• L’anniversaire de la #loi_Veil, ou la commémoration d’une histoire sans lutte
    Elsa Desmoulins
    publié dans le n° 34-2 2015 de Nouvelles Questions Féministes

    Pendant quelques semaines de l’hiver dernier, les médias français ont célébré la loi sur l’avortement de janvier 1975, l’ont commentée, « analysée ». C’était son anniversaire. L’occasion d’affirmer une histoire officielle respectueuse du pouvoir et des institutions. L’occasion de bercer le corps social avec l’un de ces beaux récits tronqués (happy end inclus). Ce récit, nous l’avons lu, entendu, vu, et nous le reverrons dans dix ans : une femme contre des hommes, sur la scène de l’Assemblée nationale, les remarques sexistes, antisémites, les insultes, l’héroïsme d’une ministre, sa victoire pour les femmes. C’est romanesque, poignant, l’histoire est bien rôdée ; soufflons les bougies et au lit !

    Le courage de #Simone_Veil face à une assemblée phallocrate est indéniable, lorsqu’elle défend un texte reconnaissant le droit des femmes à décider seules d’une question qui les concerne. Mais une fois contées ces joutes parlementaires, qu’a-t-on dit de la bataille pour l’avortement ? Rien, sinon un énième épisode du supposé progrès infini de la libéralisation des mœurs. S’imagine-t-on sérieusement qu’une femme ait pu arracher ce droit à des parlementaires si peu soucieux de liberté quand il s’agit de celle des dominées ?

    À l’automne 1974, cela fait au moins quatre ans qu’une lutte pour l’avortement libre a débuté, portée par les #mouvements_féministes. Certes, quelques « commentateurs » n’oublient pas qu’en 1971, 343 femmes ont déclaré avoir avorté dans un manifeste, se mettant ainsi hors-la-loi ; mais l’aurait-on retenu sans la renommée de certaines des signataires, voire si l’on n’avait pas pu les appeler « salopes » à la suite de Charlie Hebdo demandant qui les avait « engrossées » ? On entend parler parfois de Gisèle Halimi et du procès de Bobigny en 1972. Tout cela est bien maigre au regard de ce qu’il s’est réellement passé. Sur qui s’est donc rabattu le couvercle de l’histoire officielle ?

    Niées, les millions de femmes qui n’ont pas attendu le vote des député·e·s pour avorter. Les femmes ont toujours avorté, répétons-le, et ont joué un rôle actif dans la transmission de ces savoirs « de bonnes femmes ». Maintenir cette possibilité, cette autonomie des corps dominés, fut et continue d’être une lutte. Qui célèbre cette histoire ?

    Oubliées, les milliers de femmes (et d’hommes) qui ont imposé sur la scène publique les questions d’avortement, de contraception et de sexualité. L’ANEA (Association nationale pour l’étude de l’avortement), le MLA (Mouvement pour la liberté de l’avortement), Choisir, le MLAC (Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception), le Planning familial, tout au plus réduits dans les discours légitimes à une bande d’anonymes braillant dans les rues.

    Méprisées, les vies des femmes sacrifiées au nom de l’ordre moral. C’est encore d’elles que l’on se moque en rabâchant les supposés objectifs de cette loi : jusqu’en novembre 1974, vous pouviez être une à dix par jour à mourir des suites d’avortement, à vous mutiler avec les tristement célèbres instruments du quotidien, on nous ferait presque croire que l’État salvateur ne vous avait pas remarquées. Après avoir mené une guerre aux femmes pendant tant d’années, après tant de victoires, l’État se préoccuperait bien un peu de votre santé… Les victimes de cette guerre – j’entends par là les 800 000 qui tentaient d’avorter chaque année – ne pourraient croire si facilement ce discours hypocrite ! Soyons claires : l’objectif de cette loi n’était pas celui de « santé publique », mais avant tout de casser les luttes sociales. En fait, cette loi qu’on dit « loi Veil » n’est autre que celle que le gouvernement a été obligé de voter.

    Effacées, les femmes envoyées publiquement en Hollande dans des cars ; effacés, les milliers d’avortements pratiqués au grand jour en France, à domicile. Médecins et non-médecins s’unissant dans cette détermination à réaliser les avortements, et dans un commun mépris du danger : avec sa police mise quotidiennement au défi de les arrêter, le gouvernement n’a cédé que parce que cela remettait en cause l’ordre public en général. Non sans leur faire, en chemin, des procès : Annie Ferrey-Martin (Grenoble, 1973) et les militantes d’Aix (1977) furent, parmi d’autres, les cibles de cette chasse aux sorcières. Quand on relate la crainte de Poniatowski de voir un avortement pratiqué sur le bureau de Simone Veil, on omet de dire que c’est de ces femmes qu’il a peur, c’est ce vaste mouvement qu’il entend désamorcer ! Que font d’autre ceux qui perpétuent une histoire sans lutte ?

    Honnie, cette lutte longue et héroïque, qui a mené tant de femmes, enseignantes et caissières, infirmières et étudiantes, ouvrières et journalistes, à s’approprier des gestes de soins, à manier la pompe à vélo inversée et la canule d’aspiration, à se saisir d’une pratique qu’on n’avait pas encore décrétée médicale, à propager ces connaissances. Il est des milliers de personnes qui pourraient être les icônes de cette lutte, qui se souviennent combien pratiquer collectivement un avortement avait une portée révolutionnaire.

