• J – 65 : Mon esprit d’escalier est parfois sans remède.

    Samedi soir Martin et Isa avaient invité leur ami Denis, désormais à la retraite après une longue carrière comme agriculteur, Denis notamment produisait un fromage de chèvre qui rivalisait avec les pélardons de la Cézarenque que j’avais eu une fois l’occasion de lui faire goûter de retour des Cévennes en faisant un crochet par Autun pour couper la route, et ce soir-là Denis était là. Denis raconte un peu les mésaventures des repreneurs de sa ferme il y a quelques années auxquels il avait pourtant prêté main forte dans un très louable effort de transition. Malheureusement ces derniers n’ont pas eu la présence d’esprit d’écouter les conseils d’ancien de Denis qui avait pourtant fait de son exploitation une référence locale en matière de fromage de chèvres et ont fait graduellement capoter l’affaire. Ces repreneurs n’étaient pas agriculteurs de métier, ils tentaient de réinventer leur vie et avaient suivi une formation théorique pour ce qui relevait de la reconversion professionnelle, ils appliquaient trop strictement les savoirs reçus en formation et ne voulaient pas entendre que ces derniers devaient impérativement être pondérés par une connaissance locale acquise de longue date par un agriculteur qui, lui, avait réussi à produire du très bon fromage à cet endroit justement. Par exemple ils insistaient pour que les chèvres soient menées aux champs par un chien berger, ce qui dans la configuration des lieux n’avait aucune raison d’être et présentait par ailleurs l’inconvénient de stresser le troupeau. Denis se désole de cet entêtement. Et il me prend à témoin, me demandant, toi qui es informaticien, si tu voulais produire du fromage de chèvre au Rebout, tu t’y prendrais comment ? Et j’éclate de rire parce que je ne peux pas encore révéler à Denis que je suis justement en train de donner la dernière main à un roman dont le titre Élever des chèvres en Ardèche (et autres logiques de tableur) indique que son intrigue se trouve un peu à la croisée des chemins de ce dont il nous parle ce soir.

    Et j’en oublie même de demander à Denis quel est le nombre de litres de lait qu’il faut pour faire un fromage ce qui est précisément le détail, le renseignement, après lequel le narrateur informaticien ne cesse de courir sans jamais parvenir à élucider ce point ce qui l’empêche beaucoup de mener à bien ses calculs de probabilité quant à ses chances de reconversion professionnelle dans l’élevage des chèvres en Ardèche.

    Je ne saurais donc jamais combien il faut de litres de lait de chèvre pour produire un pélardon. Je sais combien de litres une chèvre produit par jour, je sais le prix d’une chèvre, je sais le nombre de chèvres qu’il me faudrait pour une exploitation de fromage de chèvres dans les Cévennes, je sais le prix de certaines installations d’occasion sur internet, on trouve beaucoup de choses sur internet, quand même bien pratique internet, mais on ne trouve pas sur internet le renseignement quant au nombre de litres qu’il faut pour produire un pélardon. Telle est, pour moi, la limite d’internet. Et c’est à cette limite que des amis comme Denis prennent le relai. Encore faut-il penser à le leur demander quand on les voit.

    Et écouter sa réponse.

    #qui_ca