• Armes chimiques : comment les espions français et israéliens ont manipulé un ingénieur syrien
    http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/03/25/le-mossad-les-services-secrets-francais-et-l-informateur-syrien_5100770_3224

    Comment la France et Israël ont manipulé une source pour qu’elle livre des secrets sur les armes chimiques dans le cadre de l’opération « Ratafia ».

    C’est une guerre secrète réservée aux espions. Ses batailles unissent, au sein d’alliances, des agences nationales de renseignement qui s’affrontent bloc contre bloc au nom d’une cause jugée vitale : la lutte contre la prolifération et l’utilisation des armes chimiques. Chose rare, Le Monde a eu accès aux détails d’une opération hautement confidentielle, baptisée « Ratafia » et menée, en France, par les services secrets français et leurs homologues israéliens du Mossad, contre le programme secret d’armes chimiques développé par le régime de Bachar Al-Assad. Elle a permis, avant et pendant la guerre civile en Syrie, qui a débuté en 2011, d’obtenir des informations précises sur l’arsenal syrien. Un travail de longue haleine consistant à identifier une source syrienne et à la manipuler.

    Les éléments dont Le Monde a eu connaissance auprès de sources judiciaires et issues de la communauté du renseignement et diplomatique permettent de lever le voile sur le degré de connaissance réel dont bénéficiaient, à cette date, les puissances occidentales sur le programme d’armes chimiques de Damas, trois ans avant qu’elles ne le dénoncent après des massacres perpétrés en 2013. La coopération entre proches alliés permettait, semble-t-il, dès 2011, de sensibiliser la communauté internationale sur la menace que constituait le régime syrien et de tenter de faire pression pour le démanteler.

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    • C’est une guerre secrète réservée aux espions. Ses batailles unissent, au sein d’alliances, des agences nationales de renseignement qui s’affrontent bloc contre bloc au nom d’une cause jugée vitale : la lutte contre la prolifération et l’utilisation des armes chimiques. Chose rare, Le Monde a eu accès aux détails d’une opération hautement confidentielle, baptisée « Ratafia » et menée, en France, par les services secrets français et leurs homologues israéliens du Mossad, contre le programme secret d’armes chimiques développé par le régime de Bachar Al-Assad. Elle a permis, avant et pendant la guerre civile en Syrie, qui a débuté en 2011, d’obtenir des informations précises sur l’arsenal syrien. Un travail de longue haleine consistant à identifier une source syrienne et à la manipuler.

      Les éléments dont Le Monde a eu connaissance auprès de sources judiciaires et issues de la communauté du renseignement et diplomatique permettent de lever le voile sur le degré de connaissance réel dont bénéficiaient, à cette date, les puissances occidentales sur le programme d’armes chimique de Damas, trois ans avant qu’elles ne le dénoncent après des massacres perpétrés en 2013. La coopération entre proches alliés permettait, semble-t-il, dès 2011, de sensibiliser la communauté internationale sur la menace que constituait le régime syrien et de tenter de faire pression pour le démanteler. Pour ne pas mettre en péril inutilement la sécurité d’agents de terrain ou d’opérations toujours en cours, Le Monde a sciemment choisi de ne pas évoquer certains aspects de cette mission.

      D’après les informations transmises, en 2010, par le Mossad à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue DGSI en 2014) et à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), l’opération a démarré deux ans plus tôt, à Damas, par une longue approche d’un Syrien travaillant pour le programme de développement, de production et de stockage des armes chimiques et des missiles vecteurs. La surveillance de la Syrie est depuis longtemps une priorité pour l’Etat juif et ce programme, qui concerne alors près de 10 000 salariés, selon les chiffres échangés entre les principales chancelleries occidentales, est un objectif prioritaire pour le Mossad.
      Selon un diplomate français, les forts soupçons qui pesaient sur la responsabilité du renseignement israélien dans le grave accident survenu, en 2007, sur le site d’Al-Safir, lors de l’assemblage de missiles vecteurs de VX, le gaz le plus toxique des agents de guerre chimique connus, ont conduit Damas à renforcer le secret et les mesures de sécurité. De quoi inquiéter Israël. En 2010, le chef du bureau de lutte contre le terrorisme, Nitzan Nuriel, lors du 10e sommet sur le contre-terrorisme, accuse Damas de fournir des armes non conventionnelles au Hamas et au Hezbollah.

