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  • Comment j’ai pourri le web
    http://www.laviemoderne.net/lames-de-fond/009-comment-j-ai-pourri-le-web.html

    En tapant une des expressions sur Google, j’ai réalisé que l’élève avait utilisé son smartphone pendant le cours et recopié le premier corrigé venu sur Google en tâchant maladroitement de le maquiller. En rendant les copies j’ai tenu un discours sévère à la classe sans indiquer qui avait triché. Après le cours, l’élève concerné, en pleurs, a reconnu les faits.

    J’ai donc décidé de mener une petite expérience pédagogique l’année suivante : j’ai pourri le web !

    • Oué, j’ai halluciné sur le nombre de billets, réactions, etc. :-)

      Perso ce qui m’a frappé en première lecture c’est que la conclusion est quasi totalement sans lien avec la démonstration. Elle s’appuie sur le préjugé « le web c’est le mal (surtout pour les enfants) », alors que la démonstration porte sur autre chose. A la limite « N’allez pas sur le web mes chers étudiants » mais rien sur les sites qui vendent des corrigés... Et puis :

      En voulant faire entrer le numérique à l’école, on oublie qu’il y est déjà entré depuis longtemps et que, sous sa forme sauvage, il creuse la tombe de l’école républicaine.

      Cette approximation catastrophique sur « le numérique »... La rigueur de la démonstration du prof mériterait une rigueur minimum dans l’énoncé des conclusions (qu’il a d’aillleurs titrées « Morale de l’histoire », c’est dire...)

  • Je te livre une question hypothétique, des fois que ça t’aide à te former une opinion… Imaginons que, pendant la période où le Web (et notamment Kikipédia) était pourri par cet enseignant facétieux :
    http://www.laviemoderne.net/lames-de-fond/009-comment-j-ai-pourri-le-web.html
    imaginons donc qu’un autre enseignant ait donné à ses élèves un devoir à réaliser sur le (désormais) fameux Charles du Fion d’Allégresse.

    Nulle doute qu’une bonne partie de ses étudiants se seraient empressés d’aller recopier la petite notice biographique sur Kikipédia, et donc auraient reproduit l’anecdote fautive au sujet de Mademoiselle du Bonnet.

    Maintenant, c’est là que ça devient intéressant : découvrant que 85% de ses étudiants mentionnent que cette poésie de Du Fion était un hommage à la Dubonnet, dont il n’a jamais entendu parler, quelle aurait été la réaction de l’enseignant ? (Creuse-toi un peu, je te dis que ça donne à réfléchir.)

    – Est-ce qu’il aurait interrompu la correction de ses copies dans le RER, ou les deux heures de son week-end consacrées à corriger les fautes d’orthographe de ses élèves illettrés, pour consulter son vieux Lagarde et Micheton, constater qu’il n’y est fait aucune mention de la Damoiselle, flûte alors, ces vieux bouquins ne sont pas à jour, donc il aurait filé à la bibliothèque Sainte-Geneviève, constaté après une nuit de recherches, qu’il ne trouvait aucune trace de Mademoiselle Dubon, donc filé à la Très Très Grande Bibliothèque, passé une journée de plus en recherches infructueuses, avant de conclure que, ben non c’est pas vrai : 85% de ses étudiants ont spontanément inventé la même anecdote inoffensive, crédible mais infondée.

    – Ou bien est-ce qu’il aurait fait comme tout le monde : je te me googueulise « Charles Du Fion D’Allégresse », j’arrive sur sa fiche Kikiwédia, oh, ben dis donc, ça dit que ce poète (que je connais tout de même pas super bien) a voulu rendre hommage à mademoiselle Dubeau, tiens tiens c’est marrant, je le savais pas, c’est mignon cette anecdote inoffensive et totalement crédible. Bon bon bon, alors OK, je vais pas faire mon ignorant qui a découvert un truc, je vais juste faire comme si je le savais déjà. Et je continue la correction de mes copies ni vu ni connu.

    • @baroug : je ne vois pas la question comme ça. La, tu poses la question d’être « critique vis à vis des sources » concernant une anecdote peu intéressante (sans doute pas centrale dans le travail que constitue le commentaire composé), parfaitement crédible et rigoureusement invérifiable. Un étudiant qui affirme, en recopiant une fiche Wikipédia, que la Terre est plate, je veux bien qu’on soit un peu choqué, mais là, il s’agit d’un auteur inconnu (le prof l’a « exhumé » de sa bibliothèque) et d’une anecdote sans réel intérêt et totalement invérifiable. En surtout, problème logique fondamental : pour quelle raison quelqu’un irait produire une anecdote fausse et sans conséquences sur un poète du XVIe siècle inconnu ?

