère est que le temps libre est l’une des choses les plus émancipatrices que nous puissions avoir. Il a une belle phrase : le domaine de la liberté commence lorsque le domaine de la nécessité est laissé derrière. Imaginez un monde dans lequel les nécessités pourraient être prises en charge. Un ou deux jours par semaine à travailler, et le reste du temps est du temps libre.

      Maintenant, nous avons toutes ces innovations permettant d’économiser du travail dans le processus de travail, et aussi dans le ménage. Mais si vous demandez aux gens, est-ce que vous avez plus de temps libre qu’avant ? La réponse est, « non, j’ai moins de temps libre. » Nous devons organiser tout cela pour que nous ayons réellement le plus de temps libre possible, pour que le mercredi à partir de dix-sept heures, vous puissiez aller faire ce que vous voulez. C’est le genre d’imagination d’une société que Marx a en tête. C’est une évidence.

      #David_Harvey #progressisme #techno-béat #automatisation

  • Le monde capitaliste en crise | Analyse de LutteOuvrière
    http://mensuel.lutte-ouvriere.org//2016/12/18/le-monde-capitaliste-en-crise_73418.html

    [...] La sphère financière continue à gonfler au détriment de la production en parasitant la plus-value dégagée par cette dernière.

    L’économiste américain Joseph Stiglitz, prix Nobel et plus ou moins altermondialiste, constate, de son côté, que le produit intérieur brut (PIB) de la zone euro «  stagne à présent depuis près de dix ans. En 2015, il n’a été supérieur que de 0,6 % à son niveau de 2007.  » Il faut rappeler que le PIB est une notion plus vague et plus vaste que celle de production de biens matériels et de services parce qu’il intègre aussi la création de «  valeurs  » spéculatives.

    Le même Stiglitz constate par ailleurs que «  les récessions que connaissent certains pays de la zone euro sont comparables à celle de la Grande Dépression, ou encore plus graves  ».

    «  Le ralentissement dramatique de la croissance du commerce mondial est grave et devrait servir de sonnette d’alarme  », déclara au début du mois de septembre 2016 le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ce ralentissement reflète la stagnation de la production mais aussi le protectionnisme montant. Les Échos soulignent «  la tendance ces deux dernières années à ériger des barrières commerciales contrairement à leurs engagements (…)  », ajoutant que «  certains pays sont tentés de limiter leurs importations pour favoriser leur production nationale et déprécient leur monnaie à cet effet (…)  ».

    Il y a déjà très exactement un siècle, dans L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine constatait la dictature absolue exercée sur la société par «  l’oligarchie financière  », à la tête de monopoles puissants, contrôlant tout à la fois les grandes entreprises de production et les banques, de plus en plus fusionnées.

    Le poids de cette oligarchie qui constitue les sommets de la grande bourgeoisie s’est encore accru malgré la crise actuelle ou, plus exactement, grâce à elle, et sa richesse aussi, dans l’absolu comme relativement même par rapport au reste de la bourgeoisie. Cette évolution se produit à l’intérieur d’une autre, plus générale, reflétant plus clairement la guerre de classe menée par la bourgeoisie contre la classe ouvrière pour accroître le taux de profit moyen. Cela se traduit par la diminution d’année en année de la part de la masse salariale dans le revenu national par rapport aux revenus du capital.

    La financiarisation donne à cette oligarchie financière des moyens supplémentaires d’enserrer le monde dans ses filets et de pousser le parasitage de l’économie à un degré sans précédent.

    Ce parasitage ne se traduit pas seulement en termes quantitatifs, c’est-à-dire par l’accroissement de la part que la finance prélève sur la plus-value globale dégagée dans la production  : il modifie sans cesse le fonctionnement du système financier et ses liens avec la production [...].