• Combat contre l’islamophobie : quand Lutte Ouvrière inverse la hiérarchie des normes | Julien Salingue, Christine Poupin, Ugo Palheta et Selma Oumari
    https://npa2009.org/idees/antiracisme/combat-contre-lislamophobie-quand-lutte-ouvriere-inverse-la-hierarchie-des-

    Les articles de la rubrique Idées n’expriment pas nécessairement le point de vue de l’organisation mais de camarades qui interviennent dans les débats du mouvement ouvrier. Certains sont publiés par notre presse, d’autres sont issus de nos débats internes, d’autres encore sont des points de vue extérieurs à notre organisation, qui nous paraissent utiles. Source : Nouveau Parti Anticapitaliste

    • Le 15 janvier 2017, Lutte Ouvrière (LO) mettait en ligne sur son site un article (non signé) intitulé « Le piège de la "lutte contre l’islamophobie" », extrait de la dernière livraison de la revue mensuelle Lutte de Classe. Celles et ceux qui ont suivi les prises de position et les analyses de LO concernant les « débats sur l’Islam », qui agitent régulièrement le champ politique français depuis une quinzaine d’années, n’ont pas été surpris du fond de l’argumentation. Mais le moins que l’on puisse dire est que les arguments avancés et la forme prise par le raisonnement de LO, sans même parler des attaques contre divers individus et organisations, méritent que l’on s’y arrête… et que l’on y réponde.

      @rezo

      #Lutte_Ouvrière #islam #NPA

    • Conclusion
      On pourrait se contenter, pour clore cette réponse, de noter que l’article de LO a recueilli l’accueil enthousiaste de Fourest et Clavreul – soutiens de Manuel Valls et défenseurs d’une vision intégriste de la laïcité, clairement tournée contre les Musulman-e-s – mais aussi de Natacha Polony, une figure de la pensée néo-conservatrice. Évidemment, on a les amis et les ennemis que l’on mérite. Mais l’essentiel n’est pas là : il est dans (au moins) trois divergences importantes entre nos deux organisations.

      1- La première divergence concerne l’islamophobie elle-même. Contrairement à ce qu’écrit LO au début de son article, l’islamophobie va bien au-delà d’une simple « illusion », « diversion » ou « écran de fumée ». D’ailleurs, comme le rappelle Pierre Tevanian, « pour tous ceux qui ne sont pas enfumés, qui ne se la prennent pas dans la gueule cette fumée, ça a pour seul effet de les empêcher de voir une partie de la réalité. Mais pour ceux qui se la prennent en pleine face cette fumée, elle est dangereuse, elle est toxique, pour les filles voilées, pour leurs familles, pour les musulman- e-s en général. Cette loi n’a pas seulement pour effet de réduire leur champ de vision, mais de réduire leur champ de vie, de les virer de l’école, de les déscolariser, de les désocialiser, de les humilier, de les brutaliser à un âge où on est fragile. […] S’il y a écran de fumée, n’oublions pas aussi qu’il étouffe, il empoisonne une partie de la population ».

      Avant de faire diversion ou de diviser, l’islamophobie constitue donc une oppression et c’est d’abord en tant qu’oppression qu’elle doit être combattue, parce qu’elle a des conséquences immédiates – matérielles, idéologiques et psychologiques – pour la vie de millions de personnes (en France et ailleurs), dont la grande majorité appartiennent aux classes populaires. C’est d’ailleurs parce qu’elle n’est pas un simple « écran de fumée », mais une oppression suscitant et reproduisant des divisions réelles au sein des classes populaires, qu’elle peut jouer actuellement un rôle si central dans les stratégies de la classe dirigeante française. Depuis une quinzaine d’années, c’est ainsi sur le dos des Musulman-e-s (mais aussi des immigré-e-s), donc sur le terrain identitaire et raciste, que les gouvernements successifs ont cherché à obtenir le consentement d’une partie au moins des travailleurs/ses à l’ordre capitaliste – là où, sur le terrain social, les travailleurs/ses restent massivement opposées à la purge néolibérale et aux politiques d’austérité.

      2- Une deuxième divergence concerne le rapport aux premiers/ères concerné-e-s par cette oppression. L’offensive de l’été dernier autour du « burkini » a constitué de ce point de vue une leçon de choses : ce sont toujours aux femmes qu’on impose des injonctions vestimentaires, dans un sens ou dans un autre. Or ces injonctions participent de l’oppression des femmes, du contrôle que certains tentent de s’arroger sur leurs corps. C’est pourquoi en août dernier, en manifestant sur la plage de Port-Leucate contre la décision municipale d’interdire sur les plages le port du « burkini » (décision qui a d’ailleurs été retoquée par le Conseil d’État), nous chantions « trop couvertes ou pas assez, c’est aux femmes de décider ». Pour le dire autrement, à l’instar de la quasi-totalité des mouvements féministes dans les pays majoritairement musulmans, mouvements parfois de masse que LO choisit de superbement ignorer, nous sommes tout aussi opposé-e-s à ceux qui veulent imposer à une femme de porter tel ou tel vêtement qu’à ceux qui veulent lui imposer de le retirer.