      Failles psychologiques

      L’objectif n’est donc pas d’éliminer des responsables du programme mais de trouver une source syrienne en matière d’armes chimiques, de connaître les liens, dans ce domaine, avec les alliés iranien, russe ou nord-coréen et d’identifier les filières d’approvisionnement. Pendant deux ans, le Mossad, par l’intermédiaire d’un contact local à Damas, entre en contact avec la cible, de quoi réunir suffisamment d’éléments pour créer de toutes pièces une histoire pouvant le convaincre de sortir de Syrie pour que le Mossad puisse l’approcher.
      Habitant à Damas, il intéresse d’autant plus les services qu’il jouit d’une grande proximité avec la fille d’un haut dignitaire du régime. Ayant analysé les failles psychologiques du personnage, rêveur et romantique, et senti qu’il souhaitait s’affranchir de l’administration syrienne, son interlocuteur à Damas parvient à le convaincre qu’un autre destin l’attend et qu’il pourrait monter ses propres affaires tout en continuant à servir son pays.

      Se dessine alors le scénario de voyages à l’étranger, notamment en France, un pays ami de la Syrie, en théorie sans risque pour lui, pour y faire fonctionner sa future société d’import-export. Mais l’homme n’est pas totalement libre. Pour des raisons de sécurité, son passeport est entre les mains du régime et ses voyages en France sont soumis à autorisation de sa hiérarchie. C’est là qu’entrent en jeu les services secrets français. Ils facilitent l’obtention de visas et ouvrent des portes sans que l’intéressé y voie malice. Lors de ses passages en France, une équipe de la DCRI et des agents de la DGSE sont intégrés dans le dispositif du Mossad. L’opération est intitulée « Ratafia ». Elle durera plusieurs années. La CIA et son homologue allemand, le BND, sont aussi dans la boucle.

      Train de vie

      Lorsqu’il atterrit à Paris, un homme le conduit dans un hôtel du 13e arrondissement. Le Mossad, au fait des habitudes de leurs homologues syriens dans la capitale française, assure qu’il n’y a pas à craindre de filature de l’ambassade de Syrie à Paris. La cible est désormais « traitée » par un faux homme d’affaires au nom italien devenu son confident et son mentor, qui le conseille et lui présente des contacts. Une grande part de ces interlocuteurs, des hommes d’affaires, des chauffeurs ou des intermédiaires, sont en réalité des agents du Mossad. La DCRI, elle, agit en protection et assure une partie de la logistique de surveillance technique, notamment les sonorisations de véhicules, de chambre d’hôtel ou les fouilles d’ordinateurs.
      Le premier rendez-vous a lieu dans un hôtel de luxe, le George-V, à Paris. La prise en main psychologique de la cible fonctionne à merveille dès le début, d’autant que son ami-mentor la fait profiter de sa voiture avec chauffeur et de son train de vie. Euphorique, impatient, presque nerveux, elle a été circonvenue par le Mossad parvenu à lui faire croire cette fable qu’elle pense être un tournant crucial de sa vie personnelle et professionnelle. Le Mossad confie à ses partenaires français que la cible ne se perçoit pas comme un traître et ne donne pas de renseignements facilement.

      Sérieux, même s’il montre d’un certain sens de l’humour, l’homme ne goûte guère le projet de ses hôtes de le conduire au Crazy Horse. Ces derniers ne réussiront à le traîner qu’à une représentation du spectacle musical Mamma Mia, qui sera déjà, dira-t-il, peu en accord avec son idée du divertissement. Ses accompagnateurs ont plus de succès lorsqu’ils lui apportent une chicha dans sa chambre d’hôtel. Parmi la dizaine d’agents du Mossad mobilisés pour la partie française de l’opération, les psychologues comptent autant, sinon plus, que les techniciens ou les anciens des forces spéciales.

      Le piège se referme

      Lors de ses séjours en France, les amis de son mentor au nom italien proposent de lui vendre du matériel ou de le mettre en contact avec des fournisseurs. En sachant ce qu’il cherche, le Mossad enrichit sa connaissance des programmes chimiques syriens. Dans la foulée, le Mossad, la DCRI et la DGSE découvrent les sous-traitants, intermédiaires et fabricants français et européens qui tentent de tirer profit de cette économie de la prolifération. La manipulation progresse.
      Il prend l’habitude de recevoir de l’argent en espèces et des cadeaux. Même si on lui recommande la discrétion à l’égard de son entourage, l’homme se prend au jeu et commence peu à peu à donner des informations tout en ayant le sentiment de rester loyal à Damas. L’emprise psychologique est telle qu’il reprend à son compte l’idée suggérée par les psychologues du Mossad d’aider la fille du dignitaire syrien à réaliser des projets personnels.

      La technique consiste à l’impliquer dans les discussions et les décisions prises, des plus anodines aux achats et recherches de matériels, de sorte qu’il saura par lui-même, affirment les psychologues du Mossad, qu’il aura franchi la ligne jaune. Le piège se referme. Il donne davantage d’informations, notamment sur l’arsenal d’armes chimiques dont dispose la Syrie, des tonnes d’ypérite et de VX. Plus inquiétant encore, le Mossad apprend l’existence d’un projet d’acquisition de camions lance-missiles, qui avortera sans que l’on sache aujourd’hui si le Mossad y est pour quelque chose.

