L’humiliation ordinaire, par Alain Badiou
►http://www.lemonde.fr/idees/article/2005/11/15/l-humiliation-ordinaire-par-alain-badiou_710389_3232.html
Par Alain Badiou
« Constamment contrôlés par la police. » De tous les griefs mentionnés par les jeunes révoltés du peuple de ce pays, cette omniprésence du contrôle et de l’arrestation dans leur vie ordinaire, ce harcèlement sans trêve, est le plus constant, le plus partagé. Se rend-on vraiment compte de ce que signifie ce grief ? De la dose d’humiliation et de violence qu’il représente ?
J’ai un fils adoptif de 16 ans qui est noir. Appelons-le Gérard. Il ne relève pas des « explications » sociologiques et misérabilistes ordinaires. Son histoire se passe à Paris, tout bonnement.
Entre le 31 mars 2004 (Gérard n’avait pas 15 ans) et aujourd’hui, je n’ai pu dénombrer les contrôles dans la rue. Innombrables, il n’y a pas d’autre mot. Les arrestations : Six ! En dix-huit mois... J’appelle « arrestation » qu’on l’emmène menotté au commissariat, qu’on l’insulte, qu’on l’attache à un banc, qu’il reste là des heures, parfois une ou deux journées de garde à vue. Pour rien.
On m’a raconté une histoire équivalente. La police devient un gang comme les autres, qui s’auto-protège, qui menace, intimide, méprise.