• J – 19 : C’est dimanche soir dans le monde, une lumière orgiaque de fin de journée dessine de très belles lumières sur le haut des immeubles de la place de la mairie. Sophie Agnel traverse devant moi sans s’en rendre compte, je me porte à sa hauteur, descend mon carreau et fait mine de lui demander le chemin du cinéma, tête de Sophie Agnel qui reprend rapidement ses esprits, un certain talent pour l’improvisation sans doute, et qui me renseigne, le cinéma c’est plus loin. Seul à la maison en ce dimanche soir, j’ai eu envie d’aller voir un film, le seul pas encore vu, et qui faisait un peu envie, sorte de cinéma du dimanche soir, c’était le dernier film d’Arnaud des Pallières, Orpheline .

    Film laborieux. Film prétentieux. Film ennuyeux.

    Laborieux, il faut quasiment une heure à Arnaud des Pallières pour installer véritablement son intrigue - est-ce qu’il n’essaierait pas de nous faire faussement croire à une inexistante complexité de son récit, je suis sans doute bien soupçonneux, peut-être est-il juste pas très fort pour raconter un récit ? -, il faut dire il lui aura fallu beaucoup de temps pour détacher son regard (et le nôtre) des poitrines de ses trois jolies actrices sensées incarner le personnage de Karine/Sandra/Renée, puisque finalement c’est à se demander si ce n’est pas à cela que lui sert ce recours à trois actrices différentes pour interpréter la même femme aux âges de 15, 20 et 30 ans (Solène Bigot, Adèle Exarchopoulos, et Adèle Haenel). On aurait un peu envie de lui offrir une copie téléchargée de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche pour lui montrer que dans ce trio d’actrices, il y en a une qui a déjà fait cela, la traversée des âges, très bien - mais une telle leçon de cinéma ne serait pas très charitable. Quant à l’enchâssement des flashbacks , c’est une véritable montagne qui accouche d’une souris, d’une toute petite souris de rien du tout : une petite fille de sept ou huit ans est témoin, plus ou moins tenue à distance, de la disparition de deux autres enfants disparus lors d’une partie de cache-cache, ses parents immatures ne sauront pas la protéger de cet épisode, la mère abandonnera le foyer, sans doute pour se soustraire à l’alcoolisme et à la violence de son compagnon, la petite fille va grandir, apparemment à l’adolescence cela va être très tumultueux - étonnant non ? -, le début de la jeunesse hyper rock’n’roll - les surprises de la vie sans doute -, au point que, plus tard, elle ne parviendra pas vraiment à se ranger des voitures, poursuivie, et rattrapée, qu’elle sera par une affaire ancienne. Et c’est à peu près aussi complexe que cela, alors vous dire pourquoi cela doit prendre deux heures, je ne saurais pas vous dire, pas plus que de vous expliquer pourquoi pour les personnages masculins on peut n’employer qu’un seul acteur pour plusieurs périodes, mais pas pour le personnage féminin aux si jolies poitrines - je m’excuse pour ce bilan un peu comptable, mais dans le film on pourra voir, en pleine lumière, les poitrines des trois jeunes femmes interprétant le rôle principal, plus celle du personnage de Tara, et sans compter celle de la doublure d’Adèle Haenel, les fesses nues d’Adèle Exarchopoulos, et par deux fois Solène Rigot aura l’immense honneur, une distinction sans doute dans une carrière de comédienne, de mimer une fellation, la contrepartie comptable masculine est plus maigre, un demi-fessier et un entrejambe éclair dans une pénombre à couper au couteau.

    Prétentieux, non content d’accoucher narrativement d’une souris, toute petite souris de rien du tout, Orpheline est un film esthétisant, dont tous les plans et leurs lumières sont léchés, avec force bourrage dans les côtes, vous avez vu comme on est forts, et tel effet de faible profondeur de champ, et telle composition de cadrage, et tel effet de contrejour difracté, une véritable panoplie, par ailleurs coupable de glamorisation des bas-fonds, de la violence aussi, si possible envers les femmes parce que quand même c’est nettement plus photogénique - un parieur endetté reçoit la visite d’un de ses créanciers mafieux, et ce n’est qu’affaire de regards, la jeune femme aux prises avec le même homme s’en prend deux en plein visage (et naturellement elle en redemande et tout aussi naturellement se rue sur la braguette de l’homme qui vient de la frapper deux fois au visage, les femmes, c’est bien connu, aiment, par-dessus tout, qu’on les frappe, ça les rend folles, après vous en faites ce que vous voulez). Naturellement, il y a foison de gros plans avec cadrages à l’avenant, notamment sur les poitrines des jeunes actrices. Je présume que l’emploi des trois actrices pour le même personnage, quatre avec la petite fille, mais là, tout de même, on peut comprendre le recours à une véritable enfant de six-sept ans, a la volonté de nous montrer à quel point les différentes périodes d’une existence sont autant de moi aux formes méconnaissables - j’ai lu quelque part une critique cinématographique officielle qui, sur ce point, prêtait à Arnaud des Pallières des intentions proustiennes, rien que cela, Arnaud des Pallières ne doit plus se sentir, cela aura eu le mérite de me faire pouffer, en ce moment ce n’est pas tous les jours que je pouffe à la lecture de la presse, Marcel Proust et Arnaud des Pallières, les deux grands conteurs du récit interne, François Mauriac lui-même ne s’y serait pas trompé, les critiques officielles des fois.

    Ennuyeux au point de me pousser à regarder ma montre de temps en temps, c’est comme cela que j’ai compris qu’il avait fallu un peu plus d’une heure à Arnaud des Pallières d’installer son intrigue, et d’en faire, finalement, si peu : une femme en proie à des sentiments abandonniques, dont on peut raisonnablement penser qu’ils sont dus à la désertion du foyer par sa mère, à l’âge de six-sept ans, reconduit cette logique d’abandon, heureusement qu’il y a des réalisateurs d’avant-garde comme Arnaud des Pallières pour nous fournir des œuvres de vulgarisation freudienne, sans ça c’est sûr, on comprendrait mal, c’est, j’imagine, pour cette raison aussi que de nombreux passages du récit sont soulignés trois fois en rouge pour être sûr qu’on capte bien, qu’on repère bien les signes avant-coureurs de ce récit tellement maigre au point d’être famélique.

    Et je m’excuse d’en remettre une couche, mais, quand même, est-ce normal que tous les personnages de femmes, les trois âges adultes notamment du personnage principal, soient entièrement dépendantes des hommes et qu’elles soient aussi systématiquement contraintes à faire commerce de leurs corps et de leurs caresses pour pouvoir passer à t’étape suivante de l’existence ? Non, parce que je demande cela dans le but de tenter de faire la différence entre ce film-là et un film érotique des années septante, dans lequel on voit bien que la psychologie des personnages n’a pas été aussi fouillée que les recherches formelles sur le galbe des poitrines des actrices. Et, à vrai dire, j’ai bien du mal à opérer un distinguo.

    Film laborieux. Film prétentieux. Film ennuyeux et, donc, vaguement pornographique. Un enchantement. Vraiment. Si j’osais je dirais que c’est bien un film de dimanche soir que je suis allé voir, mais de deuxième partie de soirée.

    #qui_ca