• Marx et la question juive : Retour d’un procès anachronique
    https://www.nonfiction.fr/article-4435-marx-et-la-question-juive-retour-dun-proces-anachronique.htm
    Très intéressante comparaison de l’émancipation juive au dix neuvième siècle en France et Allemagne à travers une critique du livre malhonnête d’André Sénik « Marx, les Juifs et les droits de l’homme ».

    D’après ce texte il y a quelques omissions et différences non-négligeables entre le texte allemand
    Zur Judenfrage , 1843
    http://www.mlwerke.de/me/me01/me01_347.htm
    et sa traduction française
    La Question Juive
    https://www.marxists.org/francais/marx/works/1843/00/km18430001c.htm

    28.3.2011 par Frédéric MÉNAGER-ARANYI - Un ouvrage qui place la judéophobie au cœur de la pensée de Marx. Une thèse sans nuances, peu propice au débat et souvent simplificatrice sur le rapport de Marx à sa judaïté, plus complexe qu’il n’y paraît.

    Il n’est pas rare que des anciens staliniens repentis, deviennent les premiers contempteurs de leur ancienne foi.
    La démarche est souvent courageuse, lucide et instructive. Chez un auteur comme François Fejtö, elle s’accompagnait au cœur des années 70 d’un travail d’historien des démocraties populaires sans concession, tout en demeurant d’une fidélité exemplaire à une gauche démocratique que le stalinisme abhorrait par dessus tout. Il est d’autres attitudes beaucoup plus radicales qui consistent à prendre le contre-pied de ses anciennes passions. Chez Annie Kriegel, mère spirituelle de ce courant et redoutable apparatchik du PCF dans sa jeunesse, elle s’accompagnait d’un talent d’historienne reconnu qui éclate dans son livre ethnographique "Les Communistes" et d’un revirement politique clairement affiché.

    André Senik est de cette dernière famille de pensée, décidée à régler son compte au marxisme en même temps qu’à son passé. Ancien militant du PCF, Il a été un des leaders de ce qu’on a appelé à l’ époque le groupe des "italiens" de l’ UECI qui souhaitaient voir le PCF évoluer vers les positions du PCI et entamer une critique de l’ URSS ainsi qu’une libéralisation interne.
    Il est désormais membre du comité de rédaction de la revue "Le meilleur des mondes", née du rapprochement de plusieurs intellectuels ayant quitté l’extrême-gauche et se regroupant autour d’une analyse de la situation internationale fondée sur le choc des attentats du 11 septembre. Cela valut à cette revue quelques polémiques lors du déclenchement de la guerre en Irak lorsque ses rédacteurs soutinrent la position américaine.
    Cette mouvance est souvent présentée aujourd’hui comme un bastion du néo-conservatisme à la française.

    L’émancipation contre les Droits de l’Homme

    Il faut tout d’abord reconnaître les vertus formelles de ce livre.
    La première d’entre elles est la clarté du raisonnement et de la thèse défendue, l’exposé d’André Senik obéissant à un fil conducteur bien identifié.
    Souvent synthétique et accessible, agréable à lire, Senik a indéniablement trouvé un ton serein et posé.
    Développé de manière pédagogique, son propos s’articule autour du concept d’émancipation développé par le jeune Marx, pour en contester la teneur et tenter de prouver que ce concept contient en germe toute la violence inhérente au marxisme et aux régimes qui s’en réclameront.

    Pour cela il faut différencier l’émancipation humaine, concept utilisé par Marx, qui s’appliquerait à l’essence générique de l’homme, de l’émancipation politique qui serait le fruit de la déclaration des droits de l’homme et se fonderait sur une anthropologie individualiste reconnaissant à chacun des droits inaliénables.
    D’un côté, une émancipation qui se rangerait sous la bannière d’un universalisme totalisant, de l’autre un individualisme personnaliste bienveillant qui ferait de l’individu l’objet central de sa conception du monde et serait respectueuse de la liberté de conscience.
    Ainsi, la critique de la religion de Marx laisserait transparaître derrière le terme d’émancipation un refus de la liberté de croyance. La politique antireligieuse des démocraties populaires serait donc directement liée par exemple à la philosophie de Marx bien que Engels ait, pour sa part, critiqué toute forme de mesures de rétorsion sur cette question précise.
    Sénik nous rappelle par la suite que Marx n’appréciait guère les Droits de l’homme.
    Quelques décennies de rhétorique marxiste autour de la distinction entre droits formels et réels auraient suffi à nous rappeler que le philosophe de Trèves et ses disciples proclamés n’ont jamais été des tenants du libéralisme politique.
    Cet aspect de la pensée de Marx ne sera donc pas véritablement une révélation pour des lecteurs avertis.
    A l’exception, donc, de sa focalisation sur le concept d’émancipation, on ne trouvera rien de très bouleversant dans le premier tiers du livre. Toutefois, c’est ce concept, précisément, qui va amener André Sénik à développer son interprétation ultérieure et à cristalliser son opposition à la pensée de Marx.

    C’est donc dans un deuxième temps que l’auteur décide de passer à un degré supérieur.
    Il est désormais visible grâce à une analyse de "sur la question juive", un des premiers livres de Marx, que ce dernier, petit fils de rabbin, né de père et de mère juive, symbole aux yeux des nazis du caractère "enjuivé" du communisme, que ce Marx-là est rien moins qu’un des grands initiateurs de la haine antisémite moderne. Pour convaincre le lecteur, convoqué comme juré de l’histoire, on ne lésine pas sur l’exposé des preuves toutes issues de "la question juive", placées sous nos yeux en évidence et ne pouvant nous laisser d’autre choix que l’acquiescement au propos ou la complicité avec l’accusé.

    Rarement une lecture, jusqu’alors assez banale sans être inintéressante, n’aura si soudainement donné la désagréable sensation d’une prise d’otage de son lectorat, d’une convocation forcée devant le tribunal de l’histoire sans délibération ni recul.
    Il nous faut soudain partager le verdict de l’auteur qui ne cherche pas tant à convaincre qu’à imposer son point de vue en isolant les phrases les plus choquantes, en évoquant les témoignages les plus navrants.

    Que "Sur la question juive" soit un livre qui provoque le malaise, nul ne le niera.

    L’expression y est souvent violente et bien que juif, Marx emploie à l’ égard de l’univers dont il est issu des termes blessants particulièrement insupportables à des esprits contemporains.
    Qu’ André Senik en propose une lecture dé-concontextualisée, dénuée de toute perspective critique, sans jamais replacer l’ouvrage dans l’économie générale de l’œuvre, ni dans le contexte historique et intellectuel de son temps s’apparente néanmoins à du littéralisme pur et simple.
    On remarque également que les éléments biographiques sont également passés sous silence sauf lorsqu’ils sont favorables à la démonstration et servent de pièce à conviction.
    Peu importe que Marx ait été le disciple de Moses Hess, ancêtre du sionisme, puisqu’il détestait Lassalle, haine non pas politique mais judéophobe, bien entendu.
    D’ailleurs Engels était lui aussi atteint du même mal judéophobe : Peu importe également qu’il ait consacré un ouvrage à critiquer le philosophe Eugen Dühring et théorisé l’incompatibilité entre socialisme et antisémitisme. Rien ne vaut une belle phrase tronçonnée, hachée au sécateur, isolée dans une correspondance, pour établir un acte d’accusation.
    La procédure est donc à charge sans que les éléments de la défense puissent être produits.

    Il s’ensuit une peu convaincante analyse psychanalytique du cas Marx.
    Aux humiliations subies par son père s’ajouterait une haine de sa propre judaïté, poids social dont Marx aurait voulu se soulager en construisant sa théorie autour de l’émancipation hors de la Judaïté de la Société toute entière. Il aurait ainsi projeté sur le monde sa problématique personnelle. Le marxisme serait donc la grande névrose d’un juif honteux.
    Cette interprétation, s’agissant d’un homme décédé avant l’avènement de la psychanalyse, fera sans doute rêver les amateurs d’uchronie imaginant Marx sur le divan du Dr Freud, est elle d’un grand secours dans l’explication théorique ? N’est ce pas plutôt réduire une pensée à un simple symptôme ? C’est d’ailleurs ce terme de "symptôme" que l’auteur emploiera lorsqu’il s’agira de délégitimer toute interprétation non-littérale du texte marxien en particulier, la lecture althussérienne, sans doute une des plus subtiles et des plus abouties théoriquement.

