• J – 76 : Un musicien, quel qu’il soit, peut-il trouver une place, fut-elle petite et étroite, entre Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama ?

    Je me demande si ce n’est pas sur cette réflexion qu’a planché pendant tout le concert Olivier Benoît, guitare, assis entre ces deux-là, et je me demande s’il n’a pas conclu à une absence de possibilité. Tel était effectivement le concert de ce soir aux Instants chavirés , un trio entre Jean-Luc Guionnet à cour, Olivier Benoît au centre et Seijiro Murayama à jardin. Olivier Benoît a déjà joué en duo avec Jean-Luc Guionnet et même si je n’ai jamais entendu ce duo, je sais qu’il existe et je sais qu’il a fonctionné. En duo je crois que Jean-Luc est un tel musicien qu’il peut s’adapter à n’impote quel autre musicien et Olivier Benoît n’est pas le premier venu, donc ça ça peut marcher.

    Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama forment un duo quasi mythique dans le milieu de la musique improvisée. Il s’agit d’une association parfois vertigineuse et Jean-Luc m’a déjà dit que c’était pour lui la pire des mises en danger que de jouer avec Seijiro Murayama, mais qu’au prix de ce danger lui étaient sans doute venues ses idées les plus porteuses et de fait, les deux fois où je les ai écoutés en concert, j’ai été estomaqué par l’intensité de leur musique, à la fois la déconstruction de la musique, notamment par Seijiro Murayama qui est le lus paradoxal des percussionnistes tant il ne semble rien faire que de s’éloigner le plus possible de toute notion de construction, notamment rythmique, et quand par accident ce qu’il joue pourrait ressembler, même d’assez loin à un tempo, il s’emploiera alors à des gestes défintifs dans la direction opposée. Le jeu de Jean-Luc Guionnet n’est pas moins cérébral, lui davantage fondé sur des facultés d’adaptation hors du commun et c’est d’ailleurs ce qui est principalement recherché dans ses très nombreuses associations avec d’autres musiciens, ce qui fait que l’on peut aller à une douzaine de concerts de Jean-Luc Guionnet sur une année, voire un peu plus, et de ne pas écouter deux fois le même saxophoniste, certainement pas la même musique. Certes des passages pourront se retrouver cités en bien des endroits mais l’impression générale sera toujours très différente d’un concert à l’autre, au point, finalement, de ne jamais tout à fait pouvoir anticiper quoi que ce soit, Jean-Luc Guionnet sait-il seulement ce que Jean-Luc Guionnet jouera le soir-même.

    Lorsque Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama jouent ensemble, chaque fois se crée une voix tierce, ce qui est le propre du duo, mais c’est, dans le cas de leur association, une voix sans cesse en danger, ce qui crée une tension phénoménale, celle-là même qui est recherchée par les deux musiciens. Et le danger sur cette voix tierce vient qu’à nul moment ni l’un ni l’aute de ses deux musiciens attend de l’autre que ce dernier se sente responsable de l’entretenir, de la nourrir. Il arrive donc qu’à certains moments d’égarements plus féconds ou au contraire plus laborieux des deux musiciens que cette voix tierce s’étouffe et dépérisse et c’est généralement à ce moment précis que l’un des deux, ou les deux à la fois, se précipitent pour remettre une bûche dans l’âtre et cela repart de plus belle, le feu n’est pas mort, il repart et ses nouvelles flammes n’en sont que plus belles. Mais encore une fois il s’en est chaque fois fallu de peu que le feu ne meurre et que le foyer reste noir carbon.

    Placez près du foyer une manière de gardien des flammes, une personne qui veillera sans cesse à remettre une bûche quand c’est nécessaire et la tension entre les deux musiciens s’envolent, c’est à peine s’ils s’entendent jouer l’un l’autre et il faudrait alors que cette tierce personne à défaut d’être la voix tierce puisse être un lien sûr entre deux personnes qui ne se regardent pas, qui ont l’habitude de s’ignorer, seulement en apparences.

    Or j’ai déjà entendu sur cette même scène des Instants chavirés Olivier Benoît jouer un tel rôle. Et de s’en être admirablement acquitté, c’était, dans l’urgence, entre Fred Frith et Joëlle Léande qui ce soir-là ne semblaient pas du tout en capacité de jouer ensemble. Ils avaient d’abord échoué en duo, l’un et l’autre incapables de trouver un terrain d’entente entre eux, finalement chacun en rabattant beaucoup, trouvant refuge dans des airs traditionnels et joués sans mystère, et c’est seulement quand ils furent rejoints par Olivier Benoît qu’ils sont parvenus à atteindre des rivages plus surprenants, mais à trois.

    La différence d’avec le duo que forment Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama c’est que quand ces denriers sont sur le point de périr de naufrage, eux seuls savent trouver le moyen de leur sauvetage et leur venir en aide, leur proposer du ciment, de liant, une aide, une main tendue, c’est finalement les embarasser et les pousser à une noyade dont ils n’avaient pas vraiment peur avant qu’on ne leur vienne en aide.

    Je ne dirais pas que le concert de ce soit a été un naufrage, il y a eu de très beaux moments, Jean-Luc Guionnet semble avoir trouvé de nouveaux moyens encore pour produire les plus improbables sonorités de son saxophone il n’y a pas eu cette tension qui caractérise habituellement les rencontres entre Jean-Luc Guionnet et Seijiro Murayama. Mais peut-être n’était-ce pas là ce qu’il fallait venir chercher ce soir-là. Oui, c’est possible aussi.

    #qui_ca