      Plus largement, nous considérons que l’auto-organisation n’est pas un slogan pour les jours de fête : les militants anticapitalistes et révolutionnaires n’ont pas à sermonner de manière paternaliste les opprimé-e-s sur la meilleure manière de mener leurs luttes. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas attendu LO pour défendre leurs intérêts, et ils auraient pu attendre longtemps, tant – comme on l’a vu – LO se montre davantage soucieuse de dénoncer la lutte contre l’islamophobie que d’y contribuer. Ce que nous pouvons, en tant que militant-e-s et en tant qu’organisation, c’est nous faire les meilleurs alliés des luttes que mènent les opprimé-e-s, en popularisant leurs mots d’ordre, revendications et propositions quand ils nous paraissent aller dans le sens d’une politique d’émancipation et des intérêts fondamentaux de notre camp social.

      C’est seulement en participant à des fronts communs et en menant des batailles communes que nous pourrons convaincre que, pour en finir réellement avec les oppressions, il faudra bâtir une unité de classe et abattre le pouvoir capitaliste par des moyens révolutionnaires. Or, dans ce combat pour l’émancipation du genre humain, ce qui compte ce n’est pas l’opinion des exploité-e-s et des opprimé-e-s sur Dieu, le salut ou l’origine du monde. Comme l’affirmait Lénine, « l’unité de cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur la terre nous importe plus que l’unité d’opinion des prolétaires sur le paradis du ciel ».

      3- Une troisième divergence tient, enfin, dans la conception de la politique pour une organisation révolutionnaire. Comme l’illustre sa campagne présidentielle, LO se caractérise plus que jamais par une vision très étroite de la lutte politique, réduite en bonne partie aux conflits sur les lieux de travail, à la défense d’un programme d’urgence composés de revendications indispensables mais strictement économiques (augmentations de salaires, interdictions des licenciements, etc.) et à une propagande abstraite pour « le communisme » (dont LO ne dit à vrai dire pas grand-chose si on y prête attention). Comme nous l’avons écrit plus haut, ce réductionnisme économique est à mille lieues de la pratique politique qui fut celle de Marx, Lénine, Trotsky ou Luxemburg. Si une organisation à prétention révolutionnaire se complaît dans une posture de gardienne du dogme et dans une routine essentiellement destinée à s’auto-reproduire, se montrant dès lors incapable de contribuer activement aux batailles politiques menées actuellement contre l’islamophobie, l’état d’urgence ou les guerres impérialistes, quelle peut être son utilité pour modifier réellement le rapport de forces en faveur des exploité-e-s et des opprimé-e-s ?

    • Pour que chacun se fasse son idée, je donne ici en lien l’article de LO : http://mensuel.lutte-ouvriere.org//2017/01/22/le-piege-de-la-lutte-contre-lislamophobie_75202.html

      La réponse de Palheta et de Salingue est malhonnête, car ils font mine de croire que LO « renonce à combattre, en France, l’influence des courants de l’Islam intégriste » quand LO explique précisément que le combat nécessaire contre l’influence des courants de l’Islam intégriste ne peut se faire dans le refus de « défendre sans relâche les perspectives communistes » ; que LO « subordonne le développement de la lutte des classes à la propagande antireligieuse et au combat contre l’intégrisme » quand LO explique précisément que le combat contre la propagande antireligieuse et l’intégrisme n’est pas séparable, en premier lieu, de la renaissance du mouvement ouvrier sur son propre terrain ; que LO refuse de combattre « contre des discriminations qui non seulement pourrissent l’existence de millions de personnes mais qui, de plus, affaiblissent l’ensemble de notre camp social » quand LO précise justement que c’est affaiblir notre camp social que de se solidariser avec des mouvements ou des courants qui sont étrangers, voire hostiles aux idées et aux valeurs du mouvement ouvrier... Je passe les détails, du genre l’affirmation selon laquelle LO aurait qualifié l’idée même d’islamophobie d’"ânerie" alors qu’elle visait (clairement) par « ânerie » le fait de considérer que sa critique de l’islam serait un « rejet de tous ceux qui partagent la foi musulmane »...

      Extrait :

      Il est donc évidemment possible de lutter à la fois contre les discriminations racistes et contre la religion.

      C’est la raison pour laquelle le terme d’islamophobie nous a paru ambigu, et il l’est toujours par certains aspects, bien que le mot soit devenu d’usage courant. Nous rejetons et combattons les discriminations qui peuvent s’exercer à l’encontre des musulmans, parce que nous sommes pour la liberté de culte. Mais nous sommes athées, opposés à toutes les religions. Et l’équation, imposée par les islamistes et leurs amis, selon laquelle lutter contre la religion musulmane signifierait être raciste, est une escroquerie.

