/bill_evans_i_fall_in_love_too_easily.mp

  • Mon inconscient
    N’a rien foutu
    Cette nuit

    Petit-déjeuner
    Silencieux
    Émile songeur

    Une fois par an, le dimanche matin
    On entend la rumeur d’un rassemblement
    À Vincennes comme dans Une journée particulière

    Je n’aime pas cette rumeur
    Je n’aime pas qu’on hurle avec les loups
    J’ai peur de cette tumeur

    De retour du marché
    Mes mains sèches
    Déballent les fruits

    Un butternut, des kakis
    Un potimarron
    Automne

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/images/sophie/sons/bill_evans_i_fall_in_love_too_easily.mp3

    Café
    Bill Evans
    Autumn leaves

    Dimanche matin
    Refais du café
    Et fais un peu de ménage

    Au milieu du rap des filles
    Sur l’autoradio, pour me faire plaisir
    Sarah glisse Yesterday des Beatles

    Sarah tu savais que cette chanson
    Est sortie avant ma naissance
    Non ? Si, 1964

    La cité dans laquelle j’ai grandi
    Est grillagée depuis vingt ans
    Mais je ne m’y habitue pas

    Qui voudrait vivre
    Derrière un grillage
    Et pour se protéger de quoi ?

    Je n’arrive jamais tout à fait
    À comprendre qu’il faille badger
    Là où on fonçait à vélo en descente

    Et je ne voudrais pas avoir l’air du type
    Né à l’époque de Yesterday , mais où sont les enfants
    De cette cité ? Chez eux et pas dehors

    Yesterday
    All my troubles
    Seem so far away

    And now
    I long for
    Yesterday

    Emile tient une forme spectaculaire
    Aux échecs et ne fait qu’une bouchée
    De son père puis de son grand-père

    Je fais une partie de Monopoly
    Avec ma mère et Zoé, et je gagne
    Grâce à la rue de Wazemmes (Lecourbe)

    Au retour je traduis à la volée
    Les paroles de je ne sais plus
    Quel rappeur états-unien : on rit bien

    Quenelles aux morilles
    Cêpes de Bordeaux au beurre
    Poires et prunes, c’est l’automne

    Cèpes de Proust : des cèpes au beurre
    Un dimanche soir, comme au retour
    D’un dimanche à Rambouillet

    Sarah et Émile discutent
    Dans le garage
    Zoé fait la vaisselle, dimanche soir

    Les enfants vivent leur vie
    Dans ma chambre au calme
    J’écris. Nous serons couchés tôt

    Tandis que je tente de me renseigner
    A propos du référendum catalan
    Mon téléphone de poche vibre

    José, en pleurs
    Phil Rahmy
    Est parti

    Chaque fois que je pense à Phil
    J’ai mal aux bras
    De l’avoir porté, il y a quinze ans

    #mon_oiseau_bleu

  • http://www.desordre.net/bloc/ursula/2017/images/sophie/sons/bill_evans_i_fall_in_love_too_easily.mp3

    J – 20 : Une bonne partie du week-end passée à lire le manuscrit de mon ami Daniel jusqu’à rêver d’aires d’autoroute la nuit, c’est qu’elles ont leur importance ces dernières dans ce relevé géographique fictif contemporain. Lecture studieuse dans le but de donner quelques éléments de recul à Daniel. Lecture interrompue sans vergogne dimanche après-midi par A. venue boire un ristretto . Lecture ponctuée par l’écoute de quelques disques magnifiques, Polka Dots And Moonbeans de Bill Evans, John Coltrane avec Duke Ellington, A Love Supreme de John Coltrane - une éternité que je ne l’avais plus écouté et on ne devrait jamais rester aussi longtemps sans l’écouter - , Capcizing moments de Sophie Agnel, Mysterioso de Thelonious Monk, Non-Bias organic de Jean-Luc Guionnet, The Montreal Tapes de Charlie Haden (Gonzalo Rubbalcaba au piano et Paul Motian derrière les futs) et Abbey Road des Beatles. Du café comme s’il en pleuvait pendant ces deux jours au soleil radieux. Et la musique toutes fenêtres ouvertes très rarement abimée par le passage extrêmement rare de quelques voitures, le quartier est désert, la fin du monde pourrait avoir ses avantages si l’on dispose encore d’électricité pour jouer ses disques ou encore de musiciens pour nous jouer de la musique, débarrassés, les musiciens de la chambre d’écho que doit représenter pour eux un enregistrement.

