• Après avoir vu l’émission Mise au Point (RTS) du 29.01.2017 intitulée « RIE III : Impôts en kit » (http://www.rts.ch/play/tv/mise-au-point/video/rie-iii-impots-en-kit?id=8347517)...

    Mode d’emploi RTS : Comment décrédibiliser le métier de chercheur

    « Le coeur de la fiscalité, ce qui va être gagné, perdu, l’ampleur des pertes et recettes fiscales, tout cela dépend de ces ’outils techniques’ [expliqués auparavant dans le reportage, nda]. Donc c’est des questions ultra-importantes. […] En aucun cas il y a une définition précise de ce que c’est les intérêts notionnels, puisque la loi laisse ouverte, c’est-à-dire du seul ressort de Monsieur Maurer, la définition précise ce ce que seront concrètement la déduction des intérêts notionnels. Que ce soit le volume du capital excédentaire, que ce soit le taux d’intérêts qui sera appliqué à ce capital excédentaire ».

    Ce que vous venez de lire ce sont les propos tenus par un professeur d’histoire de l’Université de Lausanne, interviewé dans l’émission Mise au point de la RTS le 29 janvier 2017. Ledit professeur a été questionné sur la réforme RIE3 en votation le prochain 12 février. Il a été interrogé car, je cite le journaliste, « [cette réforme] est un peu compliqué[e] ». Pour cette raison, l’équipe de Mise au point est « allée voir un spécialiste ». Logique ! Les chercheuses et chercheurs universitaires sont là pour cela : décortiquer, déconstruire, analyser, expliquer des phénomènes sociaux, souvent complexes. C’est le propre de ce beau métier, que je pratique aussi. C’est pour cela que ce professeur d’histoire, qui a notamment co-dirigé un projet de recherche financé par le Fonds national de la recherche scientifique suisse (FNS) sur l’histoire de la place financière suisse de 1890 à 1970 a été interpellé par la RTS. A partir de ses recherches, il a publié un nombre important d’articles scientifiques dans des revues à comité de lecture.

    Tout dans le profil de ce professeur indique qu’il possède les compétences requises pour répondre aux questions du journaliste autour de la réforme fiscale soumise en votation au peuple. Pourtant, au lieu de mettre en avant ses compétences, la RTS a préféré mettre en garde les téléspectateurs : « Attention, il est de gauche ! », nous informe le journaliste avant de donner la parole au professeur. Il est de gauche, oui, le Professeur Guex écrit notamment pour le journal SolidaritéS. Il est de gauche, et probablement, si on l’interpelle sur le sujet, il n’a aucun problème à le dire. Sauf que là on l’a interpellé en tant que professeur universitaire pour une expertise, une analyse des outils, bien alambiqués, il faut l’admettre, concoctés dans la proposition de réforme du système d’imposition. Si cela peut encore passer de le qualifier pour son positionnement sur l’échiquier politique, il est inadmissible qu’on y ajoute ce petit mot d’alarme : « attention ! ». Attention à quoi, d’ailleurs ?

    En tant que chercheuse je ne peux que m’insurger face à ce petit mot de trop. Un mot qui décrédibilise les compétences que nous développons au sein de ces institutions publiques que sont les Universités. Neuf lettres associées au danger, à la peur. Un péril qui ne semble pas être perçu par la RTS quand ils interviewent, après avoir donné la parole au professeur Guex, un membre de direction de PWC, une entreprise qui « fait de l’optimisation fiscale », comme on le souligne dans le reportage. Le journaliste commente ainsi son arrivée dans l’entreprise : « Ici, on n’est pas de gauche ». Mais là, pas de mots de garde. Une simple constatation, d’une banalité consternante, au vu de l’entreprise en question. On n’ose même pas dire « Ici, on est de droite ! », on préfère la négation de l’option opposée : « Ici, on n’est pas de gauche ! ».

    La dernière personne interviewée est Monsieur le Conseiller d’Etat Pascal Broulis. Sa position sur l’échiquier politique n’est pas affichée. A côté de son nom on indique sa fonction, même pas le parti qu’il représente, soit dit en passant le parti libéral-radical. De lui, la RTS ne dit ni « Attention, il n’est pas de gauche ! », ni « Attention, il est de droite ! ».

    Ce n’est que devant le professeur universitaire que la RTS met en garde le téléspectateur et la téléspectatrice, alors que c’est la personne qu’on a interviewée pour ses compétences analytiques et qui est rémunéré, par ces mêmes téléspectateurs, pour qu’il puisse les acquérir et consolider. Rappelons à la RTS, au cas où elle l’aurait oublié, que les universitaires doivent respecter une charte éthique et déontologique. Et que celle-ci oblige les chercheurs à, je cite celle de l’Université de Genève, « recherche[r] la vérité dans la quête du savoir », celle-ci supposant un « eprit de rigueur et répond[ant] à des exigences d’intégrité et d’équité ». La recherche de la vérité, continue la charte, « requiert la compétence, l’observation critique des faits, l’expérimentation, la confrontation des points de vue, la pertinence des sources. Elle dépend étroitement de la rigueur des méthodes mises en œuvre, comme conditions d’obtention de résultats répondant à des critères d’objectivité et d’impartialité ». Un petit rappel des principes déontologiques de la recherche scientifique utile aux journalistes de la RTS, et bien au-delà, en ces temps de « post-vérité ».

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