Quelle n’a pas été ma stupeur en découvrant cette effarante tribune de mes amis José Bové et Daniel Cohn-Bendit dans Le Monde, qualifiant la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) d’« escroquerie », rien de moins ! Ils accusent les écologistes d’avoir vendu leur âme en signant un pacte faustien avec le diable Mélenchon.
Ces vieux routiers de la politique, qui se disent si attachés à la qualité du débat public, devraient savoir que la caricature portée à son incandescence ne fait que contribuer à attiser les haines sur lesquelles prospèrent les extrêmes. Selon eux, les écologistes seraient devenus les « complices » de Poutine, assis à la droite du « père Ubu du Kremlin », une bande de vendus qui « sacrifient le principe démocratique » et la liberté, qui « immolent » une « histoire collective » et une « espérance » pour « d’obscures tractations électorales ».
Comment le « héros » de 1968 et l’icône de la désobéissance civile ont-ils pu en arriver là ? Pourquoi le révolutionnaire des dernières décennies du XXe siècle et le farouche opposant au référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 sont-ils devenus « réactionnaires » en utilisant les mêmes mots que ceux qu’ils ont combattus si longtemps ? Je ne comprends plus.
« Eléphants » fatigués
Ils ont dissous la « radicalité » qu’ils incarnaient et dans laquelle nous avons été nombreux à nous reconnaître, dans un réformisme que le capitalisme s’est empressé d’annexer. En hurlant avec les louveteaux de la Macronie, les « éléphants » fatigués d’un PS old school, ils participent à un acharnement contre les politiques forcément radicales et à l’évidence nécessaires à la lutte contre les inégalités sociales et environnementales.
Vingt ans après le Forum social de Porto Alegre (2001), constater que Mélenchon et les siens reprennent le slogan « un autre monde est possible », qui était notre bannière commune, doit être difficile à accepter. Dix-huit ans après avoir poussé des milliers de militants à devenir des faucheurs volontaires d’OGM pour combattre la cartellisation de l’agriculture mondiale par les multinationales et défendre le vivant, il doit être insupportable de voir le concept de désobéissance réactivé par les signataires de la Nupes. Quand nous avons participé à ces actions, nous n’avions pas le sentiment de trahir notre idéal européen mais, au contraire, de conforter l’Etat de droit fixé par les traités pour mieux lutter contre la domination des multinationales.
Nos visionnaires du XXe siècle, deviendraient-ils aveugles ? En dénonçant l’extrémisme d’un accord qui répond à l’attente d’une immense majorité de la gauche et de l’écologie, ils n’ont « visiblement rien compris aux évolutions du capitalisme et aux défis sociaux et environnementaux auxquels nous faisons face depuis plusieurs décennies » , comme l’a écrit l’économiste Thomas Piketty dans une chronique au Monde. Ils n’ont pas entendu l’exigence d’une génération qui ne se contente plus des « petits pas », comme l’a décrite Nicolas Hulot, coauteur avec Muriel Douru de la bande dessinée Les petits pas ne suffisent pas ! (Rustica, 2021), mais qui attend de cette coalition qu’elle inverse les priorités auxquelles nous ont habitués les politiques du néolibéralisme et de la social-démocratie.