Front national : mêmes causes, mêmes effets...

/2012-05-02-Front-national-memes-causes-

  • Front national : mêmes causes, mêmes effets... - Les blogs du Diplo
    http://blog.mondediplo.net/2012-05-02-Front-national-memes-causes-memes-effets

    La montée du FN n’est pas autre chose que le cumul en longue période de ces échecs répétés de la représentation, le produit endogène des alternances sans alternative qui pousse, assez logiquement, les électeurs à aller chercher autre chose, et même quoi que ce soit, au risque que ce soit n’importe quoi.

  • Front national : mêmes causes, mêmes effets... - Les blogs du Diplo
    http://blog.mondediplo.net/2012-05-02-Front-national-memes-causes-memes-effets

    Billet de Frédéric Lordon.

    Portant à toutes les erreurs d’analyse ceux qui étaient trop disposés à prendre leur désir pour la réalité, l’« anomalie » du scrutin de 2007 demande donc bien plutôt à être reconsidérée comme une occurrence de plus d’une régularité politique de longue période — mais celle-là même qu’aucune des certifiées élites ne voudra admettre, ni seulement voir. Car sans discontinuer depuis 1995, le corps social, quoique se dispersant entre des offres politiques variées, n’a pas cessé de manifester son désaccord profond avec le néolibéralisme de la mondialisation et de l’Europe Maastricht-Lisbonne ; et avec la même constance, le duopole de gouvernement, solidement d’accord, par delà ses différences secondes, sur le maintien de ce parti fondamental, n’a pas cessé d’opposer une fin de non-recevoir à ce dissentiment populaire. La montée du FN n’est pas autre chose que le cumul en longue période de ces échecs répétés de la représentation, le produit endogène des alternances sans alternative qui pousse, assez logiquement, les électeurs à aller chercher autre chose, et même quoi que ce soit, au risque que ce soit n’importe quoi.

    • Le déplaisir, voilà précisément l’affect à laisser à sa place autant que possible quand il est tant soit peu question d’analyse politique. Et jamais peut-être la dégrisante maxime spinoziste n’aura été plus nécessaire, qui appelle à « ne pas rire, ne pas déplorer, non plus détester, mais comprendre ». Sinon la suspension complète du jugement, du moins sa trempe est en l’occurrence d’autant plus requise que, d’un racisme l’autre, la démission à comprendre le racisme tout court a le plus souvent pour terminus le racisme social : affreux, sales et méchants — on imagine sans peine les effets politiques qu’il est permis d’attendre d’un viatique intellectuel de pareille minceur, et l’on notera au passage la symétrie tropologique de ces deux cousins opposés, l’un comme l’autre démarrant du même pas : « à la fin, ça suffit, il faut bien appeler un chat un chat », soit : « les électeurs du FN sont des gros cons » exactement comme « les arabes sont trop nombreux ».

    • Alors très bien, prolongeons les tendances : un FN resplendissant, une droite désormais accrochée à ses basques, un Front de gauche sans doute sorti des limbes mais au début seulement de son parcours, un PS frappé de stupeur à l’idée qu’on puisse objecter quoi que ce soit de sérieux à l’Europe libérale et à la mondialisation, un chœur de précepteurs éditocratiques-experts obstiné à le conforter dans cette sage restriction (comme en témoigne incidemment le délire haineux dont a fait l’objet la campagne de Mélenchon, engagé à poser les questions qui ne doivent pas être posées)… On cherche la maxime qui, toutes choses égales par ailleurs, permettrait d’éclairer par anticipation la situation politique de 2017. Et facilement on trouve : mêmes causes, mêmes effets.

      #ça_remonte_le_moral

    • Intrat Lionel Jospin, élu non seulement par la disgrâce de Chirac (Alain Juppé) mais aussi pour avoir tenu le discours susceptible de rencontrer les attentes populaires, à savoir : arrêt des privatisations, notamment celle de France Télécom, et engagement solennel à ne valider le Traité d’Amsterdam qu’à satisfaction de trois conditions catégoriques (l’instauration d’un gouvernement économique pour contrebalancer le pouvoir de la BCE, une orientation de politique monétaire qui écarte les aberrations de « l’euro fort », et une réorientation des traités économiques dans le sens de la croissance). Comme on sait France Télécom finira privatisée — le bilan du gouvernement Jospin en cette matière surpassant même celui de son prédécesseur Balladur. Quant aux trois conditions sine qua non, il ne faudra pas quinze jours pour qu’elles soient abandonnées à quelques oblats rhétoriques qui n’engagent à rien, le « pacte de stabilité » devenant « pacte de stabilité et de croissance », avec les mirifiques effets que l’on sait.
      [...]
      On ne saurait que difficilement reprocher aux électeurs du FN d’être incapables de rapporter leurs misères sociales à l’article 63 (liberté de mouvements des capitaux) ou aux articles 123 (interdiction du financement des déficits par la Banque centrale européenne) et 126 (déficits excessifs) du Traité de Lisbonne, ou à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou au comité de Bâle qui en sont pourtant les causes réelles mais abstraites, et surtout lointaines — à défaut de quoi, comme on sait, la déflection du mécontentement peut élire n’importe quel fait comme cause prochaine (et dernière) : par exemple des Arabes vus à la télé… C’est lorsque ceux à qui il appartiendrait d’établir les connexions réelles des causes et des effets commencent à manquer à leurs devoirs, par la dénégation, ou pire encore par la diversion, que le débat politique prend un mauvais tour.

    • On ne reconnaît pourtant jamais si bien la surdité politique qu’à son empressement à certifier qu’elle a « bien entendu le message » et que « les Français ont envoyé un signal fort ». Il faut croire que la force adéquate du « signal », désormais, ne devrait pas viser en dessous du coup de fourche pour que « le message soit entendu » pour de bon. En attendant, de secousse en secousse, le FN fait sa pelote, et toujours pour les mêmes raisons, celles de la protestation antilibérale constamment réaffirmée, et du déni qui lui est constamment opposé. Il faut donc vraiment des œillères pour ne pas voir, ou ne pas vouloir voir, la régularité granitique qui conduit la vie électorale française : quand l’orthodoxie néolibérale pressure les salaires, dégrade les conditions de travail, précarise à mort ou jette au chômage, quand elle détruit les services publics, abandonne les territoires par restriction financière, menace la sécu et ampute les retraites, toute proposition de rupture reçoit l’assentiment, toute trahison grossit le ressentiment, tout abandon du terrain nourrit le Front national [2].