« Les Libanais se sentaient un peu comme les enfants uniques ; maintenant, ils ont plein de frères et sœurs dans la région » - Propos recueillis par Michel HAJJI GEORGIOU et Sandra NOUJEIM

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  • Ghassan Salamé sur le corruption de la classe politique libanaise par l’argent extérieur, et les effets de la fermeture des robinets locaux par la concurrence d’autres théatres d’intervention des puissances extérieures.
    « Les Libanais se sentaient un peu comme les enfants uniques ; maintenant, ils ont plein de frères et sœurs dans la région » - Propos recueillis par Michel HAJJI GEORGIOU et Sandra NOUJEIM - L’Orient-Le Jour
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    Le problème plus particulier du Liban, c’est que jusqu’en 2010, il était un endroit où les acteurs régionaux et internationaux pouvaient aisément investir dans des acteurs locaux et en obtenir quelque chose en retour. Cela est plus possible que jamais : les candidats sont là. Le problème, c’est que des espaces beaucoup plus larges se sont créés dans la région, et jouent le même rôle, mais de manière plus tragique que le Liban, c’est-à-dire celui d’un espace de compétition entre les forces régionales et internationales : l’Irak, la Syrie, l’Égypte, la Libye, le Yémen et d’autres. Le Liban qui, du fait de son système relativement ouvert, pouvait, par notamment le financement externe de ses forces politiques et de ses organes de médias, jouer le rôle d’un espace de compétition, est désormais lui-même en compétition avec des scènes beaucoup plus larges, et finalement beaucoup plus déterminantes pour l’avenir de la région. Cela aboutit à un assèchement du financement extérieur des acteurs libanais, que nous constatons chez tous, mais cela aussi aboutit à une espèce d’investissement beaucoup plus net depuis cinq ou six ans, dans des théâtres beaucoup plus larges et conséquents que le Liban. Ce qui accentue une certaine idée de marginalité chez les Libanais. Ils se sentaient un peu comme les enfants uniques et maintenant, ils ont plein de frères et sœurs dans la région, qui sont à des endroits où l’on peut s’acheter de l’influence. Je crois que tant que ces conflits restent ouverts, cette compétition perdurera. Le Liban sera toujours fortement concurrencé, au niveau de l’Iran, de la Turquie ou de l’Arabie saoudite, par d’autres pays comme l’Irak, la Syrie, la Libye, L’Égypte, etc...

     

    C’est le fait qu’il ne soit plus cet orphelin gâté et privilégié qui provoque un retour aux crispations identitaires – comme le reste de la planète – au sein de notre chefferie politique ?
    Le problème, c’est que ces chefferies ont été entretenues pendant une trentaine d’années très généreusement. Elles se retrouvent aujourd’hui dans une situation d’appauvrissement, ce qui les rend plus coriaces à se nourrir sur la bête. Cela est inquiétant au plus haut point. Je ne suis certes pas favorable à ce que les États s’achètent des espaces au Liban, mais je ne suis pas favorable non plus à cette espèce de concentration sur la nécessité d’extraire de l’argent politique de la machine interne dans un pays surendetté. Le danger sur les finances publiques est là, il est difficile de ne pas le voir ! Ce danger est réel. Certes, nous avons quelques réserves en or ou en immobilier au niveau des finances publiques, mais nous dépendons beaucoup de notre stabilité politique, notamment pour le tourisme et le commerce. Nous avons accumulé une dette publique qui dépasse 70 milliards de dollars – dans les trois premières places au monde de ratio entre la dette et le PNB – et nous avons connecté comme des siamois le secteur public et le secteur bancaire, puisque les banques libanaises sont le principal pourvoyeur de financement de l’État. C’est une situation qui, ailleurs, a fait des drames, comme en Argentine, en Grèce... Si nous n’avons pas ce dilemme au sommet de nos soucis, si nous occultons cette menace grave, c’est que nous sommes des insouciants !