« On peut assurément trouver toutes sortes de raisons économiques et sociologiques au _retour du…

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  • Jacques #Rancière : « Le peuple est une construction »
    http://www.revue-ballast.fr/jacques-ranciere-peuple-construction

    S’il y a de la #politique, ce n’est pas simplement parce qu’il y a des peuples, des souverains et des lois, mais parce qu’il y a une structuration spécifique de l’être-en-commun. La politique n’existe pas tout le temps, mais lorsqu’est préservé un excès propre à la politique — c’est-à-dire lorsque le peuple politique est toujours plus que la population comme recensement, plus que l’ensemble des groupes sociaux, plus que le peuple électoral que gère le gouvernement, plus que le peuple que sondent les instituts. Il y a politique pour autant qu’il y a manifestation de ce surplus : quand, par exemple, un peuple dans la rue qui s’oppose au peuple géré par le gouvernement, le parlement et les grandes institutions ; quand des gens se réunissent sur la Puerta del Sol, à Madrid, pour dire aux autres qu’ils ne les représentent pas ; quand un peuple, qui est en plus du peuple incorporé à l’État (comme sujet d’administration), se trouve en tension par rapport à ce dernier.

    • La question n’est pas celle des comportements individuels, mais des formes de construction symbolique collective. Il s’est créé, depuis les années 1990, une forme de racisme d’en haut, mené par des actions d’État et des campagnes idéologiques provenant de la classe intellectuelle (supposée être de gauche). Je songe en particulier au dévoiement de l’idéologie laïque. À travers cette intense agitation — des lois Pasqua à celles sur le voile et la burqa —, on a assisté à la constitution d’un conflit de civilisations. Cela n’est pas venu des profondeurs populaires mais de l’État et des intellectuels. On n’a pas vu récemment de grands mouvements populaires de chasse aux immigrés. Il y a des actions isolées, mais pas plus qu’à d’autres époques de l’Histoire récente. Ce qui est nouveau, ce n’est pas qu’il y aurait des milices d’extrême droite formées pour aller casser du Noir ou du Maghrébin, c’est la constitution officielle de l’image d’une population qui serait inintégrable. L’on ne cesse de répéter que si le pouvoir mène de telles campagnes, c’est pour enrayer le racisme fondamental, pour éviter que le peuple des profondeurs et des pulsions redoutables ne fasse irruption. Mais ce peuple des profondeurs est un argument manipulé par ceux qui construisent ce nouveau racisme !

    • On peut assurément [...] trouver toutes sortes de raisons économiques et sociologiques [à l’intrusion brutale des nouvelles formes du racisme et de la xénophobie] : le chômage qui fait accuser l’étranger de prendre la place de l’autochtone, l’urbanisation sauvage, la déréliction des banlieues et des villes-dortoirs. Mais toutes ces causes « socio-économiques » qu’on attribue à un phénomène politique désignent en fait des entités inscrites dans la question politique du partage du sensible.

      L’usine et sa disparition, le travail comme emploi et le travail comme structure de l’être-en-commun, le chômage comme manque de travail et le chômage comme « trouble d’identité », la distribution et la redistribution des travailleurs dans des espaces définis par leur distance avec le lieu du travail et ceux de la visibilité du commun, tout cela concerne le rapport de la configuration policière du sensible et des possibilités d’y constituer la visibilité d’objets litigieux et de sujets du litige. Le caractère de la combinaison de tous ces éléments appartient à un mode de visibilité qui neutralise ou accuse l’altérité de l’étranger. C’est de ce point de vue qu’on peut discuter la simple inférence du trop grand nombre des immigrés à leur indésirabilité. Manifestement, le seuil d’indésirabilité n’est pas affaire de statistique.

      Il y a vingt ans, nous n’avions pas beaucoup moins d’immigrés. Mais ils portaient un autre nom : ils s’appelaient travailleurs immigrés ou, tout simplement, ouvriers. L’immigré d’aujourd’hui, c’est d’abord un ouvrier qui a perdu son second nom, qui a perdu la forme politique de son identité et de son altérité, la forme d’une subjectivation politique du compte des incomptés. Il ne lui reste alors qu’une identité sociologique, laquelle bascule alors dans la nudité anthropologique d’une race et d’une peau différentes. Ce qu’il a perdu, c’est son identité avec un mode de subjectivation du peuple, l’ouvrier ou le prolétaire, objet d’un tort déclaré et sujet mettant en forme son litige. C’est la perte de l’un-en-plus de la subjectivation qui détermine la constitution d’un un-en-trop comme maladie de la communauté.