    Traversant dans les clous,
    Pieds nus
    J’ai eu envie d’écouter Abbey Road

    Bill Evans
    Thelonious Monk
    Sophie Agnel

    Février 2005 – suite. 50 km/h. Sortir de Strasbourg. La conduite de Gisse, une mélodie souple, soyeuse. En direction de Reims. 350 kilomètres environ. Sur autoroute. A4. La voiture est lancée, vitesse de croisière, un concentré de paysages aboutés. Un besoin de voix, pour nettoyer les substrats mélancoliques.
    - Yves ?
    - Oui.
    - Parle-moi de toi.

    Elle double, sereine, une suite de semi-remorques. Se rabat. Les panneaux : Sarrebourg, Haguenau, Wissembourg.

    - J’ai passé mes années lycée à Troyes. Trois ans. Le lycée était excentré en périphérie, entre un LEP et un IUT. Suis sorti par la petite porte. Sans mon baccalauréat. A défaut de pouvoir prendre le train des études supérieures, je mesuis dirigé vers l’arrêt de bus. Un bus s’est arrêté, je suis monté et me suis retrouvé au centre-ville. Un appart avec un copain. Le théâtre. Une place dans une librairie de livres anciens. Des liens tissés dès la seconde année de lycée. Dès la fin de la seconde, viré de l’internat. Sur le bulletin : Trop asocial pour s’assumer en collectivité. Je n’en tire aucune gloriole. Je ne savais même pas ce que c’était l’asociabilité. Autour de moi, ce qui avait teneur de liens, de gens, c’était de la subjectivité broyée. Je n’avais ni les moyens ni le temps de faire une
    introspection pour savoir ce qu’il y avait de périmé, de périssable en moi. Supposes que je revois certains profs aujourd’hui, je ne vais pas leur bouffer la trogne. J’ai laissé filer. Ils ont laissé filer. D’autres chats à fouetter. A partir de la première, quelqu’un du village m’emmenait le matin. Il travaillait dans un garage. Trente kilomètres en voiture. Mesure concise d’une nationale dans un décor de champs, de villages. Le soir je rentrais en stop, une fantastique galerie de portraits de la France de l’époque. Deux soirs par semaine, des cours de théâtre. Le matin, ce quelqu’un du village me déposait à un arrêt de bus. Direction le lycée. Dans le bus, parmi les passagers, des lycéens, des lycéennes. Un transport commun de tics, de cartables. De regards. Ses yeux, mes yeux. Des regards qui se croisent. Des attirances. J’étais en terminal, elle en première. Dans la classe d’un copain. Les heures de permanence, certaines pauses après le déjeuner, on les passait dans un bar, à quelques rues du lycée. Elle était longue, haute, d’apparence filandreuse. Yeux sombres, cheveux noirs. Issue de la bourgeoisie locale. Elle était avec ce copain. J’ai parlé. Littérature, musique, philosophie. Ce copain s’embarquait pour les Beaux-arts, laissant des croquis partout derrière lui. Nous en étions à partager à l’époque ce qui tenait lieu d’avant-garde musicale entre jeunes. Un rock des confins, industriel, froid. Un fort écho des lézardes en cours dans le champ industriel de l’époque. Par notes et voix interposées. Les délocalisations, la mise au pilori de centaines et de centaines d’emplois. L’industrie textile locale opérant un virage sous forme de ventes directes en usines plantées comme des décors dans des marques avenues. Les vraies usines démontées, pièces par pièces. Remontées en Tunisie, en Turquie. Optimiser les profits, réduire les conflits. Elle était issue de cette bourgeoisie textile. Je me disais souvent que si elle avait été d’un milieu modeste, elle aurait été quelconque. Quoi que sans doute avec toujours ce fond abrasif, délirant. Elle me plaisait. Une beauté décalée. Des échanges convulsifs et posés. Plus grande que moi. Je n’avais que mon bagou, une gueule attirante.

    Double file. Se déporter. Un camion en double un autre. Voie de gauche. Les voitures derrières qui ralentissent. Gisse se rabat. Appels de phare. Elle n’en a cure. Une conduite assumée.

    Extrait de Les Oscillations incertaines des échelles de temps de Daniel Van de Velde

    #qui_ca