Décret anti-immigrés  : Trump n’innove pas

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  • Décret anti-immigrés  : Trump n’innove pas
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/02/02/decret-anti-immigres-trump-n-innove-pas_5073246_3232.html

    Pour la journaliste indépendante Atossa Araxia Abrahamian, le texte signé le 27 janvier ne sort pas de nulle part  : le Congrès en avait jeté les bases, en janvier 2016, avec une loi qui créait déjà deux catégories d’Américains.

    #paywall

    When Rhetoric Becomes Reality: Changes to Visa Waiver Program Create Second-Class Citizens [Jan. 2016]
    http://www.huffingtonpost.com/azita-ranjbar/when-rhetoric-becomes-rea_b_8934832.html

    The #Visa Waiver Program Improvement and Terrorist Travel Prevention Act of 2015 (henceforth referred to as H.R. 158) effectively renders dual citizens and those who have traveled to Iran, Iraq, Sudan, and Syria second-class citizens by creating a two-tiered system of citizenship.

    [...] H.R. 158 denies visa waivers to anyone who has traveled to or holds dual citizenship with Iran, Iraq, Sudan, and Syria. Although the stated impetus of this bill was the San Bernardino mass shooting, the origin countries of the perpetrators (i.e. Saudi Arabia and Pakistan) were not included in the bill, yet another indicator of the political backdrop.

    [...] this bill was passed almost unanimously in the House and signed into law by President Obama on December 16. While the media heralded the relatively painless passage of the Omnibus Appropriations Bill, coverage of H.R. 158 remains conspicuously absent.

    #Etats-Unis

    • Décret anti-immigrés  : Trump n’innove pas ( sans #paywall )

      Le décret présidentiel de Donald Trump sur l’immigration, adopté le 27 janvier, qui interdit l’entrée aux Etats-Unis aux immigrés, réfugiés et voyageurs en provenance de sept pays à majorité musulmane, a été élaboré à huis clos et sans aucun véritable processus d’évaluation juridique. Le fond de ce décret et son application ont été un véritable coup de semonce pour des millions d’Américains qui attendaient encore, avec inquiétude, de savoir jusqu’où leur nouveau président était capable d’aller. Ils l’ont découvert, et ils n’ont pas tardé à réagir.

      En quelques heures, des manifestations ont éclaté dans tout le pays. Des gens sont venus protester en masse, pas seulement dans les grands parcs des centres-villes ou dans les rues passantes, mais dans les aéroports, difficiles d’accès, et ce malgré le froid glacial. Ils ont récolté près de 25 millions de dollars de dons pour l’Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) ; ils ont fait appel à leurs représentants. Contrairement à la Marche des femmes, qui a eu lieu au lendemain de l’investiture, et qui avait été organisée bien en amont, ces rassemblements ont été spontanés et n’ont pas fait l’objet d’une autorisation : une nouvelle forme d’action pour une nouvelle Amérique.

      « C’est peut-être du Trump tout craché, mais ce n’est pas uniquement l’œuvre de Trump »

      Pour chaque Américain qui soutient le décret anti-immigration de Trump – rappelons quand même que la moitié des personnes sondées y sont favorables –, un autre s’en indigne. Un lecteur inquiet écrivait dans le New York Times : « Je suis peut-être né aux Etats-Unis, mais ce pays m’est devenu étranger. Cette terre n’est pas ma terre. Je ne partage plus ses croyances, je n’approuve plus ses actions, je ne reconnais même pas ses méthodes. Je ne suis pas un Américain de cette Amérique-là. »

      Pour ceux d’entre nous qui vivent ici mais qui ne sont pas américains, ce décret a été un choc – mais pas une surprise. Certes, Trump est allé plus loin qu’aucun autre leader américain pour empêcher de nombreux ressortissants de pays musulmans d’entrer aux ­Etats-Unis. Et il ne nous a pas épargné son humour douteux : « Cela fonctionne très gentiment », a-t-il déclaré aux journalistes à propos du chaos qui régnait dans les aéroports nationaux. Mais ceux qui ont eu un jour besoin d’un visa pour vivre et travailler aux Etats-Unis savent à quel point il était déjà difficile d’obtenir une approbation, à quel point il est effrayant d’avoir affaire aux autorités quand plane toujours au-dessus de votre tête la menace d’une expulsion, à quel point il est difficile de se sentir sur un pied d’égalité avec les « vrais » Américains, et à quel point la détention d’un passeport étranger est immédiatement suspecte.

