Il y a 70 ans, les Malgaches s’insurgeaient contre le pouvoir colonial français

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  • « Mes livres sont des linceuls pour ensevelir la mémoire des insurgés de 1947 »
    Par Tirthankar Chanda Publié le 29-03-2017
    http://www.rfi.fr/afrique/20170329-livres-sont-linceuls-ensevelir-memoire-raharimanana-1947-madagascar-ins

    Jean-Luc Raharimanana, romancier, nouvelliste et dramaturge malgache : « Avant d’être une mémoire blessée, 1947 évoque pour moi des hommes et femmes qui ont lutté ».
    © Pascal Gély / RFI

    (...) C’est dans Nour 1947 que vous abordez le sujet pour la première fois. Vous vouliez écrire un roman sur la colonisation ?

    Au départ, le roman ne s’appelait pas Nour 1947, mais Nour tout simplement. Je voulais raconter le mythe malgache de l’enfant sui generis. Il s’est créé lui-même, sans père, sans mère… En travaillant sur cette thématique, je me suis rendu compte qu’il y avait peut-être une équivalence à établir entre cet enfant mythique qui veut se libérer de ses atavismes et notre génération qui voulons nous libérer de la chape de plomb coloniale qui pèse sur nous. J’ai mis dix ans à écrire ce roman car j’ai réalisé, chemin faisant, que la colonisation était très peu enseignée dans nos écoles et que je ne connaissais pas grand-chose sur ce qui s’était passé en 1947. Il me fallait donc me documenter et me nourrir de l’esprit de cette période pour pouvoir écrire là-dessus. Après la publication de Nour 1947, les choses se sont enchaînées, grâce à tous les courriers que j’ai reçus des Malgaches, mais aussi des Français. Il s’agissait pour l’essentiel des témoignages sur la colonisation et sur l’insurrection de 1947. Je suis entré en contact avec des auteurs de ces courriers, souvent des gens âgés qui avaient envie de raconter ce qu’ils avaient vécu. C’est eux qui m’ont dit que je ne pouvais pas simplement écouter sans transmettre à mon tour. Depuis, je me retrouve dans cette tradition de transmission. Je sais que ce travail ne sera jamais fini.

    Vous avez qualifié vos livres de « livres linceuls ». Que vouliez-vous dire ?

    Avant d’être une mémoire blessée, 1947 évoque pour moi des hommes et femmes qui ont lutté, qui ont fui dans la montagne et la forêt pour pouvoir continuer à croire à leurs idéaux. Ces Malgaches ont été humiliés, abattus comme des chiens, quand ils ne sont pas morts de faim ou de froid. Pour moi, écrire, raconter, c’est vraiment rendre hommage à tous ces gens qui sont morts pour la cause de la liberté. Je voulais que mes livres soient des linceuls dans lesquels on peut enfin ensevelir cette mémoire des victimes de la répression coloniale, faute d’avoir su prendre soin de leurs corps. C’est aussi le sens du travail que je fais avec les survivants de l’insurrection de 1947. Ils sont aujourd’hui vieux, voire très vieux. Arrivés au crépuscule de leur vie, transmettre ce qu’ils ont vécu leur permet, comme ils le disent, de ne pas mourir deux fois, mourir physiquement et mourir par absence de mémoire.

    Vos textes préservent la mémoire des insurgés de 1947. Pourquoi les a-t-on oubliés ?

    C’est un oubli subi, dû au manque de livres de vulgarisation, alors que des chercheurs et des historiens, malgaches et français, ont continué de travailler sur ce pan important de l’histoire coloniale à Madagascar. Dans les années 1970, avec l’arrivée au pouvoir du marxiste Didier Ratsiraka, il y a eu des publications des témoignages sur cette période, mais aussi une instrumentalisation de cette mémoire par le régime pour mieux asseoir son pouvoir.

    Vous avez grandi à Madagascar dans une famille de lettrés. Votre père était historien. Est-ce que c’est lui qui vous a parlé de ce qui s’était passé en 1947 ?

    Non, je ne crois pas. Je suis né en 1967, sept ans après l’indépendance, vingt ans après les événements de 1947. Sur les murs des bâtiments administratifs, des gares, il y avait encore quand j’étais petit des traces de balles. Les enfants interrogeaient leurs parents : « c’est quoi, ces trous dans les murs ? » On leur répondait : « Mais ça c’est 47 ». Ou alors « tu vois ce pont-là, il y a des gens qui ont été jetés de ce pont ». En tant qu’enfants, on était sensible à cette géographie de la répression. S’agissant de moi plus précisément, je ne me souviens pas exactement quand pour la première fois on m’a parlé de l’insurrection. Ce dont je me souviens, en revanche, c’est d’avoir vu un vieil ami de la famille, qui était réputé pour être particulièrement bavard, bafouiller quand mon père l’a interrogé un jour sur 1947. Cet homme cherchait ses mots, comme s’il allait s’effondrer. A ce moment-là, je me suis dit, je m’en souviens encore, « Tiens, il s’est passé quelque chose en 1947 ». Je ne savais pas encore que cette histoire allait prendre une telle place dans ma vie.(...)

    #Jean-Luc_Raharimanana