Archipel d’attente - CQFD, mensuel de critique et d’expérimentation sociales

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  • Grèce anatomie
    Archipel d’attente
    par Léna Coulon, illustré par Juliette Barbanègre
    paru dans CQFD n°153 (avril 2017)
    http://cqfd-journal.org/Archipel-d-attente

    Au large des côtes turques, un drapeau grec détrempé surplombe l’amas de blocs en préfabriqués et de tentes battues par la pluie enserrés dans le hotspot de Samos, l’un de ces centres de tri de migrants à ciel ouvert construits à la hâte sur les îles égéennes. Il est, avec ceux de Lesbos et de Chios, le symbole implacable des politiques migratoires de l’Union européenne (UE), soucieuse de contenir, ficher et enfermer celles et ceux ayant eu l’audace de franchir la mer meurtrière pour rejoindre ses terres défendues. Toutes et tous y sont convoyés dès leur réception, après une traversée incertaine et glaçante sur une embarcation constamment prête à chavirer : « Dans le bateau, il faut garder la même position, sans bouger, pendant des heures, se souvient Jonathan, exilé burundais maintenu sur l’île pendant plus de dix mois. Au moindre mouvement, on sent le bateau sur le point de se renverser. Pour nous, ça allait encore – ça n’a pris que cinq heures. Mais pour d’autres, ça a duré toute la nuit... » L’accueil qui leur est fait à l’arrivée annonce la manière dont ils seront traités pour les semaines, voire les mois, à venir : femmes, hommes, enfants et bébés sont immédiatement enfermés dans l’« espace d’identification », zone de confinement à l’intérieur du camp. Ils doivent y prendre leur mal en patience, souvent plus de 10 heures, le temps que policiers, agents du gouvernement grec et de l’UE procèdent à un interrogatoire et à un fichage en règle. « Les flics les bousculent, les poussent comme des chiens, voire les frappent s’ils insistent trop pour recevoir à manger ou à boire, raconte Ion, bénévole depuis près de cinq mois à Samos. Il faut toujours négocier pour pouvoir leur fournir quelques vêtements secs et de l’eau. »