Alors que le nombre record de triangulaires a mis au centre des débats la question du barrage, ces derniers jours la perspective d’un « gouvernement de coalition » fait son chemin. Dans le scénario où le RN n’obtiendrait pas la majorité absolue, Gabriel Attal a évoqué dès lundi la possibilité de construire « une Assemblée plurielle » avec « plusieurs groupes politiques de droite, de gauche, du centre, qui projet, projet par projet, travaill[eraient] ensemble » pour éviter un blocage institutionnel.
A gauche, si La France Insoumise, qui devrait représenter la première force du NFP dans l’Hémicycle, a exclu pour le moment de participer à une telle coalition, le son de cloche est différent parmi les autres composantes de « l’union », du PCF au PS en passant par EELV. Ainsi, dès mardi, le député PCF Sébastien Jumel expliquait : « Il y aurait urgence à constituer un arc du gaullisme social jusqu’aux communistes, en passant par des gens de gauche de bonne volonté. » Même son de cloche du côté de Philippe Brun, député PS de l’Eure.
Gouvernement de coalition avec les macronistes : Marine Tondelier prête à y aller
Une hypothèse acceptée jusque par des figures de premier plan du NFP. Parmi elles, la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts, Marine Tondelier, devenue au lendemain du premier tour et de son interpellation de Bruno le Maire l’égérie du « front républicain » ainsi que l’incarnation du visage raisonnable du NFP. Interrogée sur la possibilité d’un gouvernement de coalition lors du « 20 heures de TF1 » ce mardi, celle-ci a expliqué « il faudra sûrement faire des choses que personne n’a jamais faites auparavant », tout en affirmant que la décision dépendrait du « cap politique ».
Rebelotte le lendemain dans un interview à Libération, où la dirigeante de EELV note : « La France va certainement connaître une situation institutionnelle inédite. On va certainement devoir innover » avant de répondre à une question sur la possibilité d’une « coalition avec les macronistes » : « il n’y aura pas de bonne solution. On trouvera la moins mauvaise et la meilleure pour la France. Mais oui, on doit se montrer prêts à gouverner. »
Sur BFM TV ce mercredi soir, Marine Tondelier s’est à nouveau exprimée sur le sujet. Interrogée sur la possibilité d’un tel gouvernement, la figure du NFP a longuement botté en touche, en expliquant que la question n’était pas prioritaire avant le second tour, tout en soulignant que la priorité était d’empêcher l’extrême-droite d’arriver au pouvoir avant d’affirmer : « j’ai envie de rassurer tout le monde sur le fait que chacun saura se montrer responsable au NFP pour trouver les solutions pour que ce pays puisse continuer d’avancer. »
Un exercice de langue de bois dans lequel transparaît cependant une disposition claire à participer à un éventuel gouvernement de coalition, sous-entendant à nouveau que celui-ci devrait être articulé autour d’un premier ministre de gauche tout en expliquant « plutôt que qui, la question c’est pour quoi faire. D’ailleurs Gabriel Attal a compris le message puisqu’il a renoncé à sa réforme de l’assurance-chômage. Mais ça ne va pas suffire. » Et de conclure à propos de la possibilité de travailler avec les macronistes : « à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle », tout en précisant qu’un tel scénario devrait « mathématiquement » inclure LFI.
Ruffin recule mais d’autres personnalités de la gauche laissent la porte ouverte
Une disposition affichée à accepter la main tendue par le camp présidentiel que l’on a également retrouvé du côté de François Ruffin ce mardi, avant de se raviser. Interrogé sur le plateau des Grandes Gueules, le dissident insoumis a expliqué : « il y a eu des grands moments dans notre histoire qui se sont faits avec cette coalition, notamment on peut penser […] à la Libération, où des communistes aux gaullistes il y avait un gouvernement commun ». Et de poser trois (très maigres) conditions à un tel gouvernement : le rétablissement de l’ISF, l’instauration du Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) et l’abrogation de la réforme des retraites.
Ce jeudi matin sur RTL, le député picard est revenu en arrière affirmant qu’il « ne participerai[t] pas à un gouvernement gloubi-boulga » qui sera « hétéroclite et improvisé ».
Des sorties après lesquelles d’autres personnalités de la gauche se sont prononcées favorablement sur le scénario d’un tel gouvernement de coalition, à l’image de François Hollande évoquant la possibilité d’un gouvernement fondé sur « des promesses minimales, au moins pour un an, pour que le pays soit gouverné. » Une perspective dont la mise en œuvre concrète s’annonce néanmoins complexes, puisqu’elle impliquerait au moins le soutien d’un arc allant de LFI à LR, sur un programme commun, même minimal.
Une hypothèse en tout point scandaleuse. Après avoir renoué avec le « front républicain » au service des pires figures de la macronie, un gouvernement de coalition, quelle que soit son articulation, signifierait une alliance inédite avec des ennemis des travailleurs aussi dangereux que Macron et LR. De quoi illustrer une fois de plus l’impasse de la logique de conciliation de classe qui préside à la constitution du NFP, et sur laquelle surfe le RN pour se présenter comme un parti antisystème, en dénonçant une compromission de la gauche avec Macron.
Alors que le premier tour des législatives a révélé, une fois de plus, la profondeur du discrédit du macronisme, la logique du « front républicain » et pire encore de « l’union nationale » au pouvoir avec ceux qui se sont compromis avec l’exploitation et l’oppression est une impasse dangereuse qui ne peut qu’alimenter encore la dynamique de l’extrême droite. Les trahisons de la « gauche » institutionnelle, de Mitterrand à Hollande, ont fait le lit du RN/FN ces quatre dernières décennies. Cette fois, la gauche semble ne vouloir même pas attendre d’arriver au pouvoir pour commencer à se compromettre. Une politique dangereuse qui doit être combattue.