• J – 94 : Julien m’a renvoyé ses corrections dans Raffut . Comme toujours c’est extrêmement précis et très constant. Je ne sais pas combien de fois Julien a noté en marge, en commentaire que juge ne s’écrivait pas Juge ou encore qu’il fallait éviter la double ponctuation, il serait temps en effet que j’apprenne que l’on peut faire suivre un point d’interrogation ou un point d’exclamation d’un bas de casse et de cette sorte on comprend bien que la phrase est encore ouverte, qu’elle n’est pas finie et que j’ai encore des choses à y dire. En dépit de mes efforts dans ce texte pour cheviller solidement mes phrases interminables (j’aurais été marqué au fer rouge il y a trente ans par la lecture d’ Under the vulcano de Malcom Lowry et cette façon vertigineuse de Lowry d’exprimer dans une même phrase les trois ou quatre pensées simultanées du Vice-Consul alors qu’il est sous mescal, et donc de vouloir faire un peu pareil, mais sans les moyens proprement hallucinants de Lowry, peut-être devrais-je essayer le mescal, encore que j’ai peur que cela ne soit plus trop de mon âge, déjà qu’on me laisse une place assise dans le métropolitain, il ferait beau voir que je joue les auteurs sous influence) et faire en sorte d’éviter à tout prix hypallages et propositions insuffisamment relatives ou subordonnées et des phrases substantives par défaut comme s’il en pleuvait, dans lesquelles le sujet à force d’être séparé du verbe finit par le perdre tout à fait, en dépit donc de tels efforts pour me gendarmer un peu, mais néanmoins dans le désir, dans la première partie de donner à lire comment le quotidien, déjà pas simple du narrateur, s’augmente de cette agression de son fils et comment dans la deuxième partie il est submergé par les méandres des enjeux contradictoires de la comparution immédiate de l’agresseur de son fils, j’avais malgré moi, bien malgré moi, laissé quelques passages qui égaraient même un lecteur aguerri comme Julien.

    Et, toute affaires cessantes, profitant d’un open space encore fort désert le matin, seul presque pendant deux heures, je me suis lancé à corps perdu dans les corrections, celles simples, pointées en marge en commentaires, et celles plus épineuses qui ont même nécessité pour certaines d’entre elles que je les imprime et que je reproduise des exercices de grammaires anciens, encerclant le verbe, encadrant le sujet, puis dessinant tous les petits wagons d’un train parfois fort long de marchandises. Et, suivant la suggestion de Julien, je crois qu’il faut que je retravaille la journée de mercredi du récit, celle dans laquelle il ne se passe pas grand chose et qui sert d’articulation entre la première et la dernière partie, lui trouver, comme le suggère habilement Julien une ponctuation propre, très différente des deux parties et de leurs phrases pleines de méandres, donner à cette partie intermédiaire un rythme propre.

    Et je pourrais imprimer et donner ce nouveau récit à lire à mon éditeur, j’aime bien dire mon éditeur .

    Chose amusante, quand j’y pense, en fait, je ne suis pas plus rassuré que je ne l’étais avant de le rencontrer et d’avoir emporté son adhésion avec Une Fuite en Egypte , si cela se trouve, il ne va pas du tout apprécier Raffut . Il ne trouvera pas dans Raffut les qualités qu’il avait trouvées dans Une Fuite en Egypte . C’est même bien pire que cela, j’ai le sentiment que l’on ne peut pas aimer à la fois Une Fuite en Egypte et Raffut .

    #qui_ca