• #Marseille privatopia : les #enclaves_résidentielles à Marseille : logiques spatiales, formes et représentations

    Marseille : privatopia ?

    La forte multiplication des « #résidences_fermées_sécurisées » est une tendance observée dans les #villes européennes et françaises, après celles d’Amérique latine, des USA, d’Afrique du sud etc. En #France, elle a surtout été repérée et analysée en contextes péri-urbains (Ile de France, Côte d’Azur, banlieues de Toulouse et Montpellier). Partout où elle se développe, cette tendance est souvent attribuée aux inquiétudes des habitants pour la #sûreté, ou leur #qualité_de_vie, ainsi qu’à des #replis_sociaux, thèmes récurrents dans les médias et discours politiques. Elle est aussi liée au rôle d’une « offre » portée par les majors de l’immobilier. Mais elle est aussi soutenue indirectement, dans le contexte néolibéral, par des pouvoirs publics qui se déchargent ainsi de l’aménagement et de la gestion d’#espaces_de_proximité.

    Nous observons et analysons depuis 2007 cette prolifération des #fermetures à Marseille. Après un premier état des lieux (Dorier et al, 2010), nous avons mené une second #inventaire exhaustif en 2013-2014. Et depuis lors, nous menons une veille ciblée sur certains secteurs. Démarrée au début des années 90, la diffusion des #enclosures atteint des sommets à Marseille où elle n’a quasiment pas été régulée : des #marges et des #enclaves se construisent ainsi dès qu’on s’éloigne du centre historique (Dorier, Dario, 2016). Au point que la #fermeture des #espaces_résidentiels, de leurs #rues et espaces de plein air semble en train de devenir la norme (Dorier, Dario, 2018)

    Depuis 25 ans, Marseille n’a cessé de se cloisonner de plus en plus et ce processus est venu aggraver les #inégalités d’#accès_aux_équipements et aux « #aménités » urbaines. Le #parc bâti du centre ville paupérisé s’est dégradé jusqu’à l’effondrement et au risque de péril imminent de centaines d’immeubles, qui ont du être évacués en urgence depuis novembre 2018, comme on le voit sur la carte de droite (voir aussi page dédiée). Pendant ce temps, les quartiers du sud et de l’est, ainsi que les zones en rénovation, se sont transformées en mosaïques résidentielles clôturées, sous le double effet de la #promotion_immobilière et de ré-aménagements voulus par les associations de #copropriétaires. Ils dessinent des espaces pour classes moyennes à aisées, sous forme de #lotissements et d’#ensembles_immobiliers majoritairement fermés et sécurisés, chacun doté de ses propres espaces « communs » privés : parkings, voirie privée, jardins.

    Cette « #Privatopia » tourne d’abord le dos au centre historique, à ses ilots anciens décrépis où l’action publique s’est illustrée par son inefficience pendant des décennies. La fermeture se diffuse d’abord dans les zones favorisées, puis dans les périphéries ouvertes à l’urbanisation, enfin dans les zones de rénovation urbaine : la création de nouvelles résidences fermées est devenue un moyen pour valoriser des opérations immobilières et y attirer des classes moyennes, face aux copropriétés dégradées et aux ensembles HLM appauvris. Lorqu’un bailleur rénove un ensemble de logements sociaux, celui-ci est également « résidentialisé », même si, avec des années de recul sur cette pratique, on sait désormais que clôturer ne résoud pas les problèmes socio-économiques des quartiers, ni même les problèmes de sécurité. Au contraire, la fragmentation physique pourrait bien alimenter les tendances aux séparatismes sociaux en tous genres.

    D’après nos enquêtes, en dehors des formes d’entresoi spécifique de quartiers particulièrement aisés, comme la colline Périer, et ses « gated communities » surplombant la mer, la fermeture est d’abord fortement associée au « tout voiture » qui caractérise encore Marseille et à la concurrence pour le stationnement résidentiel : les premiers espaces à être clôturés sont les parkings. Elle est également liée à 25 années de désengagement croissant de la municipalité dans la gestion de proximité (propreté, entretien des espaces verts, sécurisation publique des rues) ainsi qu’un encouragement de l’urbanisation privée par des ventes de parcelles publiques ou des zones d’aménagement favorisant la promotion immobilière. La fermeture résidentielle traduit l’affirmation d’une économie résidentielle, le rôle des promoteurs, syndics, copropriétés étant crucial : la « sécurisation » (privée) est supposée faire augmenter la valeur marchande des biens immobiliers… Enfin, la fermeture traduit une accentuation des replis sociaux : à Marseille la clôture « a posteriori » de rues qui étaient auparavant ouvertes au passage représente 55% des cas observés.

    Certains espaces du 8ème, 9ème, 12ème , nord du 13ème arrondissements (Les Olives), caractéristiques de cette urbanisation privée, deviennent un assemblage désordonné de copropriétés et d’enclaves de moins en moins accessibles et traversantes. La fermeture se diffuse par mimétisme, les ensembles résidentiels forment des « agrégats », qui bloquent les circulations : une véritable situation de thrombose dans certains quartiers, anciens comme récents (les Olives, Ste Marthe). Le comble, c’est que dans ces quartiers, les plus favorisés, au cadre de vie « a priori » le plus agréable, les déplacements à pied ou en vélo tiennent désormais de l’exploit. Les détours imposés par les barrières qui enserrent chaque rue ou jardin privé de résidence obligent à prendre la voiture pour accompagner un enfant à l’école du coin, acheter le pain… La ville perd de plus en plus en cohérence, et, avec cette juxtaposition de résidences sécurisées certains quartier ressemblent plus à une mosaïque de co-propriétés qu’à… une ville. Cela a été mis en évidence et modélisé par la toute récente thèse de Julien Dario (2019), réalisée dans le cadre de ce projet.

    A Marseille, depuis 2007, nous avons opté pour une étude empirique, directe, sur le terrain. Nous pu ainsi vérifier l’hypothèse qu’aux initiatives spontanées de fermeture de rues et de lotissements a posteriori, longtemps après leur construction, s’ajoutent des stratégies nouvelles. Elles associent promotion privée et action publique, et sont destinées à faire évoluer le peuplement de quartiers de la ville, à travers la production de logement « de qualité » attirant des classes moyennes et supérieures. Promoteurs et décideurs semblent juger utile de les rassurer à travers la livraison d’ensembles qui sont quasiment tous fermés dès la construction … En 12 ans, de 2008 à 2020 une série d’études, de masters et thèses ont permis de décrire et quantifier ce processus, d’observer la progression d’une fragmentation urbaine qui s’accroît aux échelles fines et d’évaluer ses impacts.

