Mais qu’est-ce qu’on va faire de… Pierre Joxe et Anne Lauvergeon

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  • J’ai jamais bien compris en quoi Bernard Stiegler pouvait irriter à ce point certains. Mais enfin, force est de constater qu’il offre quand même un logiciel de pensée qui semble plutôt bien pourvu pour analyser la situation (économiquement et politiquement).

    Trois vidéos qui mises bout à bout apparaissent aujourd’hui comme un cinglant CQFD :

    De quoi demain sera fait ? , où il décrit (avec quelques beaux trolls) l’irrémédiable automatisation générale en cours qui conduit inévitablement vers la destruction quasi totale de l’emploi et donc de tout le système économique et social :
    http://www.dailymotion.com/video/x1by8vt_video-stiegler-interv-21-01-14-mp4_webcam

    Intervention de Bernard Stiegler dans le cadre du séminaire “De quoi demain sera fait”, le 21 janvier dernier au siège du Parti Communiste Français.

    Pharmacologie de la contribution , qui dans sa première partie résume rapidement la vidéo précédente, mais qui dans sa seconde s’attache plus en détails aux conséquences et pose (l’économie de) la contribution comme une solution :
    http://www.dailymotion.com/video/x1ukb9l_bernard-stiegler-ouishare-a-propos-de-pharmacon_tech

    En direct de Mediapart : le débat Stiegler - Todd , pour finir qui explique pourquoi le FN a de beaux jours devant lui. Précisons que ce n’est pas une prédiction au doigt mouillé, mais bien le résultat d’une analyse scientifique (avancée en partie dans les deux vidéos précédentes), contestable et d’ailleurs contestée par Emmanuel Todd qui construit la sienne avec les méthodes d’autres disciplines et donc avec des indicateurs différents. C’est un peu cruel pour Todd de ressortir ça aujourd’hui, mais à sa décharge, sa thèse n’est pas nécessairement invalidée :
    http://www.dailymotion.com/video/xyrts0_en-direct-de-mediapart-le-debat-stiegler-todd_news

    Bernard Stiegler, auteur de Pharmacologie du Front national, et Emmanuel Todd, auteur avec Hervé Le Bras de Le Mystère français, ont débattu du risque Front national en France.

    • @koldobika OK, tu as peut-être raison. Je ne connais clairement pas assez son œuvre pour te répondre. Quant à Hervé Kempf, il faudrait que je penche dessus...

      Par contre, @rastapopoulos, en parcourant tes liens je vois que lui sont fait un certain nombre de procès qui m’apparaissent particulièrement de mauvaise fois. J’ai absolument pas envie d’être son avocat, et j’en serai bien incapable du reste, mais je me contenterai malgré tout d’apporter quelques éléments de réponse pour tenter de porter la contradiction, sans volonté aucune de clore le débat (qui à mon avis repose en partie sur un manque de définition en commun, en particulier de démocratie, et technique pour dire vrai).

      Est donc d’abord fait à Stiegler un procès d’antidémocrate. Ça me semble un peu fort de café... Je me contenterai de le citer :

      [...] je ne suis pas sûr que nous vivions aujourd’hui réellement dans une démocratie, car celle-ci est précisément, en son principe même, ce qui repose sur la participation qui fait si grandement défaut. Une démocratie est participative ou n’est rien. C’est ce que j’ai appelé le pléonasme de la démocratie participative - qu’a pratiqué Ségolène Royal en omettant de poser la vraie question : pourquoi la démocratie actuelle n’est-elle plus participative, et tend-elle à être perçue du même coup comme une fiction, ou les hommes et les femmes politiques ne représentent plus, du même coup, les citoyens ?
      [...]
      Ce qui changerait, par conséquent, si était relancé un projet démocratique tel que nous l’appelons de nos vœux, c’est à dire tel qu’il reconstituerait de la participation non seulement dans la vie politique, mais dans la vie économique et sociale dans tous ses aspects, ce serait la réapparition d’un processus de sociation, c’est à dire d’un processus d’individuation psychique et collective) reposant en l’occurrence sur le développement systématique du milieu technogéographique associé qu’est internet. Ce réseau est l’infrastructure d’un nouveau monde industriel et forme un milieu technique qui rend possible de nouveaux types de relations entre les citoyens - permettant en l’occurrence de dépasser l’opposition producteur/consommateur. Et je reprends à mon compte les idées de Pekka Himanen sur ce qu’il appelle « l’éthique hacker », qui désigne un nouvel esprit économique et social engendré par l’apparition de la technologie relationnelle que supporte le réseau formé par le protocole internet. L’éthique protestante (à laquelle Himanen compare l’éthique hacker) fut elle aussi engendrée par l’apparition d’une technique relationnelle : l’imprimerie. La question qui se pose de nos jours aux hommes politiques est de même nature que celle que résolut Jules Ferry. Celui-ci posa en principe que l’écriture qui s’était socialisée dans le monde du commerce et de la production du fait du développement de l’imprimerie devait désormais devenir accessible à tous et former une démocratie industrielle. C’est ce qui rendit possible la société de ce que l’on a appelé le deuxième esprit du capitalisme (qui fut aussi celui de l’État-providence). L’une des nombreuses différences entre ces deux processus est évidemment leur vitesse : la socialisation du numérique est foudroyante. C’est l’une de nos difficultés.