    La critique des défenseurs de Marx

    On aurait aimé que Karl Popper, grand adversaire du marxisme s’il en est, ait pu tenir ce livre entre ses mains, il y aurait vu une vérification de ses thèses sur la notion de falsifiabilité.
    Que la démarche de l’auteur soit politique avant d’être critique éclate dans ce fait : pas de critique de la critique possible puisque celles-ci sont par avance déconstruites et surtout délégitimées politiquement et moralement.

    Non seulement la défense de Marx ne serait pas "morale" mais,de plus, serait de l’ordre de l’aveuglement volontaire, issue d’une mauvaise foi toute sartrienne. Ainsi, Sénik utilise le terme de lecture "symptomale" pour regrouper ceux qui, avec Althusser, refuseraient de s’arrêter à l’ évidence du texte et demeureraient dans le déni.
    Dans l’économie générale de la thèse du livre, la critique de l’ Althussérisme est d’ailleurs une étape majeure sur laquelle repose l’économie de la démonstration.
    En effet, admettre que l’oeuvre de Marx serait faite de ruptures épistémologiques ou simplement d’un affinement progressif ruinerait l’hypothèse selon laquelle la vérité du marxisme tout entière résiderait dans "la question juive", dont elle serait sortie telle Athéna casquée du cerveau de Zeus.

    Il faut donc invalider la thèse de la coupure épistémologique entre un jeune Marx post-hégelien et un Marx "scientifique".

    L’ habituelle caricature de la thèse althussérienne dite de l’"Anti-humanisme théorique" est encore une fois présentée de manière ironique alors qu’elle est simplement une transcription en vocabulaire structuraliste de l’abandon progressif par Marx de certaines positions qui relevaient encore d’une forme d’idéalisme lors de ses premiers écrits. Marx a effectivement délaissé la centralité du sujet dans le processus historique d’aliénation dépeint dans ses oeuvres de jeunesse pour laisser place à une société vue comme un ensemble structurel de rapports invariants. Les révolutions seraient les épiphénomènes évènementiels des brusques transformations de rapports entre les éléments de la structure. A ce titre, l’interprétation althussérienne en introduisant au sein du marxisme des processus historiques non dialectiques et une discontinuité se veut profondément novatrice.

    L’ "Anti-humanisme théorique" de Marx version Althusser n’est donc pas une apologie du totalitarisme, contrairement à des interprétations abusives, mais un positionnement scientifique de ce grand lecteur de Marx que fut Althusser.
    Citer "D’une sainte famille à l’autre" de Aron, c’est évidemment recourir à l’un des critiques les plus convaincants d’Althusser. Pour autant, la thèse de Aron est bien plutôt un plaidoyer pour l’unité de l’oeuvre de Marx et sa cohérence interne. Elle est une contestation de la coupure épistémologique mais pas du caractère évolutif de l’oeuvre de Marx.
    On ne fera pas l’insulte à André Senik de penser qu’il ne maîtrise pas son sujet , le contraire est même évident, il est simplement pris ici en flagrant délit de positionnement stratégique.
    Détourner un concept pour en diminuer la portée, en affadir les significations,c’est aussi ne pas donner à la défense le droit de réplique et clore le débat.

    Ce n’est pas tant le propos d’ André Sénik qui provoque un malaise que la sensation que l’auteur n’a pas véritablement écrit un livre pour susciter le débat, mais au contraire dans le but de l’empêcher en stigmatisant la pensée de Marx sans que l’on puisse nuancer, argumenter ou analyser le discours,
    Le texte d’André Senik ne laisse aucun droit à la distanciation et en cela il semble aussi totalisant que l’idéologie qu’il souhaite dénoncer.

    La postface de Taguieff : l’émancipation, voilà l’ennemi !

    La postface de Pierre André Taguieff se révèle particulièrement emblématique d’une certaine confusion qui règne actuellement entre procès des violences du XXème siècle et condamnation latente de l’ "idéologie"des Lumières jusque dans ses valeurs les moins contestées.

    La notion d’émancipation y subit par exemple une attaque en règle comme concept témoignant d’une violence universaliste qui aurait imposé aux juifs un renoncement à leur identité propre.

    L’attaque est très bien amenée , l’argumentaire de Taguieff est souvent habile et puissamment construit.

    Contrairement aux distinctions qu’effectuait prudemment Senik, dans cette postface, la notion d’émancipation devient soudainement beaucoup plus ambivalente revêtant tantôt un aspect politique et historique et tantôt un aspect philosophique, révélant l’inconscient de la focalisation de Senik sur ce terme.

    On ne s’embarrasse plus de distinguer deux formes d’émancipation, c’est le procès des "Lumières" qui,derrière celui de Marx ,est intenté. Le lecteur fera alors son opinion : Assistons nous à une répartition des rôles, Taguieff achevant le travail initié par Sénik, assistons nous à un abus de position dominante, Taguieff imposant sa propre vision à un Senik plus modéré ou à la révélation par un lecteur avisé et informé de l’inconscient profond de l’ouvrage ?

    Si on demeure en effet dans le domaine des idées pures, la logique d’émancipation relèverait d’une forme progressiste d’assimilation qui exige un certain renoncement aux particularismes et inflige une violence anti-identitaire.

    Elle nierait tout autant l’identité juive que des formes plus coercitives comme la conversion forcée, elle serait une forme d’aliénation impliquant une déperdition nécessaire de la mémoire pour se tourner vers un avenir ayant fait du passé table rase. Entre la violence universaliste chrétienne de Paul de Tarse et Les Lumières, il règnerait une connivence qui viserait à nier l’identité juive pour la recouvrir du voile d’un humanisme chrétien laïcisé dont Marx serait la nouvelle épiphanie.

    L’émancipation, une réalité historique concrète

    Pour autant, si l’on revient à la réalité de la réception historique de l’idée d’émancipation, tout de même sensiblement différente de l’image qui nous en est dépeint. Quittons donc le ciel des idées désincarnées pour rétablir quelques faits historiques et les nécessaires proximités entre les deux formes.

    La question de l’émancipation au sein de la communauté juive allemande répondit à plusieurs impératifs : Le premier fut celui de la pauvreté et de la marginalisation sociale et politique, le second, celui de la première crise de modernité qui affecta toutes les religions implantées en Occident au cours de la période 1750-1850 et résulta d’une confrontation directe entre les avancées scientifiques, y compris en matière de science historique, et les grands récits religieux.

    Ainsi, En Allemagne, lorsque Karl Marx écrit sa "question juive", et contrairement à la France, où l’Etat napoléonien prit en charge l’intégralité du processus d’émancipation, ce sont les juifs eux mêmes qui formulent les axiomes de leur aspiration à la citoyenneté ainsi qu’aux évolutions religieuses, questionnements qu’ils vont souvent accoler l’un à l’autre.
    C’est donc tout un pan du judaïsme allemand qui va adopter la position réformée et émancipatrice mais aussi une importante partie de l’orthodoxie qui acquiesce au "projet émancipateur" y compris dans sa dimension universaliste par volonté de conciliation avec les Nations et l’Etat séculier.
    Dans ce processus, dont Moses Mendelssohn fut un père fondateur, ce sont les rabbins allemands, qui jouèrent le rôle de vecteur et de propagateur de ce débat quelle que puisse être leur sensibilité, libérale, conservatrice ou orthodoxe "moderne".

    Interrogés par la modernité philosophique, les juifs élaborent leurs propres réponses au discours des Lumières, mieux, ils participent à l’élaboration de ce discours à leur tour, en adoptant une vision juive de l’universalisme fondé sur la non-contradiction entre loi religieuse et autorité civile.
    Ainsi, contrairement à ce qu’affirme P-A. Taguieff dans sa critique de P. Birnbaum, c’est bien ce dernier qui a raison lorsqu’il différencie assimilation et émancipation, à moins de considérer les rabbins allemands de l’époque comme des victimes de la mystification émancipatrice, historiquement aliénés, position finalement très marxiste..........

