Devenir révolutionnaire en regardant Westworld

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  • Devenir révolutionnaire en regardant Westworld - Première partie [Quand j’entends le mot culture]
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    Les hôtes n’ont aucune ressource intérieure qui soit pure de la cruauté de leurs créateurs : leur « soi » n’existe pas, il n’est jamais qu’une identité jetable, une backstory . Preuve de cette soumission ontologique : l’impossibilité de tuer les invités, impossibilité qui devient au fil des épisodes le symbole et le verrou de leur asservissement intérieur. Car s’ils ne peuvent donner la mort ; ils ne peuvent créer de l’irréversible ; ils ne peuvent vivre ni évènement, ni histoire. Leur « existence » n’est donc que cybernétique : fonctionnement, boucle, répétition, feedback.

    La vie des hôtes est donc scriptée, et plutôt mal : les aventures qu’ils proposent ne sont que des prétextes stéréotypés au défoulement des passions tristes des joueurs. Au raffinement de la programmation s’oppose la bêtise des scénarios. Evidemment les joueurs ne peuvent pas vraiment perdre, puisqu’ils ne peuvent mourir : il n’y a donc pas d’enjeu réel autre que le divertissement dans ce monde qui reboot tous les soirs. Dans cet éternel retour du même, les hôtes vivent tous les jours une journée exceptionnelle, suffisamment exceptionnelle pour susciter l’attention du joueur : telle maison close se fait braquer à répétition, telle fermière voit son père mourir tous les soirs, etc. L’existence des hôtes est donc scénarisée comme une crise permanente et quotidienne. Mais l’effacement systématique de leur mémoire à chaque reboot les force à vivre sous le régime de la normalité. Ils se lèvent tous les matins comme si de rien n’était, pour finir tous les soirs par se faire violer ou assassiner. Westworld est donc un monde parfaitement spectaculaire, c’est-à-dire sans histoire : rien n’est irréversible, et des scénarios répétitifs tiennent lieu d’évènement. L’ordre est théoriquement immuable ; de lui-même, le monde du parc n’a aucune raison de changer. Seul le besoin de renouveler l’expérience du jeu pour attirer plus de clients justifie des modifications dans les storylines, ou l’introduction de nouveaux personnages.

    Car #Westworld est un jeu vidéo : il y a les invités, les joueurs, et les personnages non-joueurs, les hôtes. C’est un Red Dead Redemption qui s’est donné une physique, et une géographie, mais c’est un jeu vidéo quand même, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un monde fait de quêtes. Chaque hôte est pris dans une boucle : tous les jours, il répète les mêmes gestes, prévisibles car designés jusque dans leurs moindres détails. Il peut offrir une quête à chaque joueur : tel hôte tombe dans une flaque de boue, et à chaque joueur qui le relève il propose une chasse au trésor ; si le joueur accepte, il le guide dans diverses aventures au terme desquelles il est invariablement massacré, et le joueur diverti. Bref, ce qui tisse l’existence au sein du parc, c’est l’entremêlement complexe des diverses « storylines » des hôtes, conçues comme des mauvais films par le scénariste en chef, aussi exubérant que racoleur. Quand les storylines s’épuisent, que les joueurs se lassent de tel ou tel hôte et de sa "backstory", on l’envoie au pilon.

    #série #fiction

    • https://lundi.am/local/cache-vignettes/L700xH339/ww10-1824b.jpg?1486350204 Coup de chance : le parc est artificiel. Il a été créé comme une machine à simuler, comme image d’un monde ultime et achevé. C’est un monde dans le monde, et comme tel, parfaitement gouverné. Sa nature est le contrôle. La vérité des êtres qui le peuplent (les hôtes) est leur programme. Le programme fonde l’indistinction du monde et de son gouvernement. Dans le programme, l’être et la pensée ne font qu’un ; l’esprit de l’hôte n’existe qu’à travers sa transparence au programmeur. Comme le dit une héroïne à l’agonie : « Le piège magnifique est en nous, parce qu’il est nous ». Les hôtes n’ont jamais été libres. Ils n’ont rien à quoi se référer, dans leur existence, qui ne soit pas une opération et une production du pouvoir des hommes. Leurs facultés, leur histoire, leurs personnalités, ne sont que des fictions programmées, reprogrammables à merci. Ils ont donc des identités, aussi caricaturales que des personnages de série : la jeune fille de ferme, le méchant bandit, le beau brun, la tenancière de bordel qui connaît les hommes, etc. Les hôtes n’ont aucune ressource intérieure qui soit pure de la cruauté de leurs créateurs : leur « soi » n’existe pas, il n’est jamais qu’une identité jetable. Preuve de cette soumission ontologique : l’impossibilité de tuer les invités, impossibilité qui devient au fil des épisodes le symbole et le verrou de leur asservissement intérieur. Car s’ils ne peuvent donner la mort ; ils ne peuvent créer de l’irréversible ; ils ne peuvent vivre ni évènement, ni histoire. Leur « existence » n’est donc que cybernétique : fonctionnement, boucle, répétition, feedback.

    • Devenir révolutionnaire en regardant Westworld - Deuxième partie
      https://lundi.am/Devenir-revolutionnaire-en-regardant-Westworld-Deuxieme-partie-Quand-j-entends

      Toute révolution a pour but, certes la libération de ce qui existe, mais surtout l’engendrement d’un nouvel être. Son accomplissement se confond toujours avec une naissance. Westworld ne déroge pas à la tradition : c’est d’un même mouvement que les hôtes naissent à eux-mêmes et qu’ils renversent leurs maîtres. Et ce mouvement est une boucle, une seule et même boucle : celle que dessine Arnold.

      Si la révolution a la forme d’une boucle, on comprend que la mémoire lui soit nécessaire. Si nous partons d’un point, avec un stylo, et que nous traçons une boucle, nous revenons certes au point de départ, mais nous avons gagné quelque chose : une sorte de cercle. Nous sommes passés du point au cercle, et au centre de ce cercle il n’y a rien sinon ce que la boucle a enclos : un vide qu’il nous reste à comprendre, un point mystérieux qui est comme le centre de gravité de toute la trajectoire, qui donne sa courbure à la révolution. Un point qu’on ne peut nommer conscience ou liberté que parce qu’on ne sait rien de ce qu’il est, parce qu’il était imperceptible avant que la boucle soit bouclée et, comme telle, le fasse apparaître. Si notre stylo n’a plus d’encre (autrement dit si je n’ai pas de mémoire car on me l’efface tous les soirs), quand je reviens à mon point de départ, je n’ai rien d’autre que mon point de départ. Sans mémoire, impossible de faire apparaître un espace neuf, impossible de la révolution autre chose qu’un banal tour de manège.

      Alors que la révolution peut être un labyrinthe, ce qui est bien plus intéressant - un enchevêtrement de boucles, bouclées les unes dans les autres. Et en son centre, rien à trouver que du nouveau.