      http://grit-transversales.org/article.php3?id_article=170

      Types de discours qui, si j’ai bien compris, amènent au deuxième procès qui lui est fait : celui de technophile voire de technolâtre. Sur ce point, deux choses : premièrement, Stiegler ne peut à mon sens précisément pas être qualifié de technophile, -lâtre ou même -phobe puisque qu’il part de l’observation que nous sommes des êtres technicisés depuis la maitrise du feu en gros. Le feu, la brouette, la voiture ou l’ordinateur : tous sont des prothèses techniques de l’homme. Ce qui m’amène au deuxièmement : plutôt que s’intéresser aux techniques (et on retrouve sans doute là les réserves de @koldobika ainsi que les tiennes dans ton commentaire, cf avant dernier lien, qui me semblent plutôt bienvenues mais ne suffisent pas, sans doute es-tu d’accord, à le disqualifier), il s’intéresse à ses usages, bon ou mauvais. Principe (martelé si l’en est) du pharmakon, justement l’une des pierre angulaire de sa philosophie et qui par définition empêche de penser la technique ou son usage en phile/phobe/âtre. À partir de là, j’insiste, je ne vois aucune raison de ne pas critiquer vigoureusement ce postulat (et encore une fois, ce que tu fais avec à-propos) mais qualifier nonchalamment Stiegler de technolâtre me semble particulièrement hors de propos et trahi au mieux une forte incompréhension et au pire beaucoup de mauvaise fois...

      J’aurai bien une hypothèse sur sa capacité à irriter certaines foules de gauche. Mais d’abord là je manque de temps, et ensuite je ferai bien d’y réfléchir encore un peu...

  • Mais qu’est ce qu’on va faire de Bernard Stiegler ?
    http://cqfd-journal.org/Mais-qu-est-ce-qu-on-va-faire-de
    Une fois n’est pas de coutume, j’ai récupéré tout l’article parce qu’il se trouve que cette adresse n’est pas pérenne. Ou plutôt, si, l’url est toujours la même, mais le contenu change.

    paru dans CQFD n°119 (février 2014), rubrique Le dossier, rubrique Mais qu’est-ce qu’on va faire de…, par Matéo Morsi, illustré par Plonk et Replonk
    mis en ligne le 14/04/2014 - commentaires

    Bernard Stiegler est un philosophe contemporain surprenant. Parce qu’il ne joue pas le jeu des faux télé-débats, mais aussi parce qu’il propose une analyse intéressante du monde contemporain, ce qui change de ses collègues « stars » de la pensée dominante, tel BHL ou Finkelkraut.

    Stiegler affirme que la technique, qui est au centre notre réalité, ne va pas dans le sens de l’émancipation, mais dans celui d’un capitalisme forcené. Il dénonce ainsi les mécanismes et les technologies qui produisent la culture de masse, les pulsions consuméristes, la domination du marketing, la fausse liberté que proposent les réseaux sociaux puisqu’ils sont dominés par le mimétisme, et tous ceux qui prétendent que l’on peut maîtriser ce techno-monde qui nous dépasse. « À quoi conduit le discours de la maîtrise ? à Fukushima. C’est-à-dire exactement à la catastrophe. La force des Grecs, c’est au contraire de considérer qu’on ne peut jamais dominer la technique. Un marin qui dirait “je domine la mer” passerait pour dément. [1] »