    En outre, les écrits de Marx prennent place dans une période très ambiguë de l’histoire juive allemande, celle de la fin du reflux post-napoléonien de la conquête des droits des juifs dans les états allemands. C’est un période de grand désespoir collectif et en particulier dans le monde intellectuel où ceux d’entre eux qui, instruits, avaient vu s’ouvrir les portes d’une intégration dans la société environnante, voient cet horizon se refermer brusquement.
    C’est une époque où des juifs comme Heinrich Heine, Rahel Varnhagen, lassés des obstacles qui leur sont opposés, finissent par se convertir. L’époque est la dénégation, au refus de soi-même, à l’absence de perspectives. C’est ce contexte historique qui permet de lire "la question juive" non comme cause du mal mais comme symptôme de ce dernier, témoignage masochiste du mal-être juif en ces années sombres auquel Marx a cru trouver remède par le dépassement vers le messianisme révolutionnaire.

    La question juive : Marx avant Marx ?

    Entre l’influence intellectuelle de la philosophie post-romantique et cette atmosphère de haine de soi due à la réaction anti-libérale du premier dix-neuvième siècle, il faut rappeler donc que la

    Marx se voulut le Feuerbach du judaïsme et confondit ainsi critique de la religion, qui n’a jamais été dans l’histoire une entreprise effectuée sans violence et sans injustice quelle qu’en soit la nécessité sociale, et reprise d’une vision sociologique caricaturale du Juif telle que portée par les représentations dominantes, utilisées avec peu de discernement dans sa critique anti-religieuse. Elle souligne le caractère encore inabouti de sa réflexion économique à l’ époque.

    Le drame de la question juive est de ne pas être un livre suffisamment "marxiste" précisément. Cette oeuvre souligne l’aveuglement de Marx au processus historique qui a amené nombre de juifs à posséder du capital circulant du fait de l’interdiction de la propriété foncière. Fait également très grossi puisque les statistiques historiques montrent que la plupart d’entre eux étaient des artisans et commerçants ruraux.

    Elle souligne également l’incorporation au sens sociologique du terme par un certain nombre de juifs et d’intellectuels de l’époque d’une idéologie préexistante et dominante. Elle montre la soumission intellectuelle du jeune Marx aux présupposés hégeliens voyant le peuple Juif comme "peuple hors de l’histoire", vision développée dans de nombreux écrits.
    Elle témoigne enfin de l’influence négative du romantisme sur la problématique sociale de l’émancipation juive autour de l’idée nationale allemande. La progressive émancipation (osons le mot) de Marx de la logique hégelienne qui préside aux destinées du "Capital" et constitue une coupure dans l’œuvre, n’est donc pas simplement une vue de l’esprit de Louis Althusser. Cette réflexion doit amener à ne pas englober l’ensemble de l’œuvre de Marx sous la marque infamante d’une judéophobie qui en constituerait l’origine, l’essence et la finalité.

    Enfin, simple point de détail sans doute, quel est le sens, au final, de prétendre que Marx était judéophobe, pouvait il l’être, lui, issue d’une lignée de rabbins, à la manière d’un Gobineau ou d’un Vacher de Lapouge ? Prétendre comme on le lit à un moment que Marx est racialiste relève de l’aberration la plus totale, ce dernier n’ayant jamais cru aux races biologiques et, de plus, totalement contradictoire avec la thèse de l’universalisme totalitaire qui implique pour le moins une croyance très forte en l’égalité du genre humain.

    Relire Birnbaum et Aron : un exercice de détachement

    Lire avec lucidité "la question juive" et ne pas sombrer dans l’émotion mais savoir raison garder est une entreprise difficile mais que beaucoup de penseurs juifs l’ont réalisée avec succès.
    Si elle n’innocente pas Marx, cette constatation doit nous permettre d’éclairer sa position de jeunesse due principalement à la forte influence hégelienne antérieure. Il est cependant moins à la mode et moins porteur de nos jours d’attaquer le philosophe d’Iéna.

    La problématique de Marx est une problématique biographique que rencontrèrent de nombreux savants juifs comme l’explique remarquablement P. Birnbaum dans sa "géographie de l’espoir". Ceux-ci en vinrent souvent à bannir de leur horizon de pensée le particularisme juif en cultivant l’indifférence ou, à défaut, l’hostilité.
    Birnbaum avait, d’ailleurs, dans cet ouvrage consacré un chapitre à la problématique de la "question juive" tout aussi peu complaisant pour Marx que le présent ouvrage. Il soulignait même l’incroyable et complaisant phénomène d’autocensure des versions françaises des oeuvres de Marx, ce que ne fait pas Senik, par exemple.
    Par contre, l’analyse demeurait d’ordre explicatif et ne visait pas à tirer de conclusions générales
    Sur cette question, il semble donc préférable pour avoir un regard d’une parfaite objectivité et pas moins critique, de consulter Birnbaum, de plus, mieux documenté.

    En effet, s’il est louable de dénoncer et d’interroger la part de haine de soi que comporte l’ouvrage de Marx et l’entreprise de censure de son oeuvre, on reste dubitatif sur le projet idéologique que porte le livre d’André Senik en arrière-plan.

    Attaquer le concept d’émancipation chez Marx est une chose, laisser subsister suffisamment d’ambiguïtés pour tenter de discréditer le projet progressif des Lumières en est une autre. L’histoire quand elle est sérieusement écrite est heureusement un puissant instrument de démystification qui nous laisse devant quelques faits bruts.
    On ne peut ainsi nier que c’est grâce à l’idée d’émancipation d’abord générique que les juifs obtinrent de considérables avancées quant à leurs droits élémentaires à vivre individuellement quand bien même ce mouvement se serait effectivement centré autour d’un humanisme abstrait anti-particulariste.

    Or, ce livre s’inscrit de manière implicite dans une tendance latente très contemporaine à contester au nom de la logique identitaire toute prétention universaliste et à soutenir la thèse selon laquelle toute vision de ce type est nécessairement une violence envers les particularismes dont la métonymie serait l’antisémitisme. Ce point néglige d’une part, la dimension universaliste du judaïsme et d’autre part l’adhésion sociologique et historique des juifs à un universalisme politique qui comprend nécessairement une part d’universalisme générique, cette séparation étant très artificielle.
    Critiquer le lien entre émancipation politique et émancipation générique chez Marx et adopter cette idée forte contestable pour la renverser en faveur du premier terme semble assez peu conséquent.

    Le risque d’une telle thèse est de légitimer et d’essentialiser les différentialistes, rendant suspecte toute vision républicaine universaliste. Elle tend, en outre, à séparer vision politique et anthropologique rendant impossible scientifiquement tout fondement d’une anthropologie politique, et en second lieu, laisse croire que le Politique est dissociable d’une anthropologie philosophique et donc d’une conception de l’Homme.

    Elle présente en outre une vision caricaturale de l’histoire qui serait, pour résumer, une trajectoire tragique reliant Voltaire à Hitler en passant par Rousseau et Marx.

    Enfin, considérer que la vérité de l’œuvre de Marx réside dans "la question juive" et doit discréditer "le Capital" par exemple est un raccourci à peu près aussi pertinent que de reléguer l’œuvre de Keynes dans le domaine des "gay studies". On ne peut adopter la syllogistique développée par Senik qui consiste à dire a) que la question juive est un livre judéophobe b) que l’œuvre de Marx est un bloc indissociable et continu c) que le Capital est donc un livre contaminé et que le marxisme en général est une doctrine suspecte

    En fait, derrière le revirement idéologique, l’auteur n’a pas perdu le vieux réflexe stalinien qui visait, dans les années 50, à ranger dans le camp du fascisme et du nazisme toute pensée qui n’allait pas dans le sens voulu par les dirigeants de la Place du Colonel Fabien. Si la méthode n’a pas beaucoup changé, l’objet en est désormais l’icône tant adorée par le passé : Karl Marx lui même. Pas plus aujourd’hui qu’hier cette méthode de réflexion n’arrive à nous convaincre, tant elle repose sur l’amalgame et parfois, hélas, le sophisme.

    Et quitte à lire une critique importante de l’œuvre de Marx, mieux vaut en effet relire d’abord Raymond Aron, un de ces juifs universalistes héritier des Lumières tant décriés. On découvrira un penseur qui n’a jamais eu le besoin de recourir à l’argumentaire utilisé dans ce livre et que l’hypothèse d’un Marx "judéophobe" » aurait probablement fait sourire. Enfin, On lira également avec profit un autre Aron, Jacques, cette fois, qui consacra il y a quelques années une étude à la question de l’antisémitisme supposé de Marx pour mieux monter l’anachronisme de cette accusation. On préférera donc avoir tort deux fois avec Aron que raison avec Senik.