    Nos études se sont focalisées sur les fermetures massives des aires privilégiées (Colline Périer, Littoral Sud, Nord-Est avec la technopole de Chateau Gombert), et la transformation résidentielle de certains territoires périphériques en zones d’investissements immobiliers rentables, attirant des classes moyennes et supérieures (Littoral Nord, Sainte Marthe, grand centre ville/Euromed, franges du parc National des Calanques comme la ZAC de la Jarre). les résidences fermées deviennent ainsi un outil de plus value foncière… et de recompositions urbaines, valorisant toutes les zones ayant un attrait environnemental, tout en en restreignant l’accès.

    La diffusion d’un modèle

    Notre méthodologie a permis de prendre la mesure du phénomène à l’échelle d’une ville entière, et sur la durée, ce qui n’a pas été réalisé ailleurs en France. A deux reprises (2008-2009 et 2013-2014), la commune entière a été arpentée, chaque ensemble résidentiel fermé a été géolocalisé dans un SIG, inventorié, décrit, photographié, afin d’établir un corpus exhaustif : 1001 résidences ou lotissements étaient enclos en 2009, plus de 1550 en 2014. L’ensemble des clôtures ont été datées à partir d’enquête directe ou par photo-interprétation. Cette démarche est relatée dans deux rapports de recherche (Dorier et al., 2010 et 2014), 13 masters et une thèse (Dario, 2019).

    Le recours au SIG (Système d’information géographique) a permis de tracer leur histoire, en croisant les localisations avec des images aériennes anciennes, le cadastre, la chronologie des programmes immobiliers. En 2011 et 2012, la première étude du LPED est actualisée à travers plusieurs mémoires d’étudiants sous la direction d’E.Dorier et S.Bridier. Ceux-ci observent une accélération des dynamiques d’enclosures dans les quartiers sud (Dario J. 2010, Toth P.2012), leur multiplication et leur diffusion dans les quartiers nord (Balasc et Dolo 2011, Dolo 2012, Robillard 2012). La propagation se fait beaucoup par mimétisme : plus de la moitié des ensembles fermés sont collés les uns aux autres, par grappes, transformant la physionomie et les usages possibles de l’espace urbain et développant des « marges » urbaines cloisonnées. On peut le vérifier, à travers l’exemple d’une marge Nord-Est de Marseille, sur les franges ville-espaces péri-urbains Les Olives : une juxtaposition désordonnée de lotissements fermés.

    Nous avons aussi beaucoup observé, recueilli de nombreux témoignages auprès de résidents, de riverains, de syndics, d’agences, de techniciens de l’urbanisme… Nous avons séjourné dans plusieurs de ces résidences. Nous poursuivons la veille sur certains contextes sensibles à haut potentiel spéculatif immobilier, comme la frange du massif des calanques ou sainte Marthe, ou encore des espaces où les fermetures sont conflictuelles. Par des analyses d’archives, des enquêtes fines sur des contextes urbains, des entretiens avec acteurs et habitants, des analyses de périmètres de la politique de la ville, le suivi de conflits de voisinages nous avons ensuite analysé les facteurs historiques et les impacts associés à cette dynamique d’enclosures, les inégalités sociales, les impacts sur la circulation, les inégalités environnementale (D.Rouquier 2013, J.Dario, 2019 et la thèse en cours de P. Toth, consacrée aux 8ème et 9ème arrondissements).

    Au final, on met à jour une dynamique de transition libérale, individualiste et sécuritaire, associée au règne de la voiture dans la ville (beaucoup de clôtures ont au départ pour justification le seul parking), qui freine d’autres évolutions souhaitables (transition écologique, inclusion sociale). Si le phénomène se banalise, on constate aussi une complexité territoriale du processus et son épaisseur historique. Dans des contextes de fortes recompositions urbaines (spatiales, foncières, sociales, démographiques), et dans les périmètres de nouvellement urbain, la fermeture d’espaces résidentiels est utilisée comme outil de diversification de l’habitat et de mixité sociale. Le processus n’a pas partout les mêmes motifs ni les mêmes impacts socio-environnementaux. D’où l’intérêt d’approches qualitatives par observations sensibles, entretiens avec des acteurs et habitants, dépouillements d’archives historiques (histoires de rues).

    Les quartiers sud

    En observant le facteur de proximité dans la diffusion, ainsi que le potentiel de valorisation immobilière des terrains vacants ou susceptibles de l’être, plusieurs scénarios de prospective ont été mis au point par Julien Dario pour anticiper l’évolution des espaces susceptibles d’être fermés, transmis à la Ville dans le cadre d’un contrat, comme aide à la décision (Dario 2011, 2014 et 2019). Dans les quartiers sud, on est frappé par la perspective de 53% de taux d’évolution spontané probable de la fermeture dans les 8ème et 9ème arrondissements, si aucune intervention publique ne vient réguler la tendance. Les surfaces touchées par les enclosures (résidences et périmètres d’entreprises) déjà localement très importantes pourraient y atteindre le tiers de la surface totale urbanisée. Des études de cas à échelle fine ont permis d’anticiper plusieurs conflits liés à ces processus (progressifs ou brutaux) en lien avec des dynamiques sociale locales.

    Les cas des lotissements « Coin Joli » et « Barry » (analysés ici par J.Dario entre 2011 et 2019) montrent comment certains dispositifs informels préfigurant l’enclosure sont mis en place progressivement, informellement, parfois subrepticement : enrochements, systèmes physiques fixes contraignants (plots métalliques) permettant encore le passage prudent de deux roues et piétons ; panneaux de sens interdit « privés » et informels apposés à l’extrémité de certaines rues. On passe d’une délimitation par panneautage à une fermeture symbolique et partielle, avant d’évoluer vers l’enclosure, qui peut être conflictuelle en privant de passage les riverains, en réduisant les perméabilités urbaines.