    Éludées, les carences de la loi, les exclues qu’elle crée (les étrangères et les immigrées, les « hors-délai », les mineures, les pauvres…), les freins à l’application imposés par les soutiens du patriarcat, législateurs comme médecins. Effacées celles qui ont continué : à avorter d’autres femmes, à obliger les hôpitaux à ouvrir les services d’IVG, à surveiller la pratique de ces centres, en un mot à se soucier du traitement réservé aux femmes et à leur liberté décisionnelle.

    Ce récit figé efface des années d’un militantisme dur, et si joyeux. Il est un acte supplémentaire de sabotage des mouvements féministes ; face à une histoire lénifiante consacrant les figures d’État, ces militantes, ces « avorteuses », commettent la double faute d’être des gens ordinaires et des femmes.

    À défaut de clamer dans le détail une autre histoire de la libéralisation de l’avortement, retenons au moins que ces personnes n’ont pas – selon la très citée formule reichienne – mendié le juste « droit à l’avortement », mais l’ont pris ! Elles s’en sont emparées, ont elles-mêmes pris en charge la question, ont accompli les gestes. Alors, si nous fêtions plutôt l’inhabituel ? Bafouer ouvertement la loi au nom du respect de la vie des femmes, comme l’ont fait ces militantes de l’avortement, est une démarche trop précieuse à transmettre pour qu’on l’enfouisse sous une mémoire officielle.

    #Christine_Delphy
    https://christinedelphy.wordpress.com/2017/07/02/lanniversaire-de-la-loi-veil-ou-la-commemoration-dune-his

  • Simone Veil défile avec l’Église contre le mariage homo, un choix que je ne conçois pas - le Plus
    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/760488-simone-veil-defile-avec-l-eglise-contre-le-mariage-homo-un-

    Mais avant toute chose, il faudrait remettre un peu de vérité sur l’information selon laquelle Simone Veil n’aurait fait que saluer les manifestants, quand les images de BFM-TV la montre défilant avec un drapeau à la main…

    Alors bien évidemment, si le cabinet de l’ancienne ministre tenait à minimiser l’événement, c’est que les féministes et plus généralement les défenseurs des libertés qui avaient tant admiré Simone Veil ont de quoi être surpris.

    Résumons la situation. Simone Veil est venue manifester contre le mariage pour tous. On est en droit de se demander comment cette féministe qui avait affronté l’Église pour libérer la femme et lui rendre la propriété de son corps peut, quatre décennies plus tard, estimer que le combat pour l’égalité des droits que l’on refuse à des Français sur leur seule orientation sexuelle est néfaste.

    Mais plus intriguant encore, Simone Veil a-t-elle conscience que le défilé, fortement en grande partie à l’initiative de l’Église, est composé de ceux qui l’avaient insultée et trainée dans la boue en 1975 ?

    Madame Veil a-t-elle conscience que la manif pour tous est co-organisée par Alliance VITA, anciennement l’Alliance pour les droits de la Vie, l’association montée par Christine Boutin qui, chaque mois de janvier, organise également la « Marche pour la Vie » ?

    Il y a des pétitions pour la panthéonisation de Madame Veil. C’est bien amère de voire que cette femme assez peu féministe ou d’un féminisme vraiment blanc-bourgeois-libéral, e voire attribué les fruits des luttes du MLAC et du MLF. Comme pour la plus part des gens Simone Veil = légalisation IVG, la panthéonisation serait quant même symboliquement pas mal.
    #symbole #ivg #manif_pour_tous #homophobie #sexisme

    • La photo est dérangeante. Mais pas tellement parce qu’on la voit porter un drapeau Manif pour tous (même si évidemment, ça pique), mais à cause de ce que Liberation décrit :

      « Cette silhouette si fragile qui lui ressemblait si peu, là, debout, immobile, entraînée par son mari, le regard dévoré par la maladie. »

      Ce jour-là, Simone Veil a 84 ans. Elle est malade. Physiquement et mentalement diminuée. J’ignore comment elle s’est retrouvée là. Ce que je sais, c’est que son état de santé ne lui permettait pas d’être maitresse de ses décisions. Et que ce n’est pas la première fois que la Manif pour tous retient dans ses filets des personnes âgées et déboussolées. En 2014, la comédienne Lucienne Moreau s’éait fait piégée par Frigide Barjot en apparaissant à ses côtés alors « qu’elle n’avait pas compris de quoi il s’agissait ».

      Simone Veil a-t-elle pris publiquement posiition contre la mariage homosexuel et l’adoption pour les couples de même sexe ? Non, mais peu importe. RTL.fr décrira quand même « ses réserves sur le mariage pour tous » comme « l’un de ses derniers combats politiques » en citant son entourage (quel entourage ? Et l’entourage fait donc foi de l’engagement d’une personne ?).

      https://www.slate.fr/story/147900/simone-veil-charognards

      #charognage #féminisme_de_droite