    Charles Boyer , Marx et les droits de l’homme
    https://www.cairn.info/revue-l-enseignement-philosophique-2014-3-page-54.htm

    #anticommunisme #antisemitisme #France #Allemagne

  • La publicité programmatique et le spectre de la crise - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées
    https://www.nonfiction.fr/article-11376-la-publicite-programmatique-et-le-spectre-de-la-crise.htm

    Cet ancien de chez Google alerte sur les proportions inédites de la « bulle de marché » de la publicité programmatique, tout en établissant un parallèle avec la crise des subprimes de 2008.

    La publicité en ligne est en butte à bien des critiques : incitations consuméristes, intrusions dans la vie privée, manipulation des comportements, etc. Toutefois, la performance même de ce procédé n’est jamais remise en cause. À l’inverse, on présuppose à la publicité en ligne — a fortiori la publicité personnalisée, qui cible les consommateurs grâce à des algorithmes — une sinistre efficacité qui, précisément, en amplifierait les méfaits.

    Tim Hwang, avocat, chercheur et anciennement responsable des politiques publiques de l’intelligence artificielle chez Google, déconstruit le mythe des algorithmes de ciblage ultraperformants et de l’économie pérenne et florissante que serait celle de la publicité en ligne. Il dévoile, à rebours de cet imaginaire, une conjoncture gangrénée par les pratiques spéculatives et les manipulations des grandes places de marché publicitaires qui maintiennent à flot un secteur profondément défaillant.

    #Tim_Hwang #Publicité #Programmatique

  • L’art selon la « tech » - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées
    https://www.nonfiction.fr/article-11364-lart-selon-la-tech.htm

    Par Christophe Camus

    L’usage de l’art par les GAFAM n’a sans doute rien à voir avec le mécénat des grandes entreprises du siècle dernier.

    C’est dans le prolongement de ses précédents ouvrages analysant les liens entre culture, politique et économie qu’il faut lire le dernier livre de Fred Turner venant questionner les usages de l’art au cœur des grandes entreprises de la Silicon Valley
    . Plus précisément, ce petit ouvrage du spécialiste des sciences de la communication nous propose deux explorations de ces pratiques : la première se penche sur les liens existants entre Google et le festival Burning Man ; la seconde s’intéresse à « L’art chez Facebook ».

    De l’art dans la Silicon Valley

    Avant de commencer, l’auteur se demande si la Silicon Valley ne serait pas « restée étrangement sourde au chant des sirènes du marché traditionnel de l’art », si les grandes fortunes du numérique ne devraient « pas acheter peintures, sculptures et installations multimédias », comme leurs prédécesseurs fortunés, et s’il faut en déduire « que les programmateurs informatiques ne s’intéressent pas à l’art » (p. 6-7)
    .

    La réponse à ces questions n’est évidemment pas si simple. Dans la continuité de ce qu’il a précédemment montré dans sa biographie extensive de Stewart Brand
    , Turner revient sur une « longue tradition de collaboration entre industries technologiques et art, en Californie et au-delà » (p. 8). Sans remonter trop loin dans l’histoire de l’art, il nous ramène aux années 1960, auprès d’artistes imprégnés d’une culture cybernétique, utilisant la vidéo. Ses exemples nous entraînent de la Raindance Corporation à György Kepes, du Bauhaus au MIT, en insistant sur le rôle de quelques « entreprises comme AT&T ou Teledyne [qui] offraient des résidences et des bourses aux artistes »
    .

    Une histoire dans laquelle le Palo Alto Research Center (PARC) de l’entreprise Xerox occupe une place de choix : ce centre de recherches californien conçoit l’interface graphique des ordinateurs modernes tout en collaborant avec des artistes de la baie de San Francisco « dans l’espoir qu’ils puissent explorer ensemble de nouveaux horizons ». Une démarche qui a finalement « donné naissance, entre autres, à des sculptures multimédia, des récits multi-écrans, et les premiers exemples d’art algorithmique »
    .

    #Fred_Turner #Usage_art #Silicon_Valley

    • Cet article me rappelle le livre de Nicholas Carr, Internet rend-il bête ? : Réapprendre à lire et à penser dans un monde fragmenté [« The Shallows : What the Internet Is Doing to Our Brains »].

      Au fil du temps, l’auteur, Nicholas Carr, journaliste, blogueur dédié aux nouvelles technologies, collaborateur du New York Times autant que du Guardian et du Wall Street Journal, s’est aperçu que quelque chose ne tournait plus tout à fait rond dans sa vie intellectuelle quotidienne. Il n’était plus, ne se sentait plus être exactement celui qu’il était « avant ». Symptôme trompeusement anodin de ce changement : il n’arrivait plus à réfléchir comme autrefois. Fatigue passagère ? Dépression ? Rien de tout ça, non, mais plus simplement, confie Nicholas Carr : « Depuis ces dernières années j’ai le sentiment désagréable que quelqu’un, ou quelque chose, bricole avec mon cerveau, réorganisant la circuiterie nerveuse et reprogrammant la mémoire. Mon esprit ne s’en va pas - pour autant que je puisse le dire -, mais il change. Je ne pense plus comme naguère. C’est quand je lis que je le sens le plus fortement. Auparavant, je trouvais facile de me plonger dans un livre ou dans un long article (…) Ce n’est plus que rarement le cas. Maintenant ma concentration se met à dériver au bout d’une page ou deux. Je deviens nerveux, je perds le fil (...) La lecture en profondeur qui venait naturellement est devenue une lutte. »

      https://www.nonfiction.fr/article-5261-hyperlien-et-hyper-alienation.htm

  • « Les formes chrétiennes de la violence », entretien avec Philippe Buc
    https://www.nonfiction.fr/article-8949-les-formes-chretiennes-de-la-violence-avec-philippe-buc.htm

    Sous la robe de l’écclésiastique, le glaive ?
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2017/06/08/sous-la-robe-de-l-ecclesiastique-le-glaive_5140447_3260.html


    La croisade des pastoureaux, manuscrit du XIVe siècle. BRITISH LIBRARY

    Dans un ouvrage foisonnant, le médiéviste Philippe Buc explore la matrice chrétienne des violences en Occident.
    Par Nicolas Weill, 08 juin 2017

    Guerre sainte, martyre et terreur. Les formes chrétiennes de la violence en Occident (Holy War, Martyrdom, and Terror. Christianity, Violence, and the West), de Philippe Buc, traduit de l’anglais par Jacques Dalarun, Gallimard, « Bibliothèque des Histoires », 548 p., 36 €.

    Que des croyances religieuses soit à l’origine d’une violence spécifique pourrait paraître une vérité de bon sens en ces temps de terrorisme inspiré par la foi. Pourtant, la méfiance bien française vis-à-vis de l’histoire des idées et de leur influence directe sur l’action humaine est telle qu’une thèse de ce genre suscitera la réticence des spécialistes. Analyser un comportement à partir de convictions demeure presque un tabou.

    Ce tabou, le médiéviste Philippe Buc, professeur à l’université de Vienne (Autriche), a décidé de le briser dans un ouvrage aussi dense et original que touffu (malgré la suppression des notes pour la version française). Il y montre comment la théologie chrétienne influe directement sur la violence typique de l’Occident.

    Déchaînements meurtriers

    Sa perspective ne se cantonne pas à son domaine d’érudition, aux croisades, aux pastoureaux (jeunes gens soulevés sous le règne de Saint Louis, multipliant les exactions), à Jeanne d’Arc – elle aussi une pastourelle dont on oublie souvent qu’elle voulait terminer sa guerre par une croisade –, ni à la guerre des paysans de 1525, atrocement réprimée par les princes allemands sous les applaudissements de Luther, à la Saint-Barthélemy ou à l’assassinat d’Henri III par le moine régicide Jacques Clément – toutes formes de déchaînement meurtrier dont les motivations théologiques sont évidentes.