    Les quartiers nord : diffusion des ensembles résidentiels fermés dans les contextes de rénovation urbaine

    Un fait remarquable est la diffusion des enclaves résidentielles fermées au cœur et en bordure des zones urbaines sensibles (ZUS) telles qu’elles ont été définies par l’Agence Nationale de la Rénovation Urbaine (ANRU). Bénéficiant de la TVA réduite, les promoteurs sont incités à y produire une nouvelle offre de logement privée, afin de permettre une diversification et l’installation de classes moyennes. Mais les enclosures, supposées rassurer les candidats à l’accession à la propriété, et maintenir un niveau de prix élevé ne favorisent pas les relations sociales … et nos études montrent qu’en fait de « mixité », apparaissent de nouvelles formes de fragmentations et même de tensions résidentielles (Dorier et al, 2010, 2012), qui s’accompagnent, par ailleurs de formes d’évitement fonctionnel (Audren, 2015, Audren Baby-Collin, Dorier 2016 , Audren, Dorier, Rouquier, 2019). Le secteur du Plan d’Aou dans le 15ème arrondissement de Marseille, où la restructuration résidentielle est achevée a été analysé à l’aide d’étudiants (Balasc et Dolo 2011). Dans ce secteur cohabitent des zones de logements HLM en fin de réhabilitation, des lotissements anciens qui se sont fermés ou sont en cours de fermeture, des projets immobiliers récents, conçus sécurisés. La juxtaposition de ces différents types d’habitats aux profils sociaux différenciés engendre plus une fragmentation qu’une mixité Fonctionnelle, malgré la proximité. Les interrelations sont faibles entre les ensembles et les espaces. (Dorier, Berry-Chikahoui et Bridier, 2012)

    une crise des urbanités

    Tandis que cette transformation des espaces de copropriétés et rues privées de Marseille se poursuit, des pans entiers de vieux quartiers populaires se délabrent. En 2019, notre cartographie de ces ensembles résidentiels privés fermés ainsi que des HLM « résidentialisés » et enclos (dans les projets de rénovation urbaine) tranche avec la géographie des constructions déclarées en péril et brutalement évacuées de leurs habitants, suite à l’effondrement de deux immeubles vétustes du quartier Noailles, près du Vieux port de Marseille. Notre carte révèle des politiques de l’habitat à plusieurs vitesses, où des décennies de laisser-faire public face à la ville privée s’expriment d’un côté par la dégradation du bâti, et de l’autre par la multiplication de formes de repli et d’entre soi urbain ayant des impacts sur les circulations et sur l’accès aux équipements. A ce stade, des rééquilibrages publics sont indispensables. Quelques initiatives publiques pour maintenir des traverses piétonnières ont été lancées dans certains quartiers très touchés, elles sont compliques par les évolutions législatives (qui facilitent la clôture des espaces privés) ainsi que par la dévolution de la compétence en matière de voirie à la Métropole. Rétablir des accès et servitudes de passage pour les piétons est compliqué dans les espaces privés : il faut passer par une DUP, puis par l’achat d’une bande de terrain par la collectivité pour tracer un cheminement piétonnier. Des interventions seraient possibles dans certains cas où les clôtures ont été posées sur des rues non privées, ou hors de la légalité. Mais la collectovité ne s’auto-saisit pas des cas d’infraction. Les actions au cas par cas risquent de ne pas suffire à endiguer cette véritable crise d’urbanité.

    (observations menées conjointement à nos études sur le mal logement et des évacuations à Marseille).

    le projet ci-dessous a fait l’objet d’une exposition art-science, présentée à l’Espace Pouillon, campus centre Saint Charles de l’Université Marseille Privatopia 8-24 octobre 2020.

    Depuis 2014, une collaboration avec l’artiste peintre Anke Doberauer (photos et tableaux) a été rendue possible grâce à une résidence commune à la Fondation Camargo (2014). La jeune cinéaste Marie Noëlle Battaglia a également réalisé en 2020 un documentaire « En remontant les murs » inspiré par nos recherches, et en lien avec l’équipe (avant première le 18 octobre 2020, dans le cadre du festival Image de ville). Ces collaborations ont déjà donné lieu à des présentations croisées, comme celle du 3 avril 2019 organisée par le Goethe Institut à la Friche de la belle de mai, et pourraient déboucher sur une exposition et un ouvrage commun.

    Rapports de recherche-action :

    Dorier E. Dario J. Rouquier D. Bridier S. , (2014), Bilan scientifique de l’étude « Marseille, ville passante », Contrat de collaboration de recherche : « Développement urbain durable à Marseille » n°12/00718, 13 cartes, 18 croquis, 24 tableaux. juin 2014, 90 p.

    Dorier E. (dir), BERRY-CHIKHAOUI I., BRIDIER S., BABY-COLLIN V., AUDREN G., GARNIAUX J. (2010), La diffusion des ensembles résidentiels fermés à Marseille. Les urbanités d’une ville fragmentée, rapport de recherche au PUCA, Contrat de recherche D 0721 ( E.J. 07 00 905), 202 p, 35 cartes et croquis, 30 graphiques, 68 illustrations photographiques.

    Ces rapports ont donné lieu à de nombreuses restitutions publiques auprès des services de l’Urbanisme de la Ville, la Communauté urbaine, l’Agence d’Urbanisme (Agam), le département.

    Articles scientifiques :

    Dorier E. Dario J., 2018, « Gated communities in Marseille, urban fragmentation becoming the norm ? », L’Espace géographique, 2018/4 (Volume 47), p. 323-345. URL : https://www.cairn.info/journal-espace-geographique-2018-4-page-323.htm (traduction texte intégral ) texte intégral (ENG.) DORIER DARIO Espace geo anglais EG_474_0323

    Dorier E. Dario J., 2018, « Les espaces résidentiels fermés à Marseille, la fragmentation urbaine devient-elle une norme ? » l’Espace géographique, 2018-4 pp. 323-345.

    Dorier E., Dario J., 2016, « Des marges choisies et construites : les résidences fermées », in Grésillon E., Alexandre B., Sajaloli B. (cord.), 2016. La France des marges, Armand Colin, Paris, p. 213-224.

