Les réfugiés bloqués dans les Balkans en plein désarroi

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  • Balkan migration route is ‘not closed’

    One year on from when the borders were sealed, refugees are still using South East Europe to enter the EU. But now the journey is more difficult, expensive and brutal. EURACTIV’s partner Der Tagesspiegel reports.


    http://www.euractiv.com/section/justice-home-affairs/news/balkan-migration-route-is-not-closed

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    • Le grand désarroi des réfugiés bloqués dans les Balkans

      Un an après la fermeture officielle des frontières, le 8 mars 2016, les migrants sont bloqués en Bulgarie et en Serbie.

      « Game is over », crache Farid, 26 ans, comme pour évacuer sa colère. Le visage couvert de sueur, le jeune Afghan appuie ces mots d’un non de la tête, comme si son retour dans le camp de Sid ne suffisait pas à signifier son échec à franchir la frontière. Fin février, sa sixième tentative de passage de Serbie en Croatie vient d’échouer. Il recommencera, jure-t-il, lui qui a payé 600 euros pour quitter l’endroit. Reste à attendre l’appel du passeur.
      En Serbie, la tentative de passage des frontières a beau s’appeler « the game », le jeu ne fait plus rire personne. « Si l’Europe ne veut pas nous laisser entrer, qu’elle nous déporte en Afghanistan ! Ce n’est pas humain de nous laisser là », crie Farid avant de se jeter sur l’un des cent lits superposés de l’immense tente sous laquelle il dort depuis six mois.

      Farid est exténué, comme une bonne partie des 600 migrants qui vivent dans le camp face à la gare, au cœur de la petite ville de Sid. « Tous n’ont que le mot “frontière” à la bouche. C’est devenu une obsession, regrette Alexandra Stemenkovic, psychologue. Nous entendons désormais une longue plainte. Les femmes dépriment et les hommes deviennent violents. La consommation d’alcool a augmenté. »

      « Tous les repères s’écroulent »

      « Oui, c’est ça : j’ai l’impression de devenir fou », corrobore Nabil Khan, un Pakistanais de 36 ans qui suit Mme Stemenkovic pas à pas, suspendu à chacun de ses mots. Car dans ce monde où circulent les rumeurs les plus folles sur le jour et l’heure auxquels la frontière rouvrira, la parole en blouse blanche compte double.

      En mission depuis le début de l’année pour Médecins du monde, Camilo Coral est pessimiste. « Une épidémie de dépressions menace », prévient-il. « On en observe les premières manifestations. Le groupe a de plus en plus de mal à s’autocontrôler, on a de plus en plus de signalements d’attouchements sur des femmes, de violences sur les enfants. On risque de voir rapidement se multiplier les tentatives de suicide », insiste M. Coral, qui a déjà travaillé sur ce phénomène en Colombie auprès de populations victimes de conflits.

      « On est dans un temps deux de la crise. D’abord, il y a eu l’euphorie du mouvement. Aujourd’hui, c’est retombé et les gens attendent là, un peu plus désespérés chaque jour, analyse Jean-François Corty, responsable des opérations internationales pour Médecins du monde. Les migrants ont souffert de quitter leur maison, mais ont mobilisé toutes leur énergie sur leur but. Et là, avec la fermeture de la route, tous leurs repères s’écroulent. Il faut reconstruire avec eux, travailler la cohésion du groupe et le sentiment collectif. »

      Le défi des équipes consiste à « imaginer un protocole, en offrant une aide individuelle pour les plus vulnérables, ou en les orientant vers les psychiatres locaux ».

      7 700 exilés coincés en Serbie

      Dans le camp voisin d’Adasevci, un jeune homme de 22 ans a été retrouvé pendu récemment, et une femme qui a perdu un fils au passage d’une frontière précédente a tenté le même geste. Maja Terzic, de l’ONG Praxis, observe aussi ce désespoir hors des camps, à Belgrade où elle intervient. « Récemment, j’ai été confrontée à plusieurs cas d’automutilation et de tentatives de suicide », remarque-t-elle, en voyant se dégrader la santé des 2 700 migrants bloqués dans la capitale, et plus largement des 7 700 exilés coincés dans le pays.

      La « route des Balkans » a été officiellement fermée le 8 mars 2016, ce qui a empêché une partie des 347 000 migrants entrés en Europe cette année-là d’arriver à bon port.