    L’étude s’élargit au monde dit « postchrétien » et conteste l’opinion selon laquelle il y aurait une forme moderne particulière de la violence. Pendant la Terreur révolutionnaire de 1793-1794 en France, lors des procès de Moscou des années 1930 ou de l’équipée de la Fraction armée rouge dans l’Allemagne des années 1970, on retrouve, selon Philippe Buc, sous une forme ­déconfes­sionnalisée, l’idée chrétienne de la « dévolution », de la prise en main du sort d’une communauté entière par un groupe ultraminoritaire d’élus ou de martyrs.

    De même que le fanatisme apocalyptique s’affairant à hâter la fin des temps laisse des traces dans l’activisme militant le plus extrême, qu’il se réclame du second avènement du Christ, des Lumières ­ « radicales », d’un avenir meilleur ou du « principe espérance ». ­Contre le soupçon de réductionnisme, Philippe Buc se défend d’établir une continuité entre la secte juive eschatologique des esséniens, la fureur d’un saint Augustin contre l’hérésie donatiste au IVe siècle et la « bande à Baader ». Mais leurs agissements respectifs révèlent d’étonnantes proximités, qu’il décrit en détail.

    Echapper à la « violence mimétique »

    Le christianisme en tant qu’universalisme (le sens propre du mot « catholicisme ») renferme, affirme-t-il, un potentiel de paix autant que de conflit. A l’heure où, comparativement, il apparaît sur la scène contemporaine comme une religion plus désarmée et pacifique que d’autres, on ne doit pas oublier l’existence toujours présente du glaive sous la robe. Glaive dont il est discrètement question dans les Evangiles. L’historien semble même accorder quelque créance à la thèse qui range Jésus dans le camp politique des zélotes, ces extrémistes juifs partisans de la lutte armée contre les Romains, et qui n’hésitaient pas à poignarder les juifs jugés trop mous. Cet héritage, minimisé par les rédacteurs du Nouveau Testament, aurait contribué à façonner souterrainement celui du christianisme. Il aurait même fini par migrer dans le nationalisme arabe ou l’intégrisme musulman actuel.

    Par sa volonté de déplacer les lignes, ses sauts incessants entre les époques, cet essai donne souvent le vertige tout en restant passionnant. Il vise à orienter les recherches futures plutôt qu’à rendre un verdict. Mais il s’oppose résolument à deux thèses qui pourraient exonérer le christianisme de la violence. Celle de l’anthropologue René Girard (1923-2015), pour qui le sacrifice expiatoire de Jésus permet d’échapper à la « violence mimétique » dont les autres croyances sont prisonnières ; celle de l’égyptologue allemand Jan Assmann, qui veut que le monothéisme en soi, et non le seul christianisme, génère de la violence parce qu’il invente une différence stricte entre faux et vrai Dieu, différence qu’ignorait le paganisme.

    Certes, le christianisme n’en a pas le monopole, concède Philippe Buc. Mais comme en témoigne l’actualité, et par exemple la rhétorique d’un George W. Bush lors de l’invasion de l’Irak, l’Occident chrétien véhicule son propre style de violence, et ce jusqu’à aujourd’hui.

    (pour le livre, plus que l’article)

    #histoire # continuum_culturel #messianisme #apocalypse #christianisme #théologie_chrétienne

  • L’architecture du Whole Earth Catalog - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées
    https://www.nonfiction.fr/article-10998-larchitecture-du-whole-earth-catalog.htm

    En dépit de ces indices concordants, il manquait encore des clés pour comprendre le phénomène. La première clé est venue de la formidable biographie extensive que le journaliste et universitaire Fred Turner a consacrée à Stewart Brand
    . En suivant son parcours dans une société américaine en pleine mutation durant la seconde moitié du XXe siècle, le spécialiste des médias a mis au jour les liens forts existants entre des mondes intellectuels qu’on aurait pu croire séparés. Brand circule ainsi des communautés hippies à la cybernétique de Norbert Wiener et à la théorie des médias de Marshall McLuhan, des Trips Festivals à la systémique postculturaliste de Gregory Bateson, et surtout, de Drop City à la pensée architecturale globale de Richard Buckminster Fuller, et inversement – des liens qui s’avèrent inextricablement entrecroisés, comme le réseau internet et le cyberspace qu’ils annoncent.

    Ainsi, le livre de Fred Turner nous oblige à décloisonner la culture (populaire) et les sciences américaines. Il montre aussi qu’un architecte aussi atypique que Fuller a pu devenir un des grands maîtres à penser d’une génération contre-culturelle. Il nous parle des communautés sans oublier leurs architectes, mais l’architecture n’est pas au centre de son livre. Pour la trouver, et surtout, en comprendre le rôle, il nous faut une seconde clé. C’est l’enquête de Caroline Maniaque sur la conception et le contenu architectural du Whole Earth Catalog qui nous l’offre.

    #Fred_Turner #Stewart_Brand #Whole_Earth_Catalog #Architecture

  • Against Empathy by Paul Bloom ; The Empathy Instinct by Peter Bazalgette – review | Books | The Guardian
    https://www.theguardian.com/books/2017/feb/06/against-empathy-paul-bloom-the-empathy-instinct-peter-bazalgette-review

    The basis of Bloom’s argument is that fine feelings, like fine words, butter no parsnips. Feeling your pain is all well and good but not necessarily the best trigger of an effective moral response. Indeed, he argues that an ability to intuit another’s feelings might well be an aid to some dubious moral behaviour. A low score on the empathy index is commonly believed to be a feature of psychopathy, but many psychopaths are supremely able to feel as others feel, which is why they make good torturers.

    Bloom cites the character of O’Brien in Orwell’s 1984, whose capacity to discern his victim’s responses is exquisitely refined: “‘You are afraid,’ said O’Brien, watching his face, ‘that in another moment something is going to break. Your especial fear is that it will be your backbone. You have a vivid mental picture of the vertebrae snapping apart and the spinal fluid dripping out of them. That is what you are thinking, is it not, Winston?’” It is through this facility that O’Brien can divine Winston Smith’s greatest dread (a fear he himself has never articulated), rats, and deploy it to destroy him.
    Psychology professor Paul Bloom.
    Psychology professor Paul Bloom. Photograph: Sarah Lee/The Guardian

    Bloom, it should be said, is not in favour of an indifferent heartlessness. Indeed, his trenchant stand against empathy is an attempt to encourage us to think more accurately and more effectively about our relationship to our moral terms. He pins his colours to the mast of rational compassion rather than empathy, and it is a central tenet of the book’s argument – I think a correct one – that there exists a confusion in people’s minds about the meaning of the two terms.

    Surestimons-nous les vertus de l’empathie ?
    https://theconversation.com/surestimons-nous-les-vertus-de-lempathie-130721

    Cette synchronisation expressive des émotions répond-elle à la compréhension des émotions de la personne souffrante ? Favorise-t-elle l’altruisme ? Permet-elle de lui apporter un soutien ? Pas forcément… Car si l’empathie est censée permettre à l’être humain de se décentrer de soi pour accueillir autrui, de nombreux travaux montrent que ce partage émotionnel empathique n’est pas nécessairement tourné vers l’autre.

    En effet, selon Decety), plusieurs paramètres sont à prendre en compte, notamment la contagion émotionnelle et la prise de perspective. La contagion émotionnelle est une réponse adaptative permettant à l’être humain de partager la souffrance de l’autre, mais celle-ci peut rester superficielle et égocentrée. En effet, un individu peut éprouver le même état affectif qu’un autre, tout en conservant une certaine distance entre lui et autrui. C’est ce que nous observons très tôt chez l’enfant ; où les pleurs d’un nourrisson vont très vite induire chez les autres nourrissons, témoins de la scène, un déclenchement de pleurs.

    NATION ? – Contre la bienveillance, d’Yves Michaud - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées
    https://www.nonfiction.fr/article-8378-nation-contre-la-bienveillance-dyves-michaud.htm

    Yves Michaud débusque dans cette injonction à la bienveillance un moralisme qui n’a rien à voir avec la loi républicaine. En cela son propos n’est pas sans rappeler les « expressions dévastatrices » de Hegel à propos de la morale
    , dont il démasquait la bonne conscience égoïste et passive. Mais en plus de faire sombrer les citoyens dans le moralisme, la théorie du Care menace le contrat hérité des Lumières, qui énonçait les règles strictes de l’appartenance à la communauté politique. Yves Michaud promeut donc un retour à Rousseau et à tous ses prédécesseurs qui ont défendu la République contractuelle. Il en appelle également à la Constitution française rédigée en 1793, sans la réduire à la Terreur. Car il ne s’agit pas de s’en tenir à la simple Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Pour l’auteur, ce qui est en danger c’est d’abord le pouvoir souverain du peuple. Ainsi, la théorie du Care, et tous ces efforts pour une bonne conscience doivent être interprétés comme les symptômes de cette mise à mal de la souveraineté politique du peuple, qui ne font que prospérer sur son impuissance.