    Audren, G., Baby-Collin V. et Dorier, É. (2016) « Quelles mixités dans une ville fragmentée ? Dynamiques locales de l’espace scolaire marseillais. » in Lien social et politiques, n°77, Transformation sociale des quartiers urbains : mixité et nouveaux voisinages, p. 38-61 http://www.erudit.org/revue/lsp/2016/v/n77/1037901ar.pdf

    Audren, G., Dorier, É. et Rouquier, D., 2015, « Géographie de la fragmentation urbaine et territoire scolaire : effets des contextes locaux sur les pratiques scolaires à Marseille », Actes de colloque. Rennes, ESO, CREAD, Université de Rennes 2. Actes en ligne.

    Dorier E, Berry-Chickhaoui I, Bridier S ., 2012, Fermeture résidentielle et politiques urbaines, le cas marseillais. In Articulo– – Journal of Urban Research, n°8 (juillet 2012).

    Thèses

    Audren Gwenaelle (2015), Géographie de la fragmentation urbaine et territoires scolaires à Marseille, Université d’Aix Marseille, LPED. Sous la dir. d’Elisabeth Dorier et de V.Baby-Collin

    Dario Julien (2019) Géographie d’une ville fragmentée : morphogenèse, gouvernance des voies et impacts de la fermeture résidentielle à Marseille, Sous la dir. d’Elisabeth Dorier et de Sébastien Bridier. Telecharger ici la version complète. Cette thèse est lauréate du Grand prix de thèse sur la Ville 2020 PUCA/ APERAU/ Institut CDC pour la Recherche, Caisse des Dépôts

    Toth Palma (soutenance prévue 2021), Fragmentations versus urbanité(s) : vivre dans l’archipel des quartiers sud de Marseille Université d’Aix Marseille, LPED , Sous la direction de Elisabeth Dorier

    Posters scientifiques :

    Dario J. Rouquier D. et Dorier E., 2014, Les Ensembles résidentiels fermés à Marseille, in SIG 2014, Conférence francophone ESRI, 1-2 octobre 2014 – http://www.esrifrance.fr/iso_album/15_marseille.pdf

    Dario J. Rouquier D. et Dorier E, 2014, Marseille, fragmentation spatiale, fermeture résidentielle, LPED – Aix-Marseille Université, poster scientifique, Festival international de géographie de Saint Dié, oct 2014. https://www.reseau-canope.fr/fig-st-die/fileadmin/contenus/2014/conference_Elisabeth_Dorier_poster_LPED_1_Marseille.pdf

    Dario J. Rouquier D. et Dorier E., 2014, Marseille, Voies fermées, Ville passante, LPED – Aix-Marseille Université, poster. http://www.reseau-canope.fr/fig-st-die/fileadmin/contenus/2014/conference_Elisabeth_Dorier_poster_LPED_2_Marseille.pdf

    Contributions presse et médias

    Dorier E. Dario J. Audren G. aout 2017, collaboration avec le journal MARSACTU. 5 contributions à la série « Petites histoires de résidences fermées », collaboration journal MARSACTU / LPED, aout 2017. https://marsactu.fr/dossier/serie-petites-histoires-de-residences-fermees

    Dorier E. et Dario J. 23 aout 2017, interview par B.Gilles, [Petites histoires de résidences fermées] Les beaux quartiers fermés de la colline Périer, interview pr B.Gilles, MARSACTU, https://marsactu.fr/residences-fermees-dorier

    Dorier E. Dario J. 30 janv. 2017, interview par L.Castelly, MARSACTU : https://marsactu.fr/discussion-ouverte-residences-fermees

    Dorier E. , et Dario.J. 20 mars 2014, interview in MARSACTU , société : 29% de logements sont situes en residences fermees à Marseille

    Dorier E. Dario J., 4 oct 2013, « Hautes clôtures à Marseille », in Libération, le libé des géographes. (1 p, 1 carte) http://www.liberation.fr/societe/2013/10/03/hautes-clotures-a-marseille_936834
    Dorier E. , 7 avril 2013, « Le phénomène des résidences fermées est plus important à Marseille qu’ailleurs », Marsactu, talk quartiers, archi et urbanisme, http://www.marsactu.fr/archi-et-urbanisme/le-phenomene-des-residences-fermees-est-plus-important-a-marseille-quailleu

    Dorier E. Dario J., 10 fev 2013, « Fermetures éclair » in revue Esprit de Babel, Fermetures éclair

    télévision

    M6, Résidences fermées à Marseille – étude du LPED. Journal national, octobre 2013 : https://www.youtube.com/watch?v=hDM

    FR3, 19/20, Résidences fermées à Marseille – étude du LPED, 24 mai 2013, https://www.youtube.com/watch?v=o-O

    FR 5 (minutes 38 à 50) : « En toute sécurité », documentaire de B.Evenou, http://www.france5.fr/emission/en-t

    podcast radio

    Collaboration entre chercheurs et cinéaste, janvier 2021 : https://ecoleanthropocene.universite-lyon.fr/documenter-la-geographie-sociale-grand-entretien-a

    Collaboration entre chercheurs et artiste peintre, octobre 2020 : Sonographies marseillaises – Radio Grenouille et Manifesta 13 « Ce monde qui nous inspire #4 Marseille ville privée ? »

    https://urbanicites.hypotheses.org/688

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    #cartographie #visualisation

  • Le #mal-logement et ses enjeux à #Marseille, une veille cartographique (2018-2020)