      Une partie de la classe politique française actuelle rejette et discrimine les musulmans, en tout cas les pauvres, ceux des cités et des usines, car elle ne rejette certainement pas les milliardaires des théocraties du Golfe. Et il est compréhensible que nombre de jeunes se sentent victimes d’une oppression spécifique, qui existe bel et bien. Comment admettre que les politiciens de droite, qui hurlent à la laïcité et veulent interdire les menus de substitution dans les cantines, soient les mêmes qui combattent pour permettre l’installation de crèches de Noël dans le hall de leur mairie  ?

      La laïcité des politiciens bourgeois d’aujourd’hui est à géométrie variable, et elle est tournée contre la religion musulmane, comme elle l’a été en d’autres temps contre les Juifs. Et c’est d’autant plus choquant que les mêmes n’ont pas hésité, dans le passé, à se servir de l’islam pour tenter de canaliser la colère et le ressentiment des jeunes des banlieues, comme le fit Sarkozy lorsqu’il créa le Conseil national du culte musulman.

      Défendre le communisme

      Mais nous estimons que c’est notre rôle, en tant que communistes, de dénoncer l’emprise de la religion musulmane sur la jeunesse d’origine immigrée  ; de nous battre, de militer pour essayer d’arracher celle-ci au «  brouillard de la religion  », comme écrivait Marx, pour lui ouvrir les yeux, lui faire comprendre que son émancipation ne se fera pas par la soumission à des principes religieux d’un autre âge, mais dans l’union de classe avec le reste du prolétariat.

      Notre tâche de révolutionnaires n’est pas de conforter les travailleurs dans leurs préjugés religieux, mais de les combattre. D’expliquer que l’islam politique, fût-il radical, n’a jamais combattu l’oppression sociale  ; que c’est un courant profondément anticommuniste  ; que là où il est au pouvoir, il l’est aux côtés de la bourgeoisie, réprime les grèves et assassine les militants ouvriers  ; que l’islam, comme toutes les religions, prône la soumission et la résignation face à l’ordre social, en un mot que les partis politiques islamistes sont des partis bourgeois. De reprendre à l’identique, en ajoutant simplement au mot christianisme ceux de judaïsme et d’islamisme, les paroles de Marx  : «  Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement, la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille  ; le prolétariat, qui ne veut pas se laisser traiter en canaille, a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d’indépendance beaucoup plus encore que de son pain.  »

      C’est notre rôle d’expliquer aussi que, si les musulmans sont victimes de discriminations, c’est aussi un résultat de la politique des groupes djihadistes eux-mêmes, dont le caractère aveugle des attentats vise précisément et consciemment à provoquer des réactions de rejet contre les musulmans chez les Français non issus de l’immigration. Les travailleurs musulmans, en France, sont les secondes victimes des attentats, après les morts et les blessés. Il s’agit d’une politique consciente des dirigeants de l’islam politique, qui raisonnent de la même façon que les dirigeants impérialistes, et sont tout autant des ennemis des opprimés.

    • Lu sur le Forum des Amis de LO :

      « Les militants anticapitalistes et révolutionnaires n’ont pas à sermonner de manière paternaliste les opprimé-e-s sur la meilleure manière de mener leurs luttes » écrivent les auteurs (NPA).

      Il serait donc « paternaliste » (un reproche fréquemment repris ces temps-ci à l’encontre des positions réaffirmées par LO) de vouloir militer (car c’est bien le vrai sens de « sermonner ») contre les préjugés religieux, nationalistes, communautaires, mais aussi réformistes ou sexistes, dès lors que ces préjugés sont le fait d’opprimés ; au passage, que ces opprimés mènent ou non des luttes ne change rien à l’affaire, à moins que les militants politiques soient censés se taire dès lors que les luttes commencent.

      Avec une telle démarche, on ne comprend pas bien à quoi sert un parti - si ce n’est à applaudir à tout ce que font, pensent ou disent ceux dont il se prétend les défenseurs... c’est-à-dire à soutenir d’autres forces militantes. Et surtout, on ne voit pas au nom de quoi les militants révolutionnaires seraient davantage autorisés à critiquer des travailleurs qui veulent voter Le Pen, par exemple. Parce que cela aussi, c’est fichtrement paternaliste, de penser savoir mieux que les travailleurs ce qui est bon pour eux, non ? Je doute cependant que tous ceux qui accusent LO de paternalisme à propos de son attitude vis-àvis des idées défendues par certains travailleurs d’origine immigrée feraient de même en ce qui concerne celles défendues par les travailleurs qui votent FN. Eh bien, ce « deux poids deux mesures », c’est précisément l’expression d’un paternalisme, un vrai celui-là, qui affirme implicitement que les préjugés ou les idées réactionnaires sont bien assez bons pour une partie des travailleurs. Une partie qu’on doit plaindre, mais jamais critiquer, c’est-à-dire s’efforcer de gagner aux idées communistes.