    Mais là où Bernard Stiegler devient franchement surprenant, c’est qu’une fois qu’il a démontré que la technique est aujourd’hui un « poison », il prétend aussi que c’est le « remède » de demain. En voulant « réintroduire de la pensée dans le monde numérique », selon son expression, il cantonne toute perspective d’agir sur le monde dans le champ virtuel et veut faire croire que la société doit se transformer radicalement pour s’adapter à ce nouveau paradigme. Comme il l’explique sur France Culture, « il faut reconfigurer l’ensemble de la vie de l’esprit autour du numérique », « la vitesse de transformation du numérique ne correspond pas du tout à la vitesse de transformation des institutions, à partir de là il faut se donner des moyens exceptionnels », « l’affaire Snowden va provoquer un choc terrible par rapport aux modèles actuels des réseaux sociaux, il est donc essentiel que l’Europe lance une nouvelle politique [2] ». Et en quoi consiste cette nouvelle politique ?

    Dans le domaine de l’éducation, par exemple, Stiegler prône une rénovation des méthodes pédagogiques, conduite depuis les écrans. À l’université, il fait l’apologie des cours en ligne, les MOOC (Massive open online course), et il conseille le financement de thèses sur le numérique, comme il l’écrit dans le journal de Microsoft, ainsi que l’introduction d’une nouvelle culture de la technologie dans les écoles suivant les principes de l’ouvrage collectif L’école, le numérique et la société qui vient [3], ou dans celui qu’il signe avec son ami Serge Tisseron [4]. Et cela n’est pas que théorique, puisqu’il a participé à la commission Peillon en 2013 pour le développement du numérique à l’école, et vient récemment d’être nommé au Conseil national du numérique, organe consultatif au service hotline du gouvernement.

    De manière plus large, il invite toute la société à assumer et accompagner cette rupture anthropologique, il en appelle « à une mobilisation nationale qui devrait être portée par le président de la République, c’est une question de survie pour la France et l’Europe », afin de mener une « politique précise », axée sur les nouvelles technologies « comme le font déjà la Chine, l’Inde et l’Amérique [5] ». Car ce qu’il propose, c’est bien la mise en place d’un nouveau modèle politico-économique porté par un plan d’investissement lié au numérique. Cela permettrait du même coup d’encourager une « économie de transition » pour rendre le capitalisme plus humain, tout en permettant l’avènement d’une société savante [6].

    Stiegler ne rechigne pas à se donner des allures de technoprophète fantasmant une utopie 2.0 qui sortirait l’humanité de sa bêtise crasse, avec comme pierre philosophale Internet – la « nouvelle république des lettres », l’agora de demain –, à l’image de son travail pour la société Twitter, pour laquelle il a développé l’application polemic tweet, visant à « politiser » ce réseau sur la base du pour ou du contre…

    Finalement, Stiegler fait l’effet de ce marin dément qu’il dénonce lorsqu’il s’acharne à vouloir faire du poison un remède, promoteur d’un monde virtuel dont les révélations de l’affaire Snowden ont fini de nous convaincre qu’il est gangrené jusqu’à la moelle.

    Par Plonk et Replonk.

    Voir la suite du dossier "Rage contre la machine" par ici : http://cqfd-journal.org/La-pente-naturelle-de-la-machine !

    Mais c’est aussi par là ; http://cqfd-journal.org/Glossaire-technocritique-1 !

    Et puis encore par ici : http://cqfd-journal.org/Glossaire-technocritique-2 !

    Sans oublier par là : http://cqfd-journal.org/Encarts-technocritiques !

    Notes

    [1] « L’imbécile et le sage », Philosophie Magazine, hors-série été 2013.

    [2] L’invité des Matins, 16/07/13, France Culture.

    [3] Philippe Meirieu, Denis Kambouchner, Bernard Stiegler, L’école, le numérique et la société qui vient, (Mille et une nuits, 2012).

    [4] Bernard Stiegler, Serge Tisseron, Faut-il interdire les écrans aux enfants ?, (Mordicus, 2009). Sur Serge Tisseron, voir CQFD, décembre 2013.

    [5] France Culture, op. cit.

    [6] Bernard Stiegler, Pharmacologie du Front national, Flammarion, 2013.