    L’effondrement de deux immeubles dégradés du centre ville le 5 novembre 2018, faisant huit victimes, a déclenché une vague sans précédent de milliers d’évacuations préventives d’immeubles dégradés reconnus “en péril”, éclairant subitement les problèmes anciens de logement, de pauvreté et les besoins en matière de politiques publiques à Marseille. L’un des deux immeubles non entretenus et effondrés appartenait depuis des années à la Ville à travers sa société Marseille Habitat, l’autre à des propriétaires privés.
    Ce double effondrement a provoqué un choc émotionnel et politique, révélant le bilan de décennies de “laisser-faire” face au mal-logement et aux risques environnementaux urbains dans le centre de Marseille (la pluie et les glissements de terrain, invoqués comme cause des effondrements). La soudaineté des évacuations déclenchées ensuite (entre 3000 et 4000 personnes) évoque un contexte d’urgence humanitaire plus habituel dans les villes des Suds qu’en France. En février 2020, ce sont 497 adresses qui au total ont été évacuées en urgence . En mars 2020, ces évacuations se poursuivent et continuent à toucher des habitants de quartiers centraux (Noailles, Belsunce, Panier, Joliette) et péri-centraux (Belle de mai, Versailles), et de quelques copropriétés dégradées périphériques.
    Ces événements, cette crise et sa gestion questionnent la responsabilité des pouvoirs publics, celle des acteurs privés et la place des habitants plus précaires dans la cité. Après de fortes mobilisations sociales, de longues négociations entre pouvoirs publics et associations ont abouti à l’adoption d’une charte du relogement , signée entre la Ville, l’Etat, des collectifs et associations le 8 juillet 2019. Le suivi de cette charte se fait à travers des réunions périodiques entre signataires, non sans tensions dans un contexte pré-électoral. En janvier 2020, la conseillère municipale en charge de ce dossier démissionne de ses fonctions d’ajointe au logement en regrettant le manque de moyens publics et le non respect de cette charte. Plus d’un an après, le bilan de la gestion de cette crise humanitaire et du respect de cette charte n’a toujours pas été réalisé, un appel d’offre est en cours. La mobilisation d’associations pour remettre le mal-logement au centre de l’agenda politique marseillais a trouvé un écho néanmoins assez atténué au moment des élections municipales de mars 2020.

    Sur ces questions, nous avons contribué au rapport du Haut Comité au Logement des Personnes Défavorisées (HCLPD), Marseille, de la crise du logement à la crise humanitaire (novembre 2019) puis en lui fournissant unRecueil_de cartes_2019_sur_Marseilleet son contexte social, notamment celui du logement social (mise en ligne sur le site du HCLPD février 2020).
    Le caractère dramatique de l’événement déclencheur ne doit pas occulter les problèmes de fond, structurels, bien connus des observateurs à Marseille : fortes inégalités sociales et fragmentation urbaine, pauvreté (26%, 200 000 personnes) très concentrée au centre ville, dans plusieurs grosses copropriétés dégradées excentrées, et dans les quartiers où se concentre le logement social ancien.
    Ces problèmes sont aggravés par des inégalités de traitement entre les territoires de la ville, le manque de logements “très sociaux”, accessibles aux plus modestes, à la mesure des besoins (surtout en centre ville).


    Le mal-logement en période de confinement

    L’entassement des habitants dans des logements surpeuplés des quartiers populaires du centre-ville, des copropriétés dégradées et dans certaines cités de logements sociaux (Air bel) renforce les autres formes d’inégalités au quotidien en période de confinement face au Covid. Rappelons que les inégalités ne sont pas seulement intra-marseillaises, mais encore plus forte à l’échelle de la métropole Aix Marseille Provence. Cela nous est montré par l’analyse du nombre de personnes par pièce (qui rentre dans la composition de l’indice de surpeuplement, ce dernier, plus complexe, tient compte de la surface et de la proportion d’enfants). la carte suivante a été élaborée réalisée pour analyser les conditions de vie des jeunes en situation de confinement (dans le cadre du projet Graphite 2020).

    1.2018-2019 : une vague d’évacuations préventives dans le parc d’habitat dégradé des quartiers centraux
    Entre novembre 2018 et novembre 2019, selon nos estimations croisant et recoupant des sources officielles et d’associations, au moins 1300 foyers (plus de 3000 personnes) ont été évacués en urgence, d’immeubles principalement situés au centre et déclarés inhabitables. Début novembre 2019, nous avons dressé la carte des 409 immeubles touchés par l’un des 68 arrêtés et/ou des 330 arrêtés de péril qui se sont succédé et comportent une interdiction d’occuper (en examinant et en géolocalisant toutes les adresses concernées par les arrêtés, car un même arrêté peut concerner plusieurs immeubles, certains ne préconisent pas d’évacuation).

    A cette date, 399 immeubles avaient été évacués tout ou partie (immeuble entier en général, quelques appartements dans certains cas). La moitié environ d’entre eux font aujourd’hui l’objet d’une “mainlevée” de l’arrêté de péril.
    Ces arrêtés de péril concernent majoritairement des habitants très modestes, violemment déstabilisés par ces délogements. Après une gestion improvisée au début, parfois brutale et souvent conflictuelle, la mise en place de dispositifs professionnalisés a permis de mieux prendre la mesure de cette crise inédite. D’abord la mise en place de deux MOUS[1] , l’une pour le relogement temporaire des ménages évacués (10 décembre), l’autre pour leur accueil et leurs suivi social ( février). Les associations ont mené à bien la longue négociation d’une la charte du relogement (janvier-juin, validée en conseil municipal le 17 juin, signée le 8 juillet) entre Mairie, Etat, collectifs et associations, avec la création d’un comité de suivi partenarial. Elle garantit, entre autres, un “droit au retour au centre” des habitants évacués.
    Malgré la mise en place de ce comité de suivi réunissant régulièrement Ville, Etat, opérateurs privés (France Horizon, Soliha) et associations, les pouvoirs publics n’ont longtemps pas communiqué d’informations précises et localisées sur le devenir des ménages évacués. Une polémique sur les risques d’éviction de ces ménages les plus modestes hors du centre-ville s’est nourrie de ce climat d’urgence et d’opacité dans le contexte des forts enjeux de renouvellement urbain pour les vieux quartiers de Marseille proches du Vieux Port.

    2. Arrêtés de périls, évacuations : banalisation des procédures d’urgence
    Au fil des mois, et tandis que se mettent en place des plans de rénovation du centre-ville, les arrêtés de périls imminents et les évacuations se poursuivent. Chercheurs et étudiants d’Aix Marseille Université (LPED) ont continué la veille En février 2020, ce sont 497 adresses qui sont touchées par des arrêtés d’évacuation et/ou de péril imminent. On ne constate pas de changement majeur dans la localisation des zones concernées : hypercentre ville ancien, toujours. Dans le détail, on constate que certains nouveaux espaces sont concernés principalement à partir de l’été 2019, correspondant à des zones de chantiers de rénovation, comme si l’arrêté de péril imminent et l’évacuation en urgence des habitants devenait un outil pour sécuriser les aménagements en cours.

