• Coupures d’eau pour impayés : Veolia pousse le bouchon - Libération
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    Le groupe de gestion de l’eau a été condamné pour avoir coupé l’eau ou réduit le débit à deux particuliers, dont l’un handicapé, en retard de paiement. Une pratique pourtant contestée, à laquelle le groupe assure ne plus se livrer.
    Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Veolia, le numéro 1 français de l’assainissement et de la distribution de l’eau, est de nouveau aux prises avec la justice. Cette fois, ce sont les tribunaux de grande instance de Nanterre et Toulon qui l’ont condamné à payer deux amendes de 19 000 et 3 000 euros pour avoir coupé l’eau dans deux logements. Les associations France Libertés et Coordination eau Ile-de-France, qui se sont constituées parties civiles lors des procès, ont alerté les pouvoirs publics et les élus « afin que Veolia cesse de violer la loi ».

    Le premier client, âgé de 41 ans et lourdement handicapé, devait au distributeur la somme de 200 euros. En situation de précarité, il n’a pas pu régulariser cette dette et a été contraint de vivre sans eau pendant deux ans… Une pratique qu’Emmanuel Poilane, le directeur de France Libertés, juge « inadmissible », d’autant que « la victime avait demandé à Veolia la possibilité de payer sa facture en cinq mensualités, ce qui lui avait été refusé ». Sollicité par l’AFP, Veolia évoque une erreur « regrettable » mais « possible » pour un groupe qui « gère 7,4 millions d’abonnés en France » et assure avoir « passé des consignes internes claires » pour ne plus pratiquer de coupures dans les résidences principales.
    Témoignages

    Dans le second cas, les faits se sont déroulés en février, alors même que Veolia assurait quelques semaines plus tôt, lors d’un forum intitulé « Quand l’eau révèle le monde », « ne plus pratiquer de coupures », rappelle le directeur de France Libertés. La personne concernée, dont les factures impayées ont été régularisées par la suite, avait vu le débit de son approvisionnement en eau fortement diminué pendant quinze jours.

    Or la loi Brottes (du nom de François Brottes, ex-député PS de l’Isère), entrée en vigueur en 2013, stipule que toutes les coupures d’eau pour motif d’impayés dans les résidences principales, réduction de débit comprises, sont considérées comme illégales. En 2015, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) déposée par l’autre géant de l’eau, la Saur, après avoir elle-même été attaquée en justice, avait déjà confirmé la validité de l’interdiction des coupures d’eau dans les résidences principales. Par la suite, la société Veolia a elle aussi déposé une QPC, l’interdiction de toute réduction du débit portant selon elle « une atteinte excessive à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre ». Mais cette QPC avait été rejetée en appel.

    La justice a interdit les coupures, pourtant cette pratique persiste. D’après un rapport de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau, les multinationales ont pratiqué 100 000 coupures en 2014 dans le pays. Emmanuel Poilane recense quant à lui seize actions en justice de son association contre des gestionnaires d’eau ayant pratiqué des coupures. « Nous avons toujours obtenu un jugement en notre faveur, avec indemnisations de préjudice pour les victimes », souligne le responsable associatif.

    Et encore, ce n’est que la face émergée de l’iceberg. A côté des affaires coûteuses qu’elle porte devant les tribunaux, l’association continue de recevoir les témoignages de nombreux clients privés d’eau. Elle assure alors une médiation auprès des sociétés concernées et « l’eau revient dans les jours qui viennent », précise le directeur de France Libertés, pour qui « nul n’est censé ignorer la loi, pas même les entreprises multinationales ».
    « Business »

    Quel est l’intérêt pour ces sociétés de pratiquer des coupures illégales ? D’après Henri Smets, le directeur de l’Association pour le développement de l’économie et du droit de l’environnement (Adede), c’est avant tout un moyen de faire pression sur les clients qui payent avec du retard. « Ce qui fonctionne, car la plupart des gens connaissent mal leurs droits », en matière d’accès à l’eau.

    Emmanuel Poilane y voit, lui, une manière de perpétuer un « business de la coupure » très rentable : « Une amende de 3 000 euros, ça ne représente rien, par rapport aux frais de coupures imputés aux clients », explique le directeur de France Libertés, poursuivi depuis janvier par Veolia pour diffamation après avoir accusé le groupe de « pratiques illégales » dans la presse. L’association souhaite négocier avec la société des échelonnements de paiement pour les personnes en difficulté qui ont des factures en retard. Mais à ce jour, « Veolia n’a jamais accepté de discuter avec nous », déplore le directeur de France Libertés, dont le procès aura lieu en 2018.