Quel a été ton sentiment après l’élection de Macron ? Une victoire de l’oligarchie ?
Oui, c’est clairement une victoire et un vote de classe – et je ne suis pas marxiste – disons plutôt un vote d’intérêt. Sauf qu’on est dans une société où le rapport au politique s’est distendu, et on se retrouve avec des classes dominantes, symboliquement, culturellement et financièrement, qui façonnent l’opinion de façon très aisée, trouvent des relais dans les classes moyennes, et imposent leur choix à l’ensemble de la société. Il y a clairement des oligarques au sens poutinien en France, qui, pour maintenir leur fortune ou l’accroître, une fortune qui dépend en partie de l’État et du lien au politique, achètent des relais d’influence qui vont façonner le reste de la société. Ils se protègent de la nuisance plus qu’ils ne produisent du contenu mais surtout, ils s’introduisent au cœur du pouvoir politico-administratif français, en plaçant habilement leur argent, comme Niel avec Le Monde.
C’est par exemple Xavier Niel et Matthieu Pigasse qui vont faire recruter des journalistes par le biais d’hommes de main comme Louis Dreyfus, les nommer à des postes de direction, afin de former à moyen terme un type de production d’information. Ils recrutent et favorisent des types de journalistes qui, parce qu’ils sont médiocres et fragiles, sont serviles (et pas l’inverse). Et c’est aussi ce qu’a fait Patrick Drahi à Libération par exemple, en faisant partir les meilleurs plumes avec une grosse prime de départ. Il a gardé une rédaction au « formol ».
Sur la partie Habeas Corpus : il y a une vraie dérive mais qui selon moi a une origine systémique et s’inscrit dans un plus grand ensemble. Cette dérive est liée aux modalités d’accès au pouvoir de Macron, pouvoir qui est illégitime, sans source. Il n’y a aucune dimension sacrificielle dans l’accession de Macron au pouvoir, aucune mise en danger de son corps, ni même de création d’un corps symbolique (c’est d’ailleurs pourquoi lorsqu’il remonte les Champs-Elysées sur son char, cela sonne faux). Il n’a rien sacrifié dans sa vie pour en arriver là, il n’a pas créé un engouement exceptionnel comme on a voulu le faire croire et qui en aurait fait un « phénomène social », il n’a pas passé sa vie à s’engager en politique dans un parti, l’armée, ou même à servir l’Etat, il a au contraire toujours démontré n’avoir à l’esprit que son propre intérêt...
Il y a dès lors dans son accès au pouvoir quelque chose qui est de l’ordre du non-sourcé, comme lorsqu’il était devenu ministre de l’Economie. Propulsé comme une figure à la mode par des intérêts qui cherchaient à l’instrumentaliser, il n’a créé qu’un engouement de marque. C’est ce qui explique l’absence complète de prise de risques lorsqu’il est au ministère de l’Economie ; il savait trop bien que la moindre tentative politique le ferait s’écrouler, faute de fondement à son pouvoir. Il s’est donc contenté de dîner avec des patrons, des hauts fonctionnaires, des politiques, des people et de consolider les bases de son pouvoir à venir sans ne jamais s’exposer.
C’est plus difficile de faire cela en étant président, surtout lorsqu’on ne s’appuie pas sur un véritable parti politique. Du coup, la nature du pouvoir de Macron ne peut qu’être autoritaire : elle est verticale car elle n’a pas de source et ne peut que se déployer dans un modèle d’imposition, d’écrasement de la différence et d’une forme d’altérité multiple. Il faut passer par la force car il n’y a pas de sources en propre, de soi à donner. Il a été élu, je ne fais pas de procès d’illégitimité. C’était une élection normale. Mais la façon dont son parcours s’est construit provoque une forme d’exercice du pouvoir qui passe par le rapport de force, l’imposition. Déjà en novembre 2016, j’écrivais des tweets où je disais qu’il était évident qu’on se dirigeait vers un pouvoir autoritaire, juste parce que la modalité de son élection et de son rapport au pouvoir amènerait à cet état de fait.