• Un livre pour dénoncer le manifeste de Breivik

    http://www.nrk.no/nyheter/kultur/litteratur/1.8141444

    Traduction : Philippe Rekacewicz

    Ce texte qui suit est une traduction "libre" des paragraphes les plus intéressant de l’article de la NRK, à laquelle j’ai ajouté quelques notes et commentaires.

    « Antidote ; réponse académique aux idées de la nouvelle extrême droite »

    « Il était grand temps que les chercheurs norvégiens commencent à s’attaquer aux idées exprimées dans le manifeste d’Anders Behring Breivik » écrit Knut Hoem, un des auteurs du livre.

    Parmi les autres auteurs : Thomas Hylland Eriksen, Berit Thorbjørnsrud et Øyvind Strømmen.

    Cette réticence à vouloir "dialoguer" avec le manifeste d’Anders Brevik Behring ("Manifeste 2083 : Une déclaration de l’indépendance européenne") est très compréhensible. Qui dans ce monde a envie de promouvoir les écrits d’un meurtrier aussi sordide ? En même temps, ce manifeste est aussi une expression de la manière dont l’extrême droite diffuse aujourd’hui son idéologie : elle a fait évoluer ses modes de communication. Les choses ont changé depuis qu’Arne Myrdal chassait les militants antiracistes à coups de bâton dans les années quatre-vingt...

    [Note : Arne Myrdal était une espèce bizarre de politicien local, originaire d’Øyestad, un petit village du sud de la Norvège situé près d’Arendal dans le district d’Aust-Agder. Il a été membre du parti travailliste dans les années 1960. Il a ensuite fondé le « Parti travailliste libre d’Øyestad ».Militant nationaliste, notoirement raciste et xénophobe, Il luttait très activement contre l’immigration. En 1987, il fonde le « Mouvement populaire contre l’immigration » (Folkebevegelsen mot innvandring en norvégien) au nom duquel il organise de nombreuses actions violentes contre les immigrés et ceux qui prenaient leur défénse. Il a même essayé de faire sauter un centre pour demandeur d’asile. Il crée enfin en 1991 le groupuscule « La Norvège contre l’immigration » (Norge mot innvandring en Norvégien. Mais il cesse ses actions à la fin des années 1990 et meurt en 2007 à l’âge de 72 ans]

    Un reportage de la NRK montre Arne Myrdal et ses nervis attaquer un bus de militants antiracistes à Fevik (près d’Arendal) dans les années 1990 :

    http://www.youtube.com/watch?v=_wNGO5rcL9o

    Antidote

    Le livre s’appelle « Antidote : la réponse académique à la nouvelle extrême droite » (Motgift : Akademisk respons på den nye høyreekstremismen en Norvégien)

    Si nous voulons vraiment comprendre comment Breivik en est arrivé à commettre ces atrocités, il est nécessaire de reprendre son « programme » - bien qu’il soit très confus - avec le plus grand sérieux (même si ce n’est pas plaisant).

    Ce nouveau livre est une réponse au texte Breivik. Il n’est pas une relecture du manifeste, mais essaye de montrer, d’expliquer les aberrations qu’il contient. Qu’est-ce que cela signifie pour Breivik d’appartenir à "l’école de pensée viennoise" ? Est-ce une école pour les apprentis ultra-nationalistes ? Il y a dans ce livre aussi une explication claire de la notion de "culture marxiste" si fréquemment utilisée ici et là dans le manifeste.

    "Antidote" contient plusieurs chapitres thématiques sur des thèmes que les auteurs "déconstruisent" (par rapport à ce qu’en dit Breivik bien sur) : On y trouve le contre jihadisme, la démographie, le féminisme, le service public et le multiculturalisme. Les auteurs explorent les idées du Manifeste, lesquelles idées ne résistent pas à l’analyse : elles se désintègrent assez vite.

    Chaque chapitre reprend les idées de Breivik lui-même ou ceux de ses mentors idéologiques comme par exemple le désormais célèbre Peder Are Nøstvold Jensen alias Fjordman [Il devrait témoigner lors du procès Breivik, nous reviendrons sur lui plus tard]. Dans le chapitre sur le multiculturalisme, Hege Storhaug, de l’organisation "Human right service" est largement contredit et décredibilisé quand il affirme que « la Norvège a toujours été une société relativement homogène » [Rien n’est plus faux, dans un pays d’une aussi grande diversité].

    Øystein Sørensen écrit que Breivik exprime, dans son vaste document, une idéologie rigide et très "étroite d’esprit". il conclut finalement que Breivik n’est pas un "fasciste classique" : Breivik s’intéresse très peu à la domination de l’Etat et à l’idée que la société est organisée en "corporations". Il n’est pas non plus Nazi - en ce sens qu’il exprime clairement sa sympathie avec Israël.

    Il cultive le mythe des croisés du moyen âge, il semble vouloir avoir la peau du matriarcat en réhabilitant les valeurs féminines [et il faut voir lesquelles...] et il veut créer une Europe "homogène, monoculturelle (l’objectif de Breivik est que ce soit fait avant 2083, d’où le titre du manifeste). Pour lui, l’islam est une menace pour la société occidentale, parce que les musulmans vont imposer la charia, dans laquelle les non-croyants ont des droits limités. Il dit avoir pris conscience, pendant les conflits en Ex-Yougoslavie (et particulièrement celle du Kosovo) qu’il y a une guerre éternelle entre les "guerriers saints" musulmans et les croisés chrétiens.

    Enfin, le livre tente de clarifier, expliquer les concepts connus : « Eurabia » ou « pro-islamisation », par exemple. Concepts fantasmagoriques qui ne résistent pas une seconde à l’épreuve des faits.

    Il y a toutes les raisons de se réjouir de ce travail académique collectif. Les idées et les sensibilités exprimées se chevauchent, se cognent les unes contre les autres. Les auteurs montrent ici qu’ils ne parlent pas d’une seule et même voix, ce qui donne au total un ouvrage très nuancé et très riche.