      [Par ailleurs, je n’ai pas insisté, mais si tu lis l’article du prof, tu comprends qu’il n’y avait quasiment aucune mention de Du Fion sur le Web avant que lui-même ne produise une tripotée de sources diverses et variées validant la fausse information. Donc avec un travail de recoupement de sources, parce qu’on aurait un rapport critique à l’information, on arriverait au même résultat : on validerait un faux.]

      D’où mon hypothèse : comment un prof de français (pas « les grandes personnes » en général) irait-il vérifier (avec tout son esprit critique) une telle anecdote invérifiable ? Avec la meilleure volonté du monde, je suspecte que le prof, de manière très professionnelle :
      – n’imaginerait pas qu’on aille se faire chier à inventer un faux sur une anecdote sans importance pour monter un hoax sur un auteur inconnu (de manière assez saine, il ne se croit pas dans le Da Vinci Code à chaque fois qu’il vérifie une info) ;
      – confirmerait rapidement cette anecdote par plusieurs sources différentes sur le Web, et constaterait qu’il n’est pas possible d’infirmer rapidement par les rares sources papier à sa disposition ;
      – se souviendrait que ça n’est pas le cœur du travail demandé ;
      – que cette anecdote est sans intérêt, mais crédible et sans conséquences.

    • Dans le cas d’un prof de Français, supposé maitre de son sujet, Wikipedia ne peut constituer une source d’information valable sans adjonction d’une autre – quelconque – référence. S’il n’y a pas d’autre mention de cela ailleurs, c’est précisément que c’est faux : ce n’est pas la première fois qu’on entend que quelqu’un a vandalisé Wikipedia, et ça devrait inciter les spécialistes à un minimum de scepticisme dans leur domaine.

      pour quelle raison quelqu’un irait produire une anecdote fausse et sans conséquences sur un poète du XVIe siècle inconnu ?

      Aucune sinon le jeu, le test, ou la malveillance : mais on sait depuis un moment que cela a lieu. Régulièrement, et dans divers domaines.

      Si cette histoire a un intérêt, c’est au moins celui de renforcer les vigilances.

    • J’en ai profité pour lire le truc du prof, ce que je n’avais pas fait jusqu’à présent. Il me semble, et je rejoins là des camarades, que la question posée dépasse la question du numérique. Il dit :

      Et enfin j’ai voulu leur prouver que, davantage que la paresse, c’est un manque cruel de confiance en eux qui les pousse à recopier ce qu’ils trouvent ailleurs, et qu’en endossant les pensées des autres ils se mettent à ne plus exister par eux-mêmes et à disparaître.

      Il me semble que c’est bien plus important que le reste mais nullement la faute des élèves : rien ne les incite jamais à faire ça, et surtout pas l’école. Ce prof a raison, mais il ne se rend pas compte que tout le système joue contre son concept.

    • Baroug, ne pas oublier que ce prof a fabriqué une multitude de sources (dont certaines à accès payant !) validant cette anecdote (qui n’est, encore une fois, pas centrale dans le cadre du travail demandé).

      Donc même les élèves qui auraient le plus d’esprit critique par rapport à la source, auraient effectué un recoupement sur le Web et auraient confirmé le faux par plusieurs sources. Et vu qu’il s’agit d’une anecdote pas centrale dans le travail, je demande jusqu’où un professeur tombant là dessus se serait fait chier pour infirmer l’information.

      Si ce prof a monté un hoax suffisamment sophistiqué (en multipliant les sources confirmant une anecdote innocente, sans grand intérêt et finalement invérifiable ; infirmer une anecdote est beaucoup plus difficile que de la confirmer) au point qu’il aurait peut-être (c’est la question hypothétique que je pose) trompé un autre prof, alors il n’a rien démontré du tout concernant ses étudiants.

    • Je pense qu’un bon prof n’aurait pas du tomber dans le panneau, mais plein de raison (paresse, fatigue, pressitude) auraient pu… le faire tomber dans le panneau. Pour les élèves, le problème est qu’au-delà du web (il aurait pu, mais c’aurait été plus difficile, piéger des manuels ou la bibliothèque), il n’était pas question de copier des anecdotes dans le cadre d’un commentaire composé.

      Il me semble par ailleurs que la question de la légalité des sites de corrigés devrait être clairement posée. Au final, je ne suis pas sûr que ce prof tire de bonnes conclusions de son hoax, mais il pose à coup sûr plein de questions intéressantes.

