Internet russe, l’exception qui vient de loin, par Kevin Limonier (Le Monde diplomatique, août 2017)

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  • L’autarcie, l’indépendance — la ver.tu

    https://www.monde-diplomatique.fr/2017/08/LIMONIER/57798

    La Russie est en effet l’un des seuls pays à disposer d’un écosystème presque complet de plates-formes et de services indépendants de ceux de la Silicon Valley, fondés par des Russes et régis par le droit russe. Tandis qu’une part significative de la population mondiale utilise quotidiennement Google, Amazon, Facebook et Apple (GAFA), sans recours possible à des équivalents locaux crédibles, les Russes et leurs voisins ont le choix entre les géants californiens et ce qu’il est convenu d’appeler le Runet : le segment russophone du Net et les services qui le composent. Yandex jouit d’une popularité deux fois supérieure à celle de son concurrent Google, tandis que VKontakte, équivalent de Facebook, est, de très loin, le premier site consulté dans le pays.

    Largement utilisés dans l’espace postsoviétique, les services du Runet fournissent à la Russie un puissant levier d’influence sur l’« étranger proche », comme l’on nomme à Moscou les anciennes républiques d’URSS. Non seulement le Kremlin peut accéder aux données des utilisateurs de plates-formes progressivement tombées dans l’escarcelle d’oligarques proches du pouvoir, mais ces plates-formes jouissent aussi d’une audience importante auprès des minorités russophones de l’étranger — en particulier dans les pays baltes et en Ukraine.

    Comment expliquer cette exception numérique ? Alors que, en Chine, l’existence de plates-formes nationales doit beaucoup à une stratégie de contrôle de l’information, le Runet ne découle pas d’un blocage de services étrangers auxquels il se serait substitué par défaut. L’Internet russophone provient d’une histoire méconnue qui débute bien avant la fin de l’Union soviétique, en 1991. L’URSS fut en effet la matrice des structures techniques, des pratiques sociales et des modèles économiques qui fondent la spécificité du Runet contemporain et qui alimentent l’appétence russe pour le bidouillage informatique (hacking) et la cybercriminalité.

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