    Petit fil du groupe JPVernant sur le #care #bienveillance #empathie #travailleuses.
    https://twitter.com/Gjpvernant/status/1260868277275971585

    J’ajoute

    Limites de la bienveillance - Mon blog sur l’écologie politique
    http://blog.ecologie-politique.eu/post/Bienveillance-2

    De bienveillance en attention aux ressentis, le résultat, c’est que le confort des un-es finit peut-être par compter plus que toutes les valeurs que nous défendons. Quitte à broyer les plus fragiles, les différent·es ou celles et ceux qui sont tout simplement minoritaires dans le groupe, alors que l’intention de départ était plutôt de les protéger… Il est peut-être temps de se munir d’outils plus fiables que l’attention aux ressentis pour nous éviter de mal identifier les violences et la domination : non, la violence n’est pas ce qui fait mal (3) mais une relation à l’autre bien spécifique. L’objectif de bienveillance peut inviter plutôt à l’adoption de procédures formelles pour désactiver l’agressivité susceptible de surgir dans le groupe ou bien à une culture de non-violence basée sur l’observation rigoureuse des dynamiques qui le traversent et qu’on peut nommer « rapports de pouvoir ».

  • Thread !!

    l’#antisemitisme est reparti à la hausse. C’est un très vieux démon qui revient nous hanter... Et une grande partie de ses racines sont médiévales. Un thread

    https://twitter.com/AgeMoyen/status/1098494657535840256

    ENTRETIEN – « Chasser les juifs pour régner » avec Juliette Sibon - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées
    https://www.nonfiction.fr/article-8722-entretien-chasser-les-juifs-pour-regner-avec-juliette-sibon.

    Au Moyen Age, les rois de France ont ordonné de manière répétitive l’expulsion des juifs. Par haine religieuse du judaïsme ? Par désir avide de capter leurs richesses ? Dans Chasser les juifs pour régner (Perrin, 2016), l’historienne Juliette Sibon avance une autre hypothèse : pour Philippe Auguste et ses successeurs, expulser les juifs, c’est d’abord affirmer le pouvoir des souverains sur l’ensemble de leur territoire et de leurs sujets – chrétiens et nobles inclus.

    Le roi face à l’antijudaïsme – Actuel Moyen Âge
    https://actuelmoyenage.wordpress.com/2019/02/21/le-roi-face-a-lantijudaisme

    Malgré la mémoire des pogroms et de la Shoah, la haine a la vie dure : elle s’inscrit dans des schémas de pensée directement hérités de l’antijudaïsme médiéval. Or, dès le Moyen Âge, les autorités se sont interrogées sur la manière de contenir le phénomène.
    Une méfiance structurelle

    La présence des juifs en Europe occidentale est très ancienne : les premières communautés y voient le jour dès la fin de l’Antiquité et se maintiennent ensuite tout au long du haut Moyen Âge. On les trouve notamment en Espagne, en Provence et en Allemagne, mais aussi à Lyon ou à Paris. Tout en pratiquant leur religion dans des lieux qui leur sont propres, ces communautés vivent au contact des chrétiens.

    Très tôt, les juifs font pourtant l’objet, dans tout l’Occident, d’une méfiance que plusieurs facteurs contribuent à alimenter. On les accuse avant tout d’être un peuple « déicide » : ils ont condamné le Christ, ils sont donc responsables de sa mort.

  • Actuel Moyen Âge - Être une femme libre au Moyen Âge (Élodie Pinel, Nonfiction.fr)
    https://www.nonfiction.fr/article-9608-actuel-moyen-age-etre-une-femme-libre-au-moyen-age.htm

    De Wonderwoman au cinéma jusqu’à Simone de Beauvoir au programme de l’agrégation, l’image de la #femme indépendante semble être le propre de notre modernité, avec le #MoyenÂge pour repoussoir ?
    […]
    À cette image simpliste, de l’évolution de la #condition_féminine, il convient d’apporter quelques nuances. […] Au-delà de ces comparaisons, que signifie, au Moyen Âge, d’être une femme indépendante ? L’#indépendance matérielle a-t-elle jamais été possible ? A-t-elle permis une indépendance sentimentale et intellectuelle ?
    Pour le comprendre, regardons du côté de deux groupes de femmes. D’abord celui des #trobairtiz, ensuite celui des #béguines. Leur point commun est le #discours_amoureux, un discours fervent, ardent – l’on dirait aujourd’hui : décomplexé. Celui de femmes libérées ou #libres, selon les cas.

  • Le retour des « boulots à la con »
    https://www.nonfiction.fr/article-9449-le-retour-des-boulots-a-la-con.htm

    Au printemps 2013, l’anthropologue américain David Graeber, déjà connu pour son engagement dans le mouvement Occupy Wall Street et son livre Dette : 5000 ans d’histoire , fait sensation avec un article sur les « boulots à la con » . Sa réflexion part à l’origine d’une interrogation : comment expliquer l’existence d’emplois qui apparaissent inutiles à l’observateur extérieur et qui sont d’ailleurs jugés comme tels par leurs occupants ? Et si leur ampleur était sous-estimée puisque personne n’ose en parler ?

    #sociologie #anthropologie #travail

  • #Staline ou la terreur comme système de gouvernement - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées

    https://www.nonfiction.fr/article-9299-staline-ou-la-terreur-comme-systeme-de-gouvernement.htm

    Pour le centenaire de la Révolution russe, les éditions Belin ont tenté un pari osé en proposant une traduction de l’ouvrage rédigé en anglais par Oleg Khlevniuk. Ce dernier, peu, voire inconnu, du grand public francophone est tout simplement qualifié de « plus éminent spécialiste russe du stalinisme » par l’historien Nicolas Werth . Écrite dans un style limpide et s’appuyant sur une quantité de sources impressionnante, la biographie s’avère passionnante. Oleg Khlevniukexpose avec humilité une histoire globale d’un dictateur qui a déchiré les historiens et s’avère moins bien connu qu’on ne pourrait le croire.

    #urss #union_soviétique

  • A propos du film « La mort de Staline », l’historienne Rachel Mazuy
    a fait une communication sur FB (vraiment dommage que toute cette science, ce savoir, ces analyses soient confiées (le féminin l’emporte...) à Mark Elliot Zuckerberg, mais encore une fois, bon.

    Très intéressant.

    "On passe un bon moment avec "La Mort de Staline" ! mais si on jouait un peu au « 7 erreurs » ? :

    Quand je lis que le film est bien documenté et qu’il est fondé sur la vérité (ou presque...), je me dis qu’on pourrait jouer à corriger toutes les erreurs historiques - un "jeu" à tenter avec des élèves de 1ère ou des étudiants en histoire ?

    Sous le contrôle de mes collègues slavisants et spécialistes de l’URSS, en voici quelques unes :

    1. La première concerne la police politique. Le scénariste a pu se dire, que le KGB apparaissant après la mort de Staline, il était plus simple de reprendre le nom du NKVD (qui sonne bien), car personne ne connaît celui de MGB (MGB - МГБ est l’acronyme de Ministère à la sécurité gouvernementale), le véritable nom porté par la police politique de 1946 à 1954. Ce Ministère se différencie à cette époque de celui de l’Intérieur (MVD).

    Il faut rappeler que le NKVD est un acronyme pour "Commissariat du Peuple aux affaires intérieures" (en résumé le Ministère de l’Intérieur) et non, la police politique de l’URSS.

    Petit rappel :

    Au début c’est relativement simple... On a d’abord la Tchéka, dès 1917 (forme abrégée d’un acronyme signifiant : "Commission extraordinaire panrusse pour la répression de la contre-révolution et du sabotage auprès du Conseil des commissaires du peuple de la RSFSR"), qui devient la/le Guépéou puis l’OGPU ("Direction politique unie d’État auprès du Conseil des Commissaires du peuple de l’URSS") après la fondation de l’URSS (1922). Ce sont bien les organes de la police politique.