      On a célébré bruyamment la fin des « mythes » du conflit des classes et l’on en est même venu à identifier la disparition d’usines rayées du paysage urbain avec la liquidation des mythes et des utopies. Peut-être commence-t-on maintenant à percevoir la naïveté de cet « anti-utopisme ». Ce qu’on appelle fin des « mythes », c’est la fin des formes de visibilité de l’espace collectif, la fin de la visibilité de l’écart entre le politique et le sociologique, entre une subjectivation et une identité. La fin des « mythes » du peuple, l’invisibilité ouvrière, c’est le non-lieu des modes de subjectivation qui permettaient de s’inclure comme exclu, de se compter comme incompté.

      L’effacement de ces modes politiques d’apparence et de subjectivation du litige a pour conséquence la réapparition brutale dans le réel d’une altérité qui ne se symbolise plus. L’ancien ouvrier se scinde alors en deux : d’un côté, l’immigré ; de l’autre, ce nouveau raciste auquel les sociologues donnent significativement un autre nom de couleur, l’appelant « petit Blanc », du nom naguère attribué aux colons modestes de l’Algérie française.

      La division qui a été exclue de la visibilité comme archaïque reparaît sous la forme plus archaïque encore de l’altérité nue. La bonne volonté consensuelle propose en vain ses tables rondes pour discuter du problème des immigrés. Ici comme ailleurs, le remède et le mal font cercle. L’objectivation post-démocratique du « problème » immigré va de pair avec la fixation d’une altérité radicale, d’un objet de haine absolue, pré-politique. C’est du même mouvement que la figure de l’autre s’exaspère dans le pur rejet raciste et s’évanouit dans la problématisation de l’immigration.

      La Mésentente (1995) https://seenthis.net/messages/200050

  • Quimper : Le boulanger qui donne ses invendus tous les soirs « LE JOURNAL DU SIÈCLE
    http://lejournaldusiecle.com/2013/11/22/quimper-le-boulanger-qui-donne-ses-invendus-tous-les-soirs

    Étudiants, sans abris… Tous les soirs, ils sont nombreux à attendre devant la boulangerie de José Louiset les invendus qu’il donne à la fermeture de sa boutique.

    José Louiset, boulanger depuis plus de 15 ans dans le centre Quimper, a pensé à donner ses invendus voilà un an et demi, quand il a vu revenir à plusieurs reprises un homme qui fouillait ses poubelles à la fermeture de sa boutique. En ces temps de crise et alors que plus de 8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, José Louiset ne veut plus voir ça.

    « Jeter des aliments frais, encore bons, ça ne ressemble à rien quand on sait que certains crèvent la dalle… » dit-il.

    Le boulanger a alors décidé de ne plus jeter ses invendus. Désormais, vers 19 h 30, il dépose sur le muret en face de la boulangerie des pains, des sandwiches et des viennoiseries, emballés dans des sacs blancs. « Tout ce qui n’a pas été vendu dans la journée », explique José Louiset, propriétaire des boulangeries "Au bon vieux temps" et du "Fournil du Chapeau rouge".

    #José-Louiset
    #breton
    #Quimper
    #générosité
    #crise
    #société
    #précarité
    #alimentation

    • Peut-être que la boulangerie à Jourdain fait toujours ça, ses pains étaient variés et vraiment délicieux et ça faisait le délice des squatts autour. Je sais par contre qu’ils ne voulaient pas l’ébruiter…

    • Je suppose qu’il y a toujours des circuits de récup qui marchent, comme celui des fins de marchés, ou des puces avant que les services de nettoyage passent. Mais plus encore que les hautes poubelles qui empêchent de reprendre facilement la bouffe non commercialisable (mais mangeable) comme chez certains bio, les coups de cutter dans la viande avec la javel versée dessus, la morale sociale réprouve et interdit de le faire, malgré la nécessité de recyclage des denrées qui se perdent. C’est toute une éducation que nous recevons pour avoir surtout honte de ne pas se plier aux circuits d’argent, de ne pas se comporter comme tout le monde, de ne pas se plier aux normes de décence et d’hygiène collective édictées. Autonomie oui, mais seulement avec agrément (chanter dans le métro) ou subventions d’état (les recycleries).
      Parlerons nous de la liberté qu’il y a à chanter dans la rue et à y faire la manche, à y gagner à peine un smic, à choisir son temps, à recycler ce que personne ne veut acheter. Cet espace mental différent se restreint alors que la misère augmente, et passer une semaine à la rue est une souffrance horrible, mais pourquoi ?
      Attention je ne dis pas que ce soit facile ou normal mais ça l’est encore moins à cause du regard de misérabilisme que nous adoptons systématiquement et dans lequel nous enfermons ceux qui vivent autrement pour moult raisons. Enfant, je me souviens de clodos admirables que tout le monde respectait, adulte certains sont morts dehors, devant chez nous, parce que le voisin (qui travaillait dans une association de charité) avait eu peur de les laisser rentrer dormir dans notre immeuble un jour de grand froid.
      #hypocrisie #générosité #coup_de_gueule