  • Mais qu’est-ce qu’on va faire de... la liberté d’expression dans la presse par Gilles Lucas
    http://cqfd-journal.org/Mais-qu-est-ce-qu-on-va-faire-de

    Qu’un propos publié par voie de presse soulève des tollés ou des dégoûts et voilà que les bonnes âmes sortent, illico presto, du chargeur l’illustre phrase – par ailleurs apocryphe – de Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. » C’est beau, c’est grand, c’est émouvant. Et c’est avec cette généreuse tolérance que les beaux esprits se lèvent fièrement, à l’instar de leur héros tutélaire, contre la censure en agitant les fantômes du totalitarisme. Mais éclairons un peu le philosophe des Lumières, apôtre de cette liberté, par un autre de ses propos qui définit le monde réel dans lequel l’envolée voltairienne s’épanouit : « Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne. » Manière de remettre les pendules à l’heure !

  • Mais qu’est ce qu’on va faire de... Pierre Joxe et Anne Lauvergeon
    http://cqfd-journal.org/Mais-qu-est-ce-qu-on-va-faire-de

    Pierre Joxe

    Bouleversant ! Il aura fait le tour des médias pour s’en prendre au regard que portent la justice, la police et les hommes politiques sur et contre la jeunesse. Il se sera élevé contre les « réactionnaires », y compris ceux de gauche, qui demandent toujours plus de répression, qui gèrent la peur comme un fonds de commerce et les autorités de la magistrature qui ont entériné les condamnations automatiques pour les mineurs récidivistes. Il aura rappelé que partout, toujours, les enfants et les jeunes suscitent et ont suscité contre eux l’incompréhension, voire la colère, et parfois même la haine, des générations précédentes. Il aura invoqué Platon qui en parlait déjà, et François Villon l’élève indocile, et osera même s’interroger sur la jeunesse de ces zélateurs des prisons pour mineurs, de ceux qui veulent les revêtir d’un uniforme militaire ou créer un fichage dès l’âge de trois ans. Il aura insisté sur le fait que la délinquance est avant tout un produit de la misère sociale. Car, pour cet humaniste, la véritable conception de cette justice doit se nourrir à l’aune de ce principe : quand un enfant vole un vélo, ce n’est pas au vélo qu’il faut s’intéresser mais à l’enfant. De qui s’agit-il ? De Pierre Joxe, aujourd’hui devenu avocat pour mineurs après avoir été, entre autres, ministre de la Défense et à deux reprises ministre de l’Intérieur de Mitterrand, fonctions qui par essence ont plutôt porté atteinte à l’intégrité humaine. Flash-back : entre juillet 1984 et mars 1986, date de sa première fonction en tant que chef de la police, pas moins de onze personnes ont perdu la vie après avoir été malencontreusement confrontées à des policiers. Pendant son second ministère à la tête des forces de l’ordre, de mai 1988 à janvier 1991, sept autres ont connu le même sort. Confronté aujourd’hui, en tant qu’avocat, à la réalité de la justice, de la prison et des comportements policiers vis-à-vis des mineurs, il concède un « J’avais découvert la réalité un peu tard, c’est vrai ! ». C’est dire, venant de la bouche d’un ancien ministre, magistrat et haut fonctionnaire d’État ! Et le voilà qui naît au monde, scandalisé par le sort réservé aux prisonniers de la misère. Quant à l’ignorance totale qu’ont, comme lui, les dirigeants et les hommes politiques sur la vie réelle du bétail humain, silence absolu : il y va de la pérennité des oligarchies…

    Anne Lauvergeon

    Scandalisée, elle est aussi, l’ex-patronne d’Areva, qui, après avoir été déboulonnée de son poste, s’indigne que certains de ses proches aient pu être surveillés et écoutés par quelques officines obscures de police parallèle. Que d’émotions pour cette femme qui fut à la tête du principal fleuron du lobby nucléaire et qui était plutôt habituée jusqu’alors à être du côté de ceux qui surveillent, font pression et enfument les autres. Lui faire subir un pareil sort, à elle, alors que, encore aujourd’hui, elle est vice-présidente du conseil de surveillance du groupe Safran dont les activités sont pour une part tournées vers la fabrication de matériels militaires tels que les drones et les systèmes de visée nocturne, et pour l’autre vers la mise au point de dispositifs biométriques comme le traitement des empreintes digitales et palmaires ou encore la reconnaissance faciale ou de l’iris…

    Décidément, à l’instar de Jacques Chirac et de ses opportuns trous de mémoires, l’anosognosie serait-elle contagieuse dans les milieux dirigeants…