    En 1934, la "Direction principale de la Sécurité d’Etat" (GUGB) est en fait intégrée au NKVD. Celui-ci regroupait donc les "forces publiques régulières de police de l’Union soviétique, comprenant notamment la police routière, la lutte anti-incendie, les gardes-frontières et les archives" (wikipedia), ainsi que le GUGB et le Goulag (encore un acronyme pour "Administration principal des camps"). Cumulant ainsi pouvoir de police et pouvoir judiciaire, le NKVD pouvait donc déporter par simple mesure administrative et était placé sous les ordres de Staline. C’est sans doute pour cela qu’on assimile très vite le Ministère de l’intérieur à ses "organes" !

    La dernière tentative de fusionner la Sécurité d’Etat avec le Ministère de l’Intérieur (devenu MVD après la guerre où on oublie les commissariats du peuple pour revenir aux ministères), date de mars 1953 (c’est signé Béria).

    2. Une autre inversion : le mélange entre la Grande Terreur (1937-1938) pendant les purges des années trente d’une part, et la campagne antisémite de 1948 à 1953 contre les "cosmopolites sans racines" de l’autre.

    La première fait deux millions de victimes avec plus de 725 000 exécutions. La seconde est moins "sanglante", car le processus est interrompu après le décès de Staline (ce que montre le film, même si la chronologie est ramassée sur quelques jours au lieu de plusieurs semaines).

    La campagne contre le cosmopolitisme débute avec la mort de l’acteur Solomon (Shlomo) Mikhoels en 1948 et se poursuit avec le procès de 1952 contre le Comité juif antifasciste (la plupart des membres sont alors exécutés). Elle atteint ce qui aurait du être son paroxysme avec "le complot des blouses blanches", annoncé par la "Pravda" en janvier 1953.

    Malgré tout, il faut rappeler, qu’à la mort de Staline, 4% de la population de l’URSS est incarcérée, la majorité pour des vols de propriétés socialistes et des petits larcins (c’est la "Société des voleurs" apparaissant dans le livre de Juliette Cadiot et Marc Hélie , "Histoire du Goulag" (La Découverte, collection Repères). "Pour dépasser un tel niveau d’enfermement" a écrit Thomas Piketty récemment, "il faut considérer le cas de la population masculine" afro-américaine (5% est en prison aujourd’hui). Je cite ici ces propos dans le récent article du "Monde" sur « La Russie poutinienne se caractérise par une dérive kleptocratique sans limites ».

    Cette campagne se traduit ainsi par de multiples arrestations qui touchent le milieu médical (des centaines de médecins, infirmiers, pharmaciens sont arrêtés...), avec des implications dans la Nomenklatura. Mais si deux médecins sont morts (sans doute pendant leur interrogatoire), il n’y a pas, dans ce cadre précis, d’exécutions sommaires massives comme dans les années trente.

    Il fallait évidemment pousser la satire jusqu’au bout, mais pourquoi, alors que la bande dessinée n’occulte pas le caractère antisémite de cette campagne, l’omettre dans le film ?

    3. De la même façon, l’histoire de Malenkov qui veut poser pour la photo avec la petite fille qui avait été photographié avec Staline fait allusion à l’histoire, bien connue aujourd’hui, de Guélia Marzikova. Or, ce n’était pas une petite Russe blonde avec des nattes (cela dit beaucoup de choses sur notre imaginaire occidental et je me demande quand les nattes et les grands noeuds deviennent quasi obligatoires dans les écoles élémentaires soviétiques). Guélia était bouriato-mongole et avait des cheveux très noirs et une coupe au carré. Bien entendu, il existe d’autres "portraits" de Staline avec des enfants...

    4. L’histoire du concert réinterprété pour enregistrer un disque pour Staline semble vraie. Maria Youdina, la pianiste, était effectivement convertie à l’orthodoxie (née à Vitebsk de parents juifs) et opposée au régime. Cependant, c’est Staline lui-même qui lui aurait donné 20.000 roubles pour la remercier après avoir écouté le disque. Elle lui aurait alors répondu qu’elle les donnerait à son église pour prier pour l’âme du secrétaire général en raison des crimes qu’il avait commis. Cette histoire, qui apparaît dans les mémoires de Chostakovitch, n’entraine donc pas l’hémorragie cérébrale de Staline.

    Mais, comme dans la bande dessinée, c’est évidemment un formidable début de narration de la mort de Staline...

    Je vous laisse continuer à trouver d’autres "erreurs historiques" !

    Et pour les courageux qui auraient tout lu, voici comment Marguerite Bloch (la femme de l’écrivain Jean-Richard Bloch invitée au premier Congrès des écrivains soviétiques) commente l’intégration des organes dans le NKVD (lettre du 12 août 1934, peu après leur arrivée en URSS) :
    « Je vous ai dit l’émotion de l’arrivée à la frontière. A vrai dire en ce qui me concerne, je l’avais d’avance. Mais enfin, le fameux arc de triomphe, et ensuite tout autour de la salle de douane, en quatre langues : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous... On nous a dit après que les hommes en uniforme à casquettes vertes qui se tiennent derrière les douaniers sont des fonctionnaires du Guépéou. Ils étaient parfaitement aimables du reste, et, pour nous, ne sont même pas venus regarder. D’ailleurs l’organisation du Guépéou est complètement transformée, c’est devenu un commissariat à l’Intérieur »

    In "Moscou-Caucase Été 34, Ed. du CNRS - toujours à paraître...).

    Sur Maria Youdina on peut réécouter la formidable émission de France Culture :
    https://www.franceculture.fr/emissions/une-vie-une-oeuvre/maria-yudina-la-pianiste-de-staline-1899-1970

    Parmi les nombreux articles de Nicolas Werth sur les crimes de masse de l’ère stalinienne en voici un qui a le mérite d’être accessible en ligne et de donner une bibliographie complète datant cependant de 2009 :
    https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance/fr/document/les-crimes-de-masse-sous-staline-1930-1953

    Sur le complot des blouses blanches, en dehors de l’ouvrage déjà ancien (1997, Ed. Complexe) de Jean-Jacques Marie sur Les derniers complots de Staline, l’Affaire des Blouses blanches, :
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Complot_des_blouses_blanches

    Sur Staline, la biographie récente (2017) d’Oleg Khlevniuk publiée avec une préface de Nicolas Werth chez Belin : https://www.nonfiction.fr/article-9299-staline-ou-la-terreur-comme-systeme-de-gouvernement.htm

    #staline #histoire #1953 #soviétisme #urss #union_soviétique #révolution_russe #1917

  • Un nouveau dix-neuvième siècle - Nonfiction
    https://www.nonfiction.fr/article-9245-un-nouveau-dix-neuvieme-siecle.htm

    #mouvements #monde #transport #carteflux #flowmap #2D #histoire

    Une Histoire du monde au XIXe siècle ne saurait être une histoire de la modernité, pas plus qu’une Histoire du monde au XVe siècle ne pouvait être une histoire de la Renaissance. La modernité au temps de Baudelaire fut la même chose que la renaissance des lettres et des arts au temps d’Alberti : un point de vue, étroitement circonscrit à quelques sociétés – ou plutôt à quelques groupes à l’intérieur de ces sociétés. Il est certes passionnant d’étudier ce point de vue, mais alors on ne prétend pas faire le tour du monde, ni même seulement essayer. Tenir la modernité à bonne distance, ne la considérer qu’à partir du moment où certains contemporains en ont parlé, ne pas en faire une catégorie d’analyse du raisonnement historique : seule cette exigence intellectuelle peut nous permettre de faire l’histoire du monde au « XIXe » siècle, en congédiant l’imaginaire tout occidental que masque l’apparente objectivité du numéro. La découpe du XVe siècle est parfaitement arbitraire ; au prix d’un certain effort, celle du XIXe siècle doit le devenir aussi. D’ailleurs, ses bornes varient selon les lieux, les thèmes et les objets, au gré des recherches empiriques. À l’échelle du monde, le XIXe siècle des idéaux révolutionnaires commence dans les années 1770 et celui des migrations aux alentours de 1830. Si le monde est tissé d’époques, celles-ci ne se succèdent pas nécessairement les unes aux autres, se recouvrant au contraire et se croisant selon des modalités complexes. Il ne suffit pas d’empiler les dates. Ce qu’il faut observer, c’est l’entrelacs des plages de temps que ces dates signalent, le jeu qu’elles jouent entre elles et qui donne au monde sa teinte et son sens. On aura compris que le XIXe siècle de ce livre est tout sauf une époque. Il est le terrain de ce jeu.