    3. une cartographie des évacuations d’urgence et des relogements : un travail collaboratif entre géographes universitaires, la Commission des délogés du Collectif 5 novembre, les associations Marseille en Colère, Un Centre Ville pour tous, en lien avec la Fondation Abbé Pierre
    L’initiative d’une cartographie des arrêtés de péril avait été lancée dès le mois de janvier 2019, en collaboration avec le journal Marsactu qui a créé une animation accessible en ligne [https://marsactu.fr/cest-mon-data-chronologie-dune-vague-de-perils/]. Puis, face à la carence et l’imprécision des données publiques sur les trajectoires des ménages évacués, nous avons élaboré un outil de suivi indépendant, en collaboration avec l’Association Un Centre Ville Pour Tous, la Fondation Abbé Pierre et avec un développeur informatique bénévole (Datas-Collect). [présentation de l’initiative ici, par le journal Marsactu]
    Ce travail, réalisé selon les règles de l’art scientifique (questionnaire, géoréférencement, saisie, vérifications, validation) a démarré avec des étudiants en février 2019. Il s’est appuyé sur la veille réalisée depuis novembre 2018 par les permanences de la Commission des délogés du Collectif 5 novembre et de l’Association Marseille en Colère. Depuis le 5 novembre 2018, les deux cellules de crise bénévoles de ces associations soutiennent et accompagnent sans relâche dans leurs démarches environ 500 ménages évacués[2].
    Après avoir conçu et construit l’outil en collaboration avec les associations (décembre-février), défini le cadre déontologique de la démarche (mars), il a été possible, avec l’appui d’étudiants volontaires, de cartographier et de documenter les trajectoires d’une partie de ces ménages.
    La démarche, basée sur de nombreuses rencontres avec les associations et des habitants évacués, a été volontairement tenue discrète, les participants s’y étant engagés afin d’éviter toute instrumentalisation des observations qui concernent 368 ménages sur les 500 environ référencés par les collectifs et associations (ceux pour lesquels les associations disposent d’une information suffisante).

    368 ménages évacués
    Hébergement temporaire 1 : 302
    Hébergement temporaire 2 : 100
    Hébergement temporaire 3 : 27
    Hébergement temporaire 4 : 11
    Relogement proposé 1 : 43
    Relogement proposé 2 : 9
    Relogement proposé 3 à plus : 6
    Relogement longue durée ou réintégration : 93

    En septembre 2019 les 368 ménages dont les trajectoires sont directement suivies par les collectifs et associations représentaient 955 personnes déplacées, 554 adultes, 309 mineurs de 4 à 18 ans, 72 enfants moins de 4 ans (dont 11 naissances pendant l’hébergement en hôtel). Le suivi des associations s’est concentré, au début, sur la gestion du quotidien. Les évacuations, surtout les premières semaines, ont été brutales, dans une ambiance de stress lié à une vague de signalements d’immeubles à risque à Marseille.
    Jusqu’en novembre 2019, et malgré une amélioration suivant la signature de la charte du relogement, certaines évacuations ont continué à être diligentées hors cadre légal, sans arrêté officiel (l’arrêté venant plusieurs jours après l’évacuation). Des habitants ont été évacués par les marins pompiers et la police en quelques dizaines de minutes, disposant ensuite d’une brève visite sous escorte pour récupérer quelques objets de première nécessité. les personnes ont alors été orientées vers des hôtels, une “cantine” d’urgence étant mise en place par la Ville sur la Canebière (Maison des associations). Sous la pression des associations, nombre de familles ont ensuite été placés dans des appart’hotels permettant la préparation de repas et un semblant de vie familiale.
    Au stade actuel de la saisie (mi sept. 2019), la carte montre 368 domiciles de ménages évacués depuis le 5 novembre (avec ou sans arrêtés de péril), leurs 441 hébergements temporaires successifs (hôtels, appart’hôtels), les appartements qui leur ont été proposés en convention d’occupation provisoire. Dans 93 cas, la trajectoire du ménage va jusqu’à la réintégration du domicile initial ou le relogement de longue durée, que ce soit via la médiation de SOLIHA ou par les propres moyens des ménages.
    Depuis l’été, de nouvelles évacuations d’immeubles en péril, parfois déclenchées par le voisinage, parfois associées à des travaux, à des projets de réaménagements du centre ville (périmètre de l’Opération d’Intérêt national EUROMED notamment) accroissent la pression.

    les hébergements d’urgence (hôtels et appart’hôtels)

    Pour les locataires évacués dans le cadre d’un Arrêté de péril (ce qui est la voie légale ), l’hébergement incombe légalement au propriétaire bailleur, le temps de réaliser les travaux prescrits. Nombre de propriétaires ont assumé correctement ce devoir. Mais les défaillances sont nombreuses, et sous la pression des associations, la Ville a assuré le relais – à charge pour les propriétaires de rembourser. Certains “marchands de sommeil” ont fait réaliser des travaux bâclés, insuffisants pour permettre une réintégration, ou réduits au strict minimum relatif à la sécurité, sans traiter l’insalubrité des immeubles (ou même en l’aggravant). Soucieux de rentabiliser la situation, certains propriétaires ont tenté de reloger leurs locataires dans d’autres logements tout aussi indignes. L’un a tenté de profité du relogement provisoire de ses locataires évacués pour détruire leurs affaires personnelles et relouer les appartements. Plusieurs immeubles évacués, mal sécurisés, ont été squattés, cambriolés en l’absence des habitants, et certains évacués ont tout perdu. Habitants et associations, soutenus par la fondation Abbé Pierre, ont lancé des procédures judiciaires. Très longues, certaines commencent tout juste à aboutir.
    Pendant des mois, le provisoire s’est prolongé pour les ménages les plus fragiles suivis par le Collectif du 5 novembre et Marseille en Colère.

    Le lancement d’une MOUS “relogement”[1] confiée à SOLIHA les 10 décembre a ouvert des perspective de captation de logements à titre temporaire auprès de bailleurs sociaux et privés afin que ces ménages retrouvent un équilibre, pendant les travaux de mise en sécurité de leurs immeubles demandés aux propriétaires. Nombre de séjours forcés en hôtels ont duré de plusieurs semaines à plusieurs mois, dans l’attente de ces travaux. A l’été, nombre de ménages n’avaient toujours pas pu regagner leur domicile initial , ni récupérer meubles et vêtements, ni être relogés. Beaucoup demeurent encore, 1 an après, dans l’incertitude, en situation d’attente de relogement pérenne. Selon la « MOUS Relogement », 142 ménages et 336 personnes étaient encore “hébergés à l’hôtel” au 18 octobre 2019.