      Une dangereuse source de prolifération

      En 2011, l’euphorie semble néanmoins retombée et la cible fait état, à haute voix, de doutes sur la réalité de l’identité de son protecteur au nom italien. Mais il est trop tard. L’argent reçu lui interdit toute reculade. Le Mossad, de son côté, a acquis des informations de premier choix lui permettant d’étayer son dossier contre la Syrie auprès des Américains, qui rechignent à s’engager de nouveau au Proche et Moyen-Orient.

      Les éléments transmis par les Israéliens aux Français et aux Allemands conduiront en 2011 au gel des avoirs du Centre syrien d’étude et de recherche scientifique (CERS), pilier du programme chimique syrien, par l’Union européenne au motif qu’il fournit à l’armée syrienne des moyens pour surveiller et réprimer de simples manifestants. Des mesures identiques seront prises, fin 2011, contre des sociétés-écrans utilisées par le CERS pour acheter du matériel sensible à l’étranger, tels que Syronics, l’Organization for Engineering Industries, Industrial Solutions ou encore Mechanical Construction Factory.
      En 2005, le président américain George W. Bush avait déjà désigné le CERS comme une dangereuse source de prolifération. En 2012, le président Barack Obama annonce, à son tour, que toute utilisation ou transfert des armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad reviendrait à franchir « la ligne rouge ». Les attaques chimiques du printemps et de l’été 2013 contraignent la communauté internationale à réagir. La France et les Etats-Unis, alimentés par le renseignement israélien, préparent une opération qui sera stoppée au tout dernier moment, fin août 2013, par M. Obama. Le 2 septembre 2013, la France rend publics ses propres renseignements sur le recours aux armes chimiques par Bachar Al-Assad, pointant le rôle central joué par le CERS dans leur production.

    • Associés dans l’opération « Ratafia », les espions français et israéliens se sont-ils espionnés entre eux ?

      Le Mossad aurait tenté d’infiltrer le service de contre-espionnage français dans le cadre de l’opération visant à lutter contre le programme d’armes chimiques syrien, à partir de 2010.

      LE MONDE | 25.03.2017 à 11h26 | Par Jacques Follorou
      http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/03/25/associes-dans-l-operation-ratafia-les-espions-francais-et-israeliens-se-sont

      Dans le monde de l’espionnage, si des services décident d’unir leurs efforts, cela n’en fait pas pour autant des amis. Rien ne les empêchera de s’espionner. Jamais. La preuve lors d’une opération qui a réuni, à partir de 2010, la sécurité intérieure française et le service secret israélien du Mossad pour lutter contre le programme d’armes chimiques développé par le régime syrien de Bachar Al-Assad.

      L’enquête de sécurité interne diligentée par la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue Direction générale de la sécurité intérieure en 2014) sur la tentative du Mossad d’infiltrer, à cette occasion, le service de contre-espionnage français illustre ces pratiques. Lorsque l’opération ayant pour nom de code « Ratafia » débute, en 2010, c’est encore l’union sacrée pour prendre au piège un Syrien qui doit effectuer des séjours en France. Il s’agit de l’amener à livrer des secrets sur le programme d’armes chimiques syrien auquel il appartient.

      Lorsque le Mossad obtient le soutien de plusieurs groupes de la DCRI et d’agents de la DGSE, tous ses membres agissent sous de faux noms et une dizaine d’entre eux sont des clandestins à l’exception de D.K., chef de poste du Mossad à Paris. Selon les accusations de la DCRI, auxquelles Le Monde a eu accès, le Mossad aurait profité du contact quotidien avec ces agents français lors des séjours de la cible syrienne pour nouer des liens jugés suspects.

      L’un des agents français a ainsi été vu fêtant le shabbat avec le chef de poste du Mossad à Paris, il est également parti faire du tir à Dubaï puis a rejoint, en famille, ses camarades du Mossad à Jérusalem. Une proximité revenant, selon la DCRI, à franchir la ligne jaune. Des soupçons portent également sur le versement de sommes d’argent en espèces et l’existence de cadeaux contraire aux règles internes. Résultat, plusieurs agents français intégrés dans l’équipe conjointe avec le Mossad se verront retirer leur habilitation secret défense et seront mutés dans des services subalternes.

      L’enquête interne de la DGSI se garde cependant de rappeler qu’un autre groupe de la DCRI, chargé de contre-espionnage, s’est arrangé pour prendre en photo, à leur insu, les agents du Mossad qui travaillaient avec les Français. Un audit sera, enfin, déclenché sur l’utilisation des fonds de l’opération « Ratafia » après la découverte de demandes de remboursement de frais douteux.
      Compromission

      Cette enquête interne a été évoquée...