• J – 61 : Donc Une fuite en Egypte est chez les libraires. C’est mercredi matin dans le monde, et comme tous les mercredis matins après avoir pris mon petit déjeuner avec Nathan, qui n’était pas de très bon poil d’ailleurs, je me refais un café et je descends dans le garage, en me posant salement la question et maintenant qu’est-ce que je fais ?

    Et posant ma tasse de café, allumant Guy, mon ordinateur s’appelle Guy, je pense justement à mon père, mon père s’appelle Guy, aussi. Enfant j’ai été un très bon joueur de tennis, je n’ai jamais été classé comme on dit, mais nombreux les jeunes joueurs classés auxquels j’ai fait mordre la poussière. Mon style c’était je monte au filet quoi qu’il arrive. J’avais des réflexes de tigre et je jouais aussi beaucoup pour la beauté du geste. Naturellement comme pour tous les jeunes gens de ma génération, mes idoles s’appelaient Bjorn Borg et John McEnroe. Mon tempérament sur un court était plus que passable ce qui faisait dire à mon père qu’à défaut de pouvoir jouer comme McEnroe, je produisais des imitations très convaincantes de ses crises sur le court, mais ce n’était pas la seule des remarques que mon père me faisait à propos de tennis. Par ailleurs je ne brillais pas au lycée, j’étais un cancre fini. Néanmoins il arrivait sporadiquement qu’un cours m’intéresse, éveille en moi un peu d’intérêt et de courage pour l’étudier, c’était souvent accidentel, je me souviens par exemple que lors de ma première terminale j’avais eu 3 de moyenne toute l’année en sciences physiques et chimie, en dépit de deux très bonnes notes, un 17 pour un devoir de physique sur la trajectoire de boulets de canon que l’on tirait à des angles différents — je me demande à quel point je ne serais pas encore capable de faire ce devoir aujourd’hui, je me souviens par exemple de la démonstration qui veuille que pour atteindre la plus grande distance possible, à puissance de feu et masse du boulet égales, il faille tirer à un angle de 45 degrés d’avec l’horizontale, ce qui est ce que tout un chacun produit naturellement, non pas en tirant au canon, mais pour envoyer un projectile le plus loin possible —, et un autre à propos du complexe d’oxydo-réduction en chimie et de calculs de temps de réaction, mais ça c’est plus parce que j’en voyais des applications directes dans mon petit labo photo — en revanche mes souvenirs quant aux complexes d’oxydo-réduction sont restés trop longtemps dans l’hyposulfite de soude, je ne me souviens plus de rien, je suis littéralement passé au numérique. Et naturellement, cossard comme pas permis, je tentais de faire valoir que de telles notes, tellement exceptionnelles, dont je me vantais fort, devraient me valoir quelques possibilités de sorties, mon père était assez prompt à me demander ce que, d’après moi, Borg avait fait le lendemain de sa dernière victoire à Roland Garros, non ? tu ne vois pas, et bien il est retourné à l’entraînement. C’était imparable.

    Et du coup ce matin, date de sortie d’Une Fuite en Egypte en librairie, je vois bien que j’ai deux possibilités en descendant dans le garage armé de ma tasse de café, soit j’attends patiemment le coup de téléphone de mon éditeur pour m’annoncer que j’ai reçu le prix Nobel de littérature (que je vais m’empresser de refuser, l’année dernière on l’a donné à une chèvre, je ne mange pas de ce pain-là), soit je me remets au travail.

    J’ai décidé, une fois n’est pas coutume, de m’inspirer de Borg, je retourne à l’entrainement. Je me remets au travail. Dans le garage. J’y suis tellement bien finalement.

    Et qu’irai-je faire à Stockholm ? Fut-ce le pays de Borg, mon idole d’enfance.

    #qui_ca