    Mais où se trouvent-ils, dans quels hôtels ? Et où se situaient les offres de relogements temporaires de longue durée ou définitifs proposés au ménages évacués au cours de ces 10 mois ? Faute d’information, les bénévoles des associations ont réalisé un travail de suivi quotidien dans les hôtels. C’est ainsi qu’a été réalisée cette cartographie, avec la collaboration des familles concernées : elle montre qu’à part quelques hôtels très excentrés, surtout lors des premières semaines (La Valentine, l’Estaque), la plupart des hébergements provisoires ont été ensuite rapprochés du centre-ville. Mais pour des raisons logistiques, beaucoup des ménages non relogés ont du changer plusieurs fois d’hôtels, certains plus de 5 fois en quelques mois, cette instabilité accentuant le traumatisme initial.
    L’une des priorités des associations a été d’accompagner ceux qu’elles appellent les “délogés” dans cette période traumatisante, palliant ainsi les fortes carences publiques. Réconfort moral et écoute, collectes de vêtements d’hiver (en décembre), puis d’été (en mai juin), de jeux pour enfants, organisation des fêtes de fin d’année, aide aux démarches administratives, prise de contact avec des avocats, cellule psychologique assurée par des professionnels bénévoles etc.
    Collectifs et associations ont exercé leur influence pour obtenir des hébergement plus conforme à une vie familiale, le regroupement des familles, le rapprochement des hébergements du logement d’origine.

    des réintégrations sous tension

    Un an après, 181 immeubles objet d’un AP sont officiellement considérés comme “réintégrables” (novembre 2019) après travaux prioritaires de mise en sécurité et main levée partielle d’arrêté de péril. Mais certains d’entre eux sont toujours lézardés de fissures inquiétantes et demeurent, par ailleurs, insalubres, conduisant des habitants à craindre de s’y réinstaller. Ils se souviennent qu’au 65 rue d’Aubagne, en 2018, les habitants avaient été autorisés à réintégrer leur immeuble après une telle mainlevée d’arrêté de péril, avant que celui-ci ne s’effondre sur eux.

    Après la mainlevée d’arrêté de péril, la réintégration du domicile de départ est parfois refusée et souvent contestée : travaux incomplets, appartements non remis en état d’occupation après travaux de sécurisation, persistance de fragilités dans l’immeuble, insalubrité qui était parfois associée au péril, et n’a pas été résorbée, voire s’est aggravée suite à des mois de non occupation.
    Tout comme les permanences bénévoles d’accueil et d’aide aux évacués[3], ou l’accompagnement juridique et social des ménages, cette veille cartographique associant universitaires et bénévoles a fonctionné pendant l’été 2019 : informaticien, géographes, membres de la Commission des délogés du Collectif 5N, de Marseille en Colère, Un Centre Ville pour Tous avec l’appui de la Fondation Abbé Pierre.
    4.Bilan du suivi officiel des relogements temporaires en septembre 2019 : 1186 ménages évacués

    La description de ce dispositif collaboratif lors d’un entretien collectif auprès du journal MARSACTU le 5 juillet 2019 a suscité des échanges lors des comité de suivi de la charte du relogement de l’été 2019. Nous avions proposé aux pouvoirs publics et à SOLIHA (opérateur de la MOUS qui gère la recherche de relogements et l’accompagnement des familles) de s’associer à cette démarche. La préfecture a accepté le principe d’une collaboration en juillet 2019, des données nous ont été remises fin septembre 2019.Les pouvoirs publics (préfecture, Ville) ont alors commencé à donner plus de transparence aux chiffres de la MOUS relogement.

    Le 18 septembre 2019, avec l’accord de la préfecture et de la ville, SOLIHA a remis à l’Université des données chiffrées détaillées, anonymisées mais géolocalisables (adresses évacuées, adresses des relogements proposés et acceptés par les familles) concernant la MOUS relogement. Elles permettent de dresser un bilan de près d’une année de suivi des ménages évacués éligibles au relogement (locataires titulaires d’un bail). Plusieurs réunions et des échanges ont eu lieu pour valider, cartographier et diffuser ensemble des données de cette gestion de crise. Les cartes et graphiques qui en résultent ont été présentés en comité de pilotage de la MOUS relogement le 21 novembre 2019. [4]

    Il est donc possible de rendre compte de cette année de gestion de crise en combinant données officielles, éclairages du terrain et explications, ce qui peut favoriser le suivi de la “charte du relogement” et la concertation entre toutes les parties prenantes : habitants, organisations sociales, Collectivité, Etat.

    capter et sélectionner les logements

    La mission de la MOUS qui est de reloger temporairement les ménages évacués (locataires titulaires d’un bail) se base sur un repérage et une captation de logements sociaux et privés. Au début de sa mission le 10 décembre 2018, SOLIHA ne dispose que d’une centaine de logements pour plusieurs centaines de ménages évacués. En une année, plus d’un millier de logements ont fini par lui être proposés par bailleurs sociaux et privés, mais la moitié ont du être refusés en raison de leur éloignement du centre, ou de leur mauvais état. Seuls 550 baux environ ont été signés entre SOLIHA et les bailleurs, permettant ensuite d’y loger les ménages sous forme de “convention d’occupation temporaire”.

    les contraintes de l’offre de logements sociaux

    La mission de relogement des ménages évacués butte particulièrement sur le manque de logements sociaux au centre-ville ancien où prédomine d’un habitat privé, de rente locative, très dégradé. Dans l’ensemble, malgré une légère progression récente la ville de Marseille est légèrement déficitaire en logement SRU (21,01%), mais le déficit est plus fort si l’on exclut du calcul les logements étudiants et les logements de loyers “intermédiaires” qui, de fait, ne sont pas accessibles aux plus modestes… et de manière criante dans certains arrondissements : les logements sociaux familiaux, surtout les “très sociaux” sont peu nombreux au centre (1er, 2eme,4eme, 5eme) concentrés au Nord (15eme) et au centre nord de la ville(3eme), absents des arrondissements du sud (6eme, 7eme, 8eme) et du 12eme. La production de logements sociaux de ces dernières années a produit quelques milliers de logements “très sociaux”, mais presque tous dans les quartiers nord. Quelques milliers de logements “intermédiaires” créés autour des périmètres de projets (Euromed, ZAC ou zones de rénovation) sont inaccessibles aux plus modestes.

