• Exportations d’armes : la France « oublie » les droits de l’homme

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/08/14/exportations-d-armes-la-france-oublie-les-droits-de-l-homme_5172118_3232.htm

    Dans une tribune au « Monde », deux spécialistes de l’armement, qui s’appuient sur le dernier rapport du Parlement, soulignent que Paris vend des armes à de nombreux Etats qui ne remplissent pas les critères que la France s’est engagée à respecter.

    Une étude du récent rapport sur les exportations d’armes françaises du Parlement de 2017 montre une consolidation significative du chiffre de ces ventes, avec 14 milliards d’euros. La France conserve ainsi sa deuxième place d’exportateur d’armes dans le monde pour l’année 2016, mais elle donne de moins en moins le sentiment d’inscrire sa politique de vente dans une vision stratégique de respect des droits de l’homme et donc de paix, de sécurité.

    En effet, les agréments de licences d’exportation à l’annexe 5 – document qui donne le ton de la politique du gouvernement français – mettent en lumière des autorisations de vente pour des destinations dont nous savons que ce matériel de guerre pourrait faciliter ou être utilisé pour une grave violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

    C’est par exemple encore le cas de l’Egypte, où la répression contre les opposants au régime est implacable, avec plusieurs dizaines de milliers de personnes emprisonnées et torturées. Malgré cela, le gouvernement français continue d’autoriser la vente, notamment, de véhicules blindés type Sherpa, susceptibles d’être utilisés pour transporter les opposants vers la prison, les interrogatoires, ou d’être l’instrument de leur disparition.

    Les sbires du colonel Kadhafi

    Pire encore, l’accord donné à la société Amesys pour exporter du matériel d’écoute et de contrôle des communications – qui n’apparaît pas dans ce rapport, car les exportations de biens à double usage (civil et militaire) ne sont pas publiées – comporte le risque d’une complicité du gouvernement français. En effet, c’est cette même société qui avait équipé les sbires du colonel Kadhafi pour l’aider dans la traque de ses adversaires, certains d’entre eux auraient été pris et torturés grâce à ce matériel.

    Mais la liste des destinataires douteux ne s’arrête malheureusement pas à l’Egypte : l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, le Qatar, la Turquie… Ces pays sont de gros importateurs d’armes françaises, dont des navires, des avions de combat, des bombes, des torpilles, des roquettes… qui servent peut-être au blocus du Yémen et qui alimentent une guerre où la situation des civils est catastrophique, avec plus de 14 millions de personnes dans le besoin d’une aide d’urgence humanitaire. Les nombreuses alertes des ONG ainsi que des missions d’experts des Nations unies sur les crimes de guerre, les graves violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire ne semblent pas avoir eu de prise sur les décisions du gouvernement précédent. Il doit en être autrement aujourd’hui.

    La régression dans le domaine de la transparence, l’absence de référence au traité sur le commerce des armes (TCA) des Nations unies dans le corps du texte du chapitre « Les principes de la politique française de contrôle » du rapport sont révélateurs d’un recul général dans le domaine du contrôle des exportations d’armes.

    La mention de la « position commune sur les exportations d’armes de l’Union européenne » – qui s’inscrit pourtant selon notre Constitution à un degré inférieur dans la hiérarchie des normes par rapport aux traités internationaux – se substitue dans l’esprit du ministère en lieu et place du TCA, surprenante interprétation… La France est partie au traité sur le commerce des armes, depuis que la loi n° 2013-1202 du 23 décembre 2013 en a autorisé la ratification. Les gouvernements français sont donc tenus d’en respecter les articles 6 et 7, dont les critères « droits de l’homme » et « droit international humanitaire ».

    Une politique hasardeuse

    Car tout cela induit une politique d’exportation d’armes hasardeuse au plan politique, en particulier concernant le respect des droits de l’homme, ainsi que la paix et la sécurité internationale, qui sont « interdépendants et se renforcent mutuellement ». En outre, cette politique ne fait qu’augmenter le risque d’actes de terrorisme pour les populations. Nous savons aussi que ce sont les conflits, la pauvreté, le désespoir et l’humiliation qui sont les moteurs les plus sûrs du recrutement pour des actes de terrorisme.

    Il est donc urgent de s’atteler à un aggiornamento sur ce que nous voulons de la France pour les trente années à venir, où les droits de l’homme pourraient constituer un des piliers du « fondement de la sécurité collective ».

    Pour cela, un débat est nécessaire au sein du Parlement, comme dans beaucoup de pays exportateurs importants d’armes classiques, afin de mettre en lumière les enjeux de ce commerce. Ce débat favoriserait une transparence qui permettrait à la communauté française et internationale ainsi qu’aux Etats de mieux comprendre la politique française dans le domaine sensible des ventes d’armes, car, au fond, la question importante est la suivante : les exportations d’armes françaises favorisent-elles le respect des droits de l’homme, la sécurité et la paix internationale, ou au contraire les mettent-elles en danger ?

    Jean-Claude Alt est médecin anesthésiste, membre d’Action sécurité éthique républicaines (ASER)

    Benoît Muracciole est expert en transferts et usage des armes et en droits de l’homme. Il est président d’ASER, auteur de Quelles frontières pour les armes, éditions A. Pédone, 2016.