    • il y a pas un logiciel open source pour extraire les phrases d’un texte et les chercher sur google… ? je sais que les facs paient très cher pour des logiciels de ce type, « assurance » contre « plagiat », mais ça pourrait avoir aussi des usages plus nobles

    • Le commentaire de Philippe Watrelot (http://philippe-watrelot.blogspot.fr) à propos de cet article pour alimenter le débat :

      Ma réaction est globalement négative. Si on peut éventuellement admettre que l’intention de cet enseignant vis-à-vis de ses élèves "n’était pas de les punir", comme il le dit lui même, ça ressemble quand même pas mal à un piège..
      De même lorsqu’il écrit "je leur ai démontré que, davantage que la paresse, c’est un manque cruel de confiance en eux qui les pousse à recopier ce qu’ils trouvent ailleurs" , je ne suis pas sûr qu’au final cela leur donne vraiment confiance dans l’enseignement et dans les adultes qui s’amusent à ce petit jeu...
      Mais surtout cela le conduit à des conclusions que je ne partage pas du tout.
      L’auteur conclut en effet que "les élèves au lycée n’ont pas la maturité nécessaire pour tirer un quelconque profit du numérique en lettres" et qu’il ne croit pas à une “moralisation possible du numérique à l’école”. Je crois qu’il se trompe. D’abord parce qu’il ne s’est pas donné les moyens de les initier/éduquer au numérique. Ensuite parce qu’un enseignant qui fait l’hypothèse que ses élèves ne sont pas capables d’apprendre n’est pas un vrai enseignant.
      Enfin, il a joué avec eux (en y passant beaucoup de temps !) de manière très cynique et perverse comme un savant fou jouerait avec des rats de laboratoire. C’est détestable. Et absolument pas pédagogique.
      Et puis enfin ce n’est pas le numérique qui est en cause mais la marchandisation des rapports humains. Quand j’étais gamin et même ado, il y a très longtemps, alors que le numérique n’existait pas et qu’on avait même pas de calculatrice (la règle à calcul et les tables de trigo , vous vous rappelez...), il y avait déjà des élèves qui vendaient des devoirs tout faits à d’autres. Et le numérique n’intervenait pas du tout là dedans…
      Mon sentiment de malaise à l’égard de ce récit s’est trouvé renforcé lorsque je me suis rendu compte que son auteur en faisait la promotion sur le fameux forum “néo-profs”.
      Un commentaire quelque lignes plus bas exprimait la satisfaction d’un des lecteurs de forum en ces termes : “Cynique et sadique, je suis fan !"
      Tout est dit…

    • Il y a quand même évidemment le problème de la remise en question et la vérification des sources, y compris (et surtout ?) lorsqu’il s’agit de Wikipedia. Alors, oui, ça vaut pour tous les medias, mais en l’occurrence c’est le web qui est utilisé, massivement.
      Il y a quelques années, j’avais fait « tenir » l’absurde contenu de http://wiki.ardkor.com/Candide pendant 24 jours sur la page « Candide » de Wikipedia.
      En 24 jours, et sur un ouvrage autant étudié, je suis sûr qu’il y a au moins un ou deux élèves qui ont violemment perplexifié leur correcteur, avec mes âneries.

      Bon, la méthode employée par l’auteur de l’article me semble légèrement plus fourbe que mon parpaing potache, en effet.

      @Fil http://www.copyscape.com n’est pas exactement ce que tu décris, mais peut aider, parfois.

    • @michel : comme @bob_ardkor, je pense que le job d’un prof est d’éduquer et en ce sens, sa démonstration est imparable : de la nécessité du doute dans la démarche de l’apprentissage et de la capacité à trier dans l’abondance d’info du Net.
      Je ne pense pas à un piège, mais plutôt à une démonstration nécessaire. S’il avait dit : « ne pompez pas sur le Net, pensez ! » et « si vous vous documentez sur le Net, pensez à vérifier l’info et à recouper vos sources et surtout, continuez à penser par vous-mêmes », je pense que l’impact pédagogique aurait été à peu près nul.

      Je pense au contraire que ce prof a eu raison. J’ai bon espoir qu’une bonne partie de ses élèves aura une approche plus intelligente de l’information en général et de ce que l’on peut trouver sur Internet, en particulier. Et par les temps qui courent, c’est une démarche salutaire.

    • @heautontimoroumenos tout a fait d’accord, de plus nous pouvons relever dans « La morale de l’histoire », ceci : "Leur servitude à l’égard d’internet va même à l’encontre de l’autonomie de pensée et de la culture personnelle que l’école est supposée leur donner." tiens ! L’école républicaine autonomise les élèves maintenant ? Peut être devrions nous rappeler dans quel but celle ci a été crée.
      Sinon passer un été pour préparer un piège minable de ce genre ....

      #professeur #solitude #bon_esprit

    • Je reproduis ici les commentaires d’un ami prof sur un autre réseau :

      J’ai ensuite montré que tout contenu publié sur le web n’est pas nécessairement un contenu validé, ou qu’il peut être validé pour de basses raisons qui relèvent de l’imposture intellectuelle.