    Les contrastes, carences et besoins en logement social doivent aussi êtres lus à l’échelle de la métropole AMP (Aix Marseille métropole), dont les inégalités et le déficit de solidarité territoriale ont été pointées par un récent rapport de l’OCDE. La Métropole elle même s’est constituée tardivement et sous la pression de l’Etat, une partie des communes très favorisées du pays d’Aix refusant de s’associer à Marseille. En pleine crise du logement indigne et des évacuations, le programme local de l’habitat (PLH) métropolitain à l’échelle des 92 communes réunies, difficilement élaboré (et pourtant jugé trop timide par nombre d’associations) a été repoussé par une majorité des élus de la métropole, alors que plusieurs de ces communes comptent parmi les plus fortement carencées de France en logement social.

    4. Les enjeux
    En pleine période pré-électorale (élections municipales, mars 2020) et au moment ou des documents d’urbanisme importants pour la politique de logement abordable (PLUI et PLH) sont débattus, cette crise éclaire aussi brutalement les effets d’un système séculaire d’arrangements et d’informalité qui, certes, a permis à des ménages populaires de demeurer en centre ville… mais parfois dans des conditions indignes, et pour le plus grand profit de certains propriétaires privés indélicats ne mettant pas leur patrimoine aux normes d’habitabilité.

    La fabrique urbaine de Marseille est, historiquement, dominée par des logiques privées et par des arrangements les plus divers entre public et privé, pour le meilleur (tolérance, convivialité) et pour le pire (clientélisme). Nous l’avons déjà étudié en analysant la genèse historique des fermetures résidentielles à Marseille. Cette forme de “compromis de coexistence” est constitutif tant des formes d’urbanités marseillaises que de son histoire politique. La planification et les régulations ont été réduites au minimum, conduisant, à plusieurs reprises dans l’histoire, à des interventions directes de l’Etat face à des urgences.

    Dans les années 60, la stratégie de construction des logements sociaux, majoritairement dans les quartiers nord était sous-tendue par des logiques clientélistes, a accentué un dualisme urbain de part et d’autre du centre paupérisé, lui-même abandonné au marché locatif puis spéculatif. Les quartiers centraux de Marseille ont ainsi joué, depuis longtemps, une fonction de transit et de logement des habitants plus pauvres dans un habitat de plus en plus dégradé, après le “glissement” des classes aisées et moyennes vers le sud et les périphéries. Ce centre, demeuré populaire jusqu’à cette dernière décennie, demeure très déficitaire en habitat social, surtout familial, malgré des projets successifs de résorption de l’habitat dégradé. Diverses initiatives de préemptions d’immeubles par la Ville ont été freinées par d’interminables procédures judiciaires. Bien des immeubles rachetés, pour créer du logement social n’ont pas été rénovés, sont restés des hôtels meublés, ont été maintenus vacants et/ou se sont dégradés, faute de moyens publics. Ainsi l’un d’entre eux, spécialement étudié, est loué 700 euros par mois par la Ville a un hôtelier. En échange de cette contrepartie, l’hôtel génère plus de 50000 euros de chiffre d’affaires déclaré et 12000 euros environ de bénéfices déclarés annuels.

    Les investissements de la Ville se sont orientés ailleurs : comme beaucoup de villes portuaires en crise post-industrielle, Marseille mise sur le tertiaire… En tant que ville subalterne, incapable d’attirer de véritables investissements productifs, il s’agit surtout d’économie résidentielle et de rente immobilière et touristique. Les options néolibérales sont assumées : rentabiliser le foncier, qui est supposé financer la fabrique urbaine, activer le potentiel des quartiers déjà attractifs (littoraux) et de quelques spots patrimoniaux, encourager le secteur immobilier locatif touristique et les centres commerciaux, au moyen de quelques partenariats publics-privés phares. Cela suppose mécaniquement un glissement des populations insolvables hors des espaces rentables, notamment ceux proches du Vieux Port. Divers projets comme celui de la rue de la République, artère haussmanienne reliant le Vieux Port et le port de croisières de la Joliette (2004-2007) ont déjà conduit, il y a 10 ans, à l’éviction d’une partie des locataires modestes d’immeubles privés anciens, délogés lors d’une vaste opération spéculative. Cet épisode avait déjà mobilisé des collectifs d’habitants et associations autour d’”Un Centre ville pour tous“, mobilisations déjà accompagnées par diverses études scientifiques.
    Ce défi d’un renouvellement concerté pour les quartiers centraux populaires et délabrés de Marseille, proche du Vieux port est à nouveau placé au centre des revendications de collectifs militants dans le cadre de cette crise des évacuations (associations historiques, comme Un centre Ville Pour Tous, collectifs récents directement liés aux effondrements, comme le Collectif du 5 novembre, ou Marseille en Colère, ou encore les tous nouveaux Conseils citoyens crés dans le cadre de la Politique de la Ville). Des mouvements informels comme “Marseille Vivant et Populaire” témoignent aussi d’une revendication de la diversité cosmopolite du vieux Marseille, au moment même où celui-ci commence à se transformer socialement (Belsunce, Noailles, le Panier, la Joliette). S’opposant à ce qui est qualifié de “stratégie de gentrification”, associations et collectifs contestant aussi, par diverses méthodes d’agit’propre, parfois humoristiques, des opérations urbaines de prestige menées dans ces périmètres d’où sont évacués les ménages les plus précaires.
    Cette année de crise a également eu pour effet de renforcer une presse locale très dynamique et souvent mobilisée (La Provence, Marsactu, la Marseillaise, le Ravi, avec la collaboration de Médiapart…), collaborant tant avec le monde associatif qu’universitaire, et qui a su se placer à la pointe d’investigations menées en réseau : analyses historiques, événements, monographies d’immeubles, de quartiers, chroniques des “marchands de sommeil” , critique du déficit historique des régulations et contrôles, tant de la part de la municipalité que de certains services d’Etat, comme l’ARS. [voir l’enquête de presse commune “la grande vacance”].

    https://urbanicites.hypotheses.org/2872
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