Loi « immigration » : avec finalement 51 articles, un texte plus fourni que le projet initial du gouvernement
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a estimé, après la #censure partielle du Conseil constitutionnel, que la version définitive correspond au texte « voulu par le gouvernement ». La première mouture, de 27 articles, a cependant été augmentée par la droite sénatoriale. De nombreux articles continuent d’inquiéter juristes et associations.
C’est une loi « immigration » composée de 51 articles que le président de la République, Emmanuel Macron, devrait promulguer de façon imminente. A l’issue de la censure partielle du texte par le Conseil constitutionnel, jeudi 25 janvier, environ 40 % de ses dispositions ont été invalidées, principalement pour des motifs de forme. Il s’agit quasi exclusivement d’éléments introduits par la droite parlementaire.
La version définitive correspond donc au « texte voulu par le gouvernement », s’est félicité le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, jeudi soir sur TF1. « Jamais la République n’a eu une loi aussi dure contre les étrangers délinquants », a-t-il insisté, soulignant que les dispositions initialement prévues par le gouvernement sont contenues dans le texte final (26 articles sur les 27 du projet présenté en février 2023).
Les juges constitutionnels ont, jeudi, estimé conformes dix mesures sur la quarantaine dont ils étaient saisis. Ainsi ont-ils validé la levée des protections à l’éloignement dont bénéficient certaines catégories d’étrangers, comme ceux arrivés en France avant l’âge de 13 ans. Cette disposition est censée permettre 4 000 expulsions supplémentaires de délinquants étrangers, promet la Place Beauvau. Elle est assimilée par ses opposants au rétablissement d’une forme de « double peine ».
De même, le Conseil a jugé conforme à la Constitution la généralisation du juge unique, au détriment des formations collégiales de trois juges, pour statuer plus rapidement sur les demandes d’asile devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La possibilité de recourir à des vidéoaudiences pour juger du maintien en rétention des étrangers a aussi été avalisée.
Quatre instructions d’application immédiate
Le Conseil a en outre déclaré conforme l’article imposant à l’étranger de signer un contrat d’engagement au respect des principes de la République. Alors qu’une disposition similaire avait été censurée dans la loi dite de lutte contre le séparatisme, en 2021, les juges constitutionnels ont cette fois considéré que le gouvernement avait listé les principes de la République de façon suffisamment détaillée, qui comprennent « la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République ».
Des dispositions introduites par la droite sénatoriale ont également été approuvées, et notamment celles conditionnant la délivrance de visas à la bonne coopération des pays d’origine en matière de réadmission de leurs ressortissants en situation irrégulière.
Validée aussi, la possibilité, ajoutée par la droite parlementaire, pour un département de refuser la prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance des jeunes majeurs lorsqu’ils ont fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire (OQTF), ou encore la création d’un fichier des mineurs étrangers suspectés d’être des délinquants.
Dans un registre satisfait, le ministre de l’intérieur a prévenu, jeudi soir sur TF1, qu’il réunirait dès vendredi 26 janvier les préfets pour leur transmettre au moins quatre instructions d’application immédiate. D’abord, M. Darmanin souhaite que l’intégralité des dossiers des étrangers délinquants soit réétudiée, afin d’envisager des expulsions sur la base de la nouvelle loi. Ensuite, il entend demander de régulariser certains travailleurs sans-papiers évoluant dans les secteurs en tension, ainsi que le facilite une disposition de la loi.
M. Darmanin souhaite aussi s’appuyer sur la loi pour accentuer la lutte contre l’immigration irrégulière, contre les marchands de sommeil ou contre le travail des autoentrepreneurs sans-papiers, à l’image des livreurs à domicile. Le ministère de l’intérieur veut enfin appliquer sans attendre l’interdiction en métropole du placement en rétention des mineurs. Dans les faits, la mesure est déjà pratiquement à l’œuvre.
« C’est un texte très mal rédigé »
Du côté des associations et des juristes, si la censure partielle de la loi a été accueillie positivement car elle balaye les mesures les plus dures, de vives inquiétudes demeurent sur les dispositions du texte restantes. Président d’Amnesty International France, Jean-Claude Samouiller a appelé le gouvernement à ne pas mettre en œuvre les mesures qui, « si elles ne sont pas jugées comme anticonstitutionnelles, n‘en sont pas moins attentatoires aux droits et aux libertés des personnes exilées ».
Par la voix de sa présidente, Adeline Hazan, l’Unicef France se dit également « préoccupé par le maintien de plusieurs dispositions qui, si elles n’ont pas été déclarées inconstitutionnelles, semblent toutefois incompatibles avec le respect des droits de l’enfant ». « Retour de la “double peine”, instauration d’un juge unique à la CNDA ou nouvelles conditions mises à la délivrance de titres de séjour. Ces dispositions, nous continuerons à les contester », a appuyé Dominique Sopo, le président de SOS Racisme.
Une série de 41 articles n’ont en outre pas été soumis au contrôle des juges constitutionnels. Parmi ceux-là : la possibilité de placer en rétention certains demandeurs d’asile à la frontière ; le fait qu’un parent étranger doit s’engager à éduquer ses enfants dans le respect « des valeurs et principes de la République », ou encore le passage d’un examen de français pour l’obtention d’une carte pluriannuelle de séjour. « Le Conseil ne s’est pas prononcé sur de nombreux articles, comme les mesures spécifiques à Mayotte », regrette Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit à l’université Lyon-3 et « membre sénior » de l’Institut universitaire de France.
« C’est un texte très mal rédigé, sa procédure d’adoption a été catastrophique », ajoute encore Samy Benzina, professeur de droit public à l’université de Poitiers, qui, comme d’autres de ses collègues, estime que la loi devrait engendrer de nombreux contentieux. « On peut déposer des questions prioritaires de constitutionnalité à l’occasion de la contestation des décrets d’application par exemple, prévient Serge Slama, professeur de droit public à l’université de Grenoble. Il peut aussi y avoir des contrôles de conventionnalité et de conformité au droit de l’Union européenne dans le cadre de contentieux individuels. » Des procédures qui prendront nécessairement du temps.
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