      Dix jours après, l’accord entre la Turquie et l’Union européenne (UE) allait tarir l’arrivée des migrants en Grèce. Mais Ankara menace aujourd’hui de le dénoncer, après les récents incidents diplomatiques avec l’Allemagne et les Pays-Bas.

      Etape sur la route de l’Ouest, la Hongrie ne laisse officiellement passer que dix personnes par jour, choisies sur une liste établie par les autorités serbes à partir des dix-sept camps de transit du pays.

      « Obliger les demandeurs qui sont déjà en Hongrie à repartir du côté serbe de la clôture est violent, inutile et cruel », a estimé Benjamin Ward, directeur adjoint de Human Rights Watch (HRW). Ces renvois sont pourtant la règle. Or le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) prévoit que 12 000 à 13 000 personnes vont encore entrer cette année en Serbie. A Budapest, le Parlement a de nouveau déclenché la colère des ONG, mardi 7 mars, en disant vouloir placer les demandeurs d’asile en détention à leur entrée dans le pays.

      Lire aussi : Hongrie : le cas d’Ahmed H., emprisonné pour dix ans, symbole de la politique sécuritaire d’Orban

      Vétusté et saleté

      En Bulgarie, 10 000 migrants sont prisonniers. Après avoir été interceptés par la police, ils sont obligés de déposer une demande d’asile puis s’échappent et reprennent leur route. Là, un autre désespoir s’installe.

      « On est arrivé au paradoxe terrible que l’accueil des migrants est meilleur en Serbie, pays hors de l’Europe, qu’en Bulgarie, pays membre. Les trois quarts des fonds européens vont à la sécurisation des frontières, contre un quart seulement pour l’accueil des migrants. Nous-mêmes [Médecins du monde] n’avons des fonds que jusqu’à fin mars », observe Jean-François Corty. « La Bulgarie a bien reçu 160 millions d’euros en 2016, confirme Daniel Stefanov, en poste à Sofia pour le HCR, mais 120 millions sont allés à la sécurisation de la frontière, en dépit de notre lobbying pour améliorer l’accueil. »

      Dans les centres, où vétusté et saleté sont de mise, le désarroi est immense. Le 22 février, Thierry Dutoit, responsable de Médecins du monde pour le pays, cherche deux jeunes mineurs afghans qui pourraient bénéficier d’un transfert officiel vers la France puisque chacun d’eux y a un frère en situation légale.

      Dans le centre de Voenna Rampa, dans la banlieue de Sofia, où sont hébergés 850 migrants dont 150 mineurs, le traducteur se rend dans la chambre 448, où ces adolescents devraient se trouver. Mais il découvre que l’un d’eux, Bousmantsi, a été transféré vers un centre fermé, ultime étape avant le renvoi en Afghanistan.

      Expulsés et primo-arrivants

      « Le problème principal reste le manque d’identification des mineurs non accompagnés, et le manque de prise en charge adaptée », regrette Daniel Stefanov. De l’avis général, Bousmantsi sera renvoyé. « Comme tellement d’autres », soupire le traducteur. Pour que le retour vers l’Afghanistan passe pour volontaire, il suffit d’une signature du migrant. Il se murmure que tous les moyens sont bons pour l’obtenir.

      A Voenna Rampa, ceux qui se dirigent vers l’Europe de l’Ouest côtoient ceux qui en reviennent, expulsés d’Allemagne, de Belgique ou de France. Aktar est l’un d’eux. Ses empreintes ayant été prises en Bulgarie lors de son passage au printemps 2016, la France l’a renvoyé dans ce pays par lequel il a mis le pied dans l’UE. Il a 26 ans et parle français après onze mois passés à Paris, dont quelques-uns sur les trottoirs.

      « Je ne comprends pas pourquoi on m’a renvoyé là », se désole-t-il, sortant de son sac à dos une liasse de feuilles qui racontent ses quarante jours de rétention à Vincennes après une interpellation gare du Nord, et son expulsion.

      Cette cohabitation avec les expulsés casse un peu plus le moral des primo-arrivants qui sentent que, si les Balkans sont durs, leur destination n’est pas davantage un paradis et qu’aujourd’hui, y parvenir ne signifie pas y rester.

      http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2017/03/15/les-refugies-dans-l-impasse-des-balkans_5094550_3214.html