      Je vois pas bien en quoi il s’agit d’une spécificité du contenu numérique. Tu peux faire la même critique de la légitimité du savoir avec l’industrie du livre, qui est tout simplement plus ancienne.

      Et enfin je leur ai démontré que, davantage que la paresse, c’est un manque cruel de confiance en eux qui les pousse à recopier ce qu’ils trouvent ailleurs, et qu’en endossant les pensées des autres ils se mettent à ne plus exister par eux-mêmes et à disparaître.

      je ne savais pas qu’on demandait à des élèves de 1ère de créer du savoir, j’aimerais bien savoir si l’auteur en question en crée du savoir... ‎

      Pour ma part je ne crois pas du tout à une moralisation possible du numérique à l’école

      Il n’est pas question de « moraliser le numérique » (je ne sais pas ce que ça veut dire), mais d’arrêter d’infantiliser les élèves et de les faire participer de manière critique à l’élaboration du savoir.

    • Je ne vois absolument pas ce qu’il y a de cynique là-dedans.

      Et ce n’est pas parce que ce prof a fait ça pendant l’été, qu’il a fait ça tout l’été.

      Et il ne dit absolument pas que ces élèves ne sont pas capables d’apprendre ! Il constate juste, factuellement, que là-tout-de-suite-maintenant, ces élèves-là de première n’ont pas la maturité nécessaire à utiliser correctement cet outil. Ça ne signifie en aucun cas qu’ensuite on ne peut pas leur apprendre, et encore moins qu’on ne peut pas l’apprendre en amont avant le lycée. Seulement, là pour l’instant, ce n’est pas le cas.

      Et c’est un professeur de littérature, ce n’est pas à lui de passer des heures/semaines/etc à apprendre aux jeunes à utiliser internet. Le temps n’est pas extensible. Leur apprendre à être critique et à recouper des sources, en général (pas spécialement pour internet), ça oui par contre.

      Et ce n’est pas parce que c’était « pareil avant avec les livres » que ce n’est pas pire maintenant avec Internet. Pour les populations numérisées (une grande partie des lycéens donc, dans notre société française) aller chercher un commentaire de texte est immensément plus facile et plus rapide, aussi bien chez eux (ou même dans un cybercafé s’ils font partie de ceux qui ne l’ont pas chez eux) ou même directement sur leur téléphone mobile, que du temps (encore récent) où il n’y avait que les livres et la bibliothèque municipale. Ça ne veut rien dire le « c’était pareil avant » : il y a des différences à la fois en terme d’échelle et en terme de qualité (pas dans le sens « bien ou mal » mais dans le sens que ce n’est pas le même contenu) que je trouve flagrante.

      #réactionnaire

    • Alors, oui, la charge contre le numérique est ridicule, alors oui, de bonnes âmes peuvent s’élever contre le procédé (et en poussant le bouchon, on pourrait même le qualifier d’escroquerie au sens pénal puisque ce prof a employé des manoeuvres frauduleuses et a probablement été rémunéré pour les fausses dissertations qu’il avait déposées sur les sites payants), alors oui l’école ne développe pas l’autonomie des élèves mais justement je rejoins totalement @RastaPopoulos : enfin un enseignant qui a bossé pour que des élèves aient un tantinet de regard critique sur le monde qui les entoure, qu’ils se posent des questions par eux-mêmes. Et des lycéens qui font l’expérience que la figure incarnant l’autorité peut sciemment les tromper, n’est-ce pas une bonne base à l’empirisme ?

    • Je trouve sa démarche limite. Vient-il de découvrir comme par magie que les élèves trichent ? Avant on se refilait des copies des élèves des années précédentes, maintenant on va sur le web... Quelle différence ?

      Le couplet sur « les élèves ne sont pas assez grands pour aller sur le web » est d’un crétinisme ahurissant. Je vais sur le web depuis que j’ai 12 ans et c’est d’ailleurs le web qui est à l’origine de la plus grande partie de mon savoir, parce que l’école elle m’a pas vraiment appris grand chose. Ça ne m’a pas empêché de me faire piéger par de fausses infos dans des livres, ou sur le web, ni d’apprendre par la suite que le web est aussi le meilleur moyen de discuter et combattre ces fausses pistes.

      Franchement ces discours à la con du genre « les jeunes sont pas matures machin » ça me fout la gerbe, c’est la même connerie que « ah les jeunes de mon temps ben il étaient mieux quand même » et révèle l’incompréhension permanente entre générations.

    • @baroug c’est toi la truie ! Employé au figuré (pas pour un fruit quoi) la « maturité » sur un sujet précis, c’est comme la « majorité » : on est majeur de quelque chose, c’est relatif. Un enfant peut donc très bien être assez mâture pour parler de tel ou tel sujet. Et là en l’occurrence l’auteur de la blague ne parlait pas de maturité dans l’absolu mais sur un sujet précis.