  • « La Vie : mode d’emploi critique » - entretien avec #Didier_Fassin - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées

    https://www.nonfiction.fr/article-9244-la-vie-mode-demploi-critique-entretien-avec-didier-fassin.ht

    Didier Fassin vient de publier La Vie. Mode d’emploi critique, où il réfléchit à la manière de rendre compte du traitement inégal des vies humaines dans les sociétés contemporaines, à partir d’enquêtes de terrain qu’il a réalisées principalement en France et en Afrique du Sud et de concepts élaborés par des philosophes.

    Sa démarche, qui lie un travail sur les concepts et leur mise à l’épreuve à partir de situations vécues pour élaborer un cadre d’analyse qui permette d’en rendre compte, prend quelques libertés par rapport à ce en quoi consiste habituellement la discussion philosophique. En conséquence, sa pertinence doit s’évaluer en fonction de l’intérêt du cadre proposé pour décrire les situations évoquées ou d’autres situations comparables, mais également nous aider à nous positionner par rapport à celles-ci.

    Il a accepté de répondre aux questions de Nonfiction à l’occasion de la sortie de ce livre.

    #inégalités #société

  • Qu’est-ce que vivre au milieu des algorithmes ? - Nonfiction.fr le portail des livres et des idées
    https://www.nonfiction.fr/article-9144-quest-ce-que-vivre-au-milieu-des-algorithmes.htm

    Ces deux livres se veulent généralistes, à portée de tous, notamment le premier d’entre eux, adossé à une exposition de médiation scientifique. Ils portent aussi le point de vue des acteurs de ces évolutions, qui possèdent les compétences techniques pour en comprendre les fondements, et qui sont aussi impliqués dans les instances et les débats autour de ces changements. En toute logique, ces ouvrages restent très proches l’un de l’autre, malgré des différences dans les thématiques analysées. Le ton est toutefois plus pédagogique dans Terra Data que dans Le Temps des algorithmes, somme de réflexions sur différents aspects de notre vie bouleversés par l’arrivée en masse des algorithmes.

    Ces deux livres avancent la même thèse : les algorithmes ne sont ni bons, ni mauvais. Ils sont ce que nous en faisons et surtout ce que nous en feront. Les auteurs appellent à une analyse responsable des algorithmes, qui doivent être transparents sur leurs contenus et sur les données qu’ils utilisent. Bien qu’ils soient complexes, cela permet d’en corriger les erreurs et les failles, mais aussi d’en comprendre les résultats. En parallèle de cette transparence, le public non spécialisé doit être à même de vivre dans une société où les algorithmes sont présents et où le numérique joue un rôle fondamental. Pour cela il convient d’apprendre à tous les fondements de l’informatique, notamment par un enseignement général de cette culture à l’école. Il faut par ailleurs protéger les individus et leurs données en réglementant l’accès à ces données personnelles. C’est déjà le cas en France avec la CNIL ou la mise en place d’un système national des données de santé. Mais les efforts restent à poursuivre pour que le droit soit toujours en phase avec la technologie. L’usage des algorithmes et des données dans nos sociétés reste ainsi à écrire, par chacun d’entre nous, qui sommes de fait tous impliqués par la société des données au temps des algorithmes.

    #Algorithmes #Société_de_information

  • @raspa Sur la culture du viol, encore, un point de vue de médiéviste :
    https://www.nonfiction.fr/article-9084-actuel-moyen-age-une-trop-vieille-culture-du-viol.htm

    L’argument des bandes de jeunes Florentins était proche de celui de bien des harceleurs actuels. Aujourd’hui, ils disent : « elle s’est habillée de manière provocante » ; hier, c’était : « elle était de mœurs légères ». Le message est clair : une femme qui n’est appropriée par aucun homme est nécessairement un corps à prendre, et souvent à prendre à plusieurs. Le fait de se trouver sans la garantie d’un mari suffit pour construire la mauvaise réputation et donc légitimer l’agression. Le viol collectif est la punition que la société fait subir à ces femmes soupçonnées du fait de leur indépendance.

    Aujourd’hui, on reste frappé de la prégnance de cet imaginaire. Le corps des femmes reste un objet à conquérir, à s’approprier. Le simple fait qu’une femme s’habille d’une certaine manière, parle un peu plus haut ou le simple fait qu’elle existe indépendamment d’un autre homme en fait une proie légitime pour certains.

    Nous ne vivons pas un « retour au Moyen Âge ». Nous vivons sur l’héritage que le Moyen Âge – et avant lui l’Antiquité – nous a légué. Notre culture considère encore largement les femmes comme des objets ; et parfois, quand ces objets prennent leur indépendance, la violence se libère. Il est temps que chacun en prenne conscience pour que de moins en moins de personnes aient à dire : « moi aussi ».

  • À quel prix sauvegarder la notion de #sujet ? Une bibliographie de nonfiction.fr
    https://www.nonfiction.fr/article-8711-ideographies__a_quel_prix_sauvegarder_la_notion_de_sujet__le

    Giorgio Agamben, Che cos’è la filosofia ?, Quodlibet
    Giorgio Agamben, De la très haute pauvreté. Règles et forme de vie (Homo Sacer, IV, 1), Rivages
    Giorgio Agamben, L’usage des corps (Homo Sacer IV, 2), Seuil
    Giorgio Agamben, Opus Dei. Archéologie de l’office (Homo Sacer, II, 5), Seuil
    Guillaume Artous-Bouvet, L’hermétique du sujet : Sartre, Proust, Rimbaud, Hermann
    Dorian Astor, Alain Jugnon (dir.), Pourquoi nous sommes nietzschéens, Les impressions nouvelles
    Etienne Balibar, Citoyen sujet, et autres essais d’anthropologie philosophique, PUF
    Jean-François Bert et Jérôme Lamy (dir.), Michel Foucault : un héritage critique, CNRS
    Yves Citton, Pour une écologie de l’attention, Seuil
    Michel Foucault, L’origine de l’herméneutique de soi, Vrin
    Michel Foucault, Subjectivité et vérité (cours au Collège de France, 1980-1981), Seuil
    Pascale Gillot et Danièle Lorenzini (dir.), Foucault/Wittgenstein : subjectivité, politique, éthique, CNRS
    Byung-Chul Han, Le désir ou l’enfer de l’identité, Autrement
    François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, L’Herne
    François Jullien, Philosophie du vivre, Gallimard
    David Le Breton, Disparaître de soi : une tentation contemporaine, Métailié
    Pierre Macherey, Le sujet des normes, Amsterdam
    Alexis Nous, La condition de l’exilé, MSH
    Thomas H. Ogden, Les sujets de l’analyse, Ithaque
    Nathalie Paton, School shooting, MSH
    Dominique Pradelle, Par-delà la révolution copernicienne du sujet, PUF
    Frédéric Rambeau, Les secondes vies du sujet. Deleuze, Foucault, Lacan, Hermann

    #philosophie #individu

  • Consécration pour François #Chérèque : il peut enfin assumer d’être au service du #patronat !

    Voici ses nouveaux employeurs :

    http://www.tnova.fr/les-partenaires

    Fondation Total
    Ernest and Young
    Groupe Acticall
    Air France
    Vivendi
    Groupe Casino
    Sanofi
    Microsoft
    SAP
    H. H. Développement
    GDF - Suez
    Mutualité français
    Caisse des dépots
    CDC Climat
    SNCF
    EDF
    RTE
    MAIF

    Les mécènes de Terra Nova assurent le financement de nos activités à hauteur de 80 %. Acteurs dans les secteurs de l’immobilier, de la finance, des centres de contacts, de l’énergie, de l’informatique…, ce sont eux qui, par leurs dons, assurent la production de nos propositions et la diffusion de nos idées au plus grand nombre. Comme nous, ils ont à cœur l’élévation de la qualité du débat public : aussi nous font-ils bénéficier de leur soutien pour nous assurer d’une totale indépendance politique. Notre démarche est précisé dans la Charte éthique de Terra Nova.

    #cfdt