      Ajouter l’insulte à l’injure

      C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la sous-catégorie de résidents américains qui sont citoyens des sept pays blacklistés. En tant que citoyenne iranienne, canadienne et suisse, j’ai plutôt eu de la chance, car j’ai toujours pu utiliser mon passeport nord-américain et éviter ainsi les nombreux ennuis que rencontrent la plupart des Iraniens. Mais je savais pertinemment aussi que si je n’étais pas née au Canada, si je n’avais pas grandi à Genève, j’aurais eu des problèmes autrement plus grands.

      Ce décret n’est pas sorti de nulle part. Loin de là : les observateurs l’ont vu venir il y a un an déjà, avant même que Donald Trump ne devienne un concurrent sérieux pour l’investiture républicaine. En janvier 2016, le Congrès a voté la loi HR 158, obligeant les citoyens binationaux des sept pays blacklistés à demander un visa pour entrer aux Etats-Unis, même s’ils avaient une autre nationalité. Autrement dit, un Franco-Iranien ou un Suédois détenant aussi la nationalité soudanaise ne pouvaient plus se présenter aux Etats-Unis sans en avoir d’abord obtenu l’autorisation. Leur histoire familiale, ou même simplement leur lieu de naissance, suffisait à faire de ces citoyens une menace.

      Cette version « soft » de l’interdiction a bien ouvert la voie au décret signé la semaine dernière : c’est peut-être du Trump tout craché, mais ce n’est pas uniquement l’œuvre de Trump. Bien que des spécialistes juridiques et des organisations de défense des libertés civiles fassent de leur mieux pour contenir les effets les plus extrêmes de cette loi, le tort ne date pas d’hier et il y a peu de chances qu’il soit effacé.

      Quand la loi HR 158 est passée, c’est à peine si on l’a remarquée. Mais cette fois, les Américains ont réagi rapidement et avec force. On est en droit de se demander pourquoi maintenant et pas plus tôt. Le fait que l’homme qui est aujourd’hui à la tête du pays ait la plus faible cote de popularité jamais enregistrée pour un président en exercice au bout d’une semaine n’y est pas pour rien, comme il n’est pas indifférent que l’interdiction ait initialement affecté les détenteurs d’une carte verte et les citoyens binationaux, qui constituent une grande partie de la population, et que les personnes concernées aillent des réfugiés aux universitaires. L’indignation que le décret a soulevée dans le secteur privé explique aussi en partie la réaction de l’opinion (les Américains ont généralement plus d’estime pour les PDG que pour les responsables publics). Et, comme pour ajouter l’insulte à l’injure, ce décret a été signé le jour dédié à la mémoire de la Shoah… Néanmoins, quelle que soit la raison de cette soudaine indignation, mieux vaut certes tard que jamais.

      Un tribunal a fait cesser les expulsions prévues par le décret, et le gouvernement canadien a assuré à ses citoyens que cette loi ne les affecterait pas (bien que l’administration Trump ait été peu claire sur le pourquoi du comment de cette dérogation). Mais, personnellement, je ne compte pas me rendre à l’étranger pour le moment. L’inquisition habituelle à l’aéroport est déjà assez stressante pour quiconque n’a pas le visa qu’il faut, la couleur de peau ou le nom qu’il faut. Qui plus est, l’esprit, sinon la lettre du décret Trump, continuera de peser longtemps, même après qu’on en aura réglé les détails : le gouvernement américain ne veut pas des individus liés aux sept pays qu’il a nommés, et il imposera sa volonté sans vergogne. Il revient au peuple américain de tempérer – et de défaire – ces politiques cruelles et inhabituelles.