• Alerte à la bulle sur les Bourses mondiales

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/08/22/alerte-a-la-bulle-sur-les-bourses-mondiales_5174948_3234.html

    Les marchés actions, particulièrement aux Etats-Unis, n’ont dépassé leur actuel niveau de valorisation qu’en 1929 et en 2000. Bientôt la correction ?

    Dans l’histoire des marchés financiers américains, les valorisations boursières n’ont dépassé leur niveau actuel qu’à deux reprises : en 1929, avant la Grande Dépression, et en 2000, quand la bulle Internet était gonflée à son maximum. Deux précédents qui ne sont assurément pas faits pour rassurer…

    « Ça devient problématique », estime Paul Jackson, directeur de la recherche à Invesco PowerShares, une société de gestion d’actifs. « Les valorisations sont vraiment très élevées », renchérit Nicolas Simar, responsable de la stratégie actions à NN Investment Partners, une société de gestion néerlandaise.

    L’inquiétude des investisseurs vient en particulier d’un ratio, couramment utilisé sur les marchés financiers : la valorisation boursière divisée par les bénéfices des entreprises, corrigé du cycle économique (appelé « ratio Shiller », du nom de l’économiste Robert Shiller qui l’a mis au point). C’est cet indicateur qui dépasse désormais la barre des 30 points, un niveau atteint seulement à deux reprises, donc, depuis 1881.

    En Europe du Nord, le pic boursier est moins prononcé, mais le ratio dépasse également sa moyenne historique. L’indice britannique phare, le FTSE 100, a atteint un plus haut historique en juin, de même que la Bourse de Francfort. Plus étonnant encore, les traders semblent dormir au volant : la volatilité est, elle, proche de son plus bas historique. Un marché trop haut, qui ne connaît pas de secousses : voilà qui ressemble sérieusement à une bulle.

    « Une période imprévisible »

    Et c’est à cette lumière que la légère correction en cours depuis deux semaines peut paraître inquiétante. A la Bourse de New York, le S&P 500, premier indice américain, a reculé de presque 2 %, entraînant des baisses similaires sur le Vieux Continent.

    Le soap opera de la Maison Blanche, passant de la surchauffe sur la Corée du Nord aux condamnations du bout des lèvres des manifestants néonazis, semble avoir (un peu) échaudé les marchés. Est-on en train de vivre un retournement de tendance ?

    « Les deux dernières semaines l’ont montré, on est parti pour une période imprévisible sur les marchés actions », estime Joshua Mahony, analyste à IG, une plateforme de courtage en ligne. « Il serait sain de voir une correction de 10 % ou 15 % aux Etats-Unis », poursuit M. Simar.

    « Un choc qui briserait la confiance des marchés, mettant fin à l’exubérance irrationnelle, pourrait provoquer une forte baisse [des Bourses] », estime dans une note Gabriel Sterne, de la société Oxford Economics. Parmi les déclencheurs potentiels du crash, il cite une grosse erreur économique de Donald Trump, une chute du marché chinois ou un ralentissement de la croissance mondiale… La moindre excuse pourrait percer la bulle.

    La faute aux banques centrales

    Pour l’instant pourtant, la plupart des analystes ne prédisent pas une violente baisse imminente. « Le problème est que les investisseurs n’ont pas d’alternative », explique Emad Mostaque, de Capricorn Capital, un hedge fund britannique.

    Pour lui, la bulle des Bourses mondiales vient… des banques centrales. Depuis la crise de 2008, celles-ci ont injecté d’énormes quantités de liquidité sur les marchés, et elles ont abaissé leurs taux d’intérêt à presque zéro.

    Si cette action est venue sauver une économie mondiale en perdition, elle a des conséquences perverses. Ainsi, depuis 2015, quand l’Etat allemand émet un emprunt sur cinq ans, il le fait avec un taux d’intérêt négatif (actuellement, – 0,28 %). Les investisseurs paient pour y souscrire !

    Pour un fonds de pension, ou un gérant d’actifs qui doit faire fructifier son portefeuille, le secteur obligataire est donc devenu un repoussoir. Plus question d’y mettre son argent. Les investisseurs n’ont guère d’autre choix que de se rabattre sur le marché actions, cherchant désespérément un bon rendement.

    Face à cette équation impossible, certains trouvent des solutions sophistiquées. M. Mostaque pense que les Bourses des marchés émergents sont une bonne alternative, citant notamment le Pakistan et l’Arabie saoudite. M. Simar, de NN Investment Partners, évoque pour sa part certains sous-secteurs européens (banques, télécommunications, services aux collectivités…) qu’il juge sous-évalués.

    Les regards se tournent vers Jackson Hole

    Mais dans l’ensemble, ces niches sont trop petites pour fournir des solutions de masse. L’énorme liquidité injectée par les institutions monétaires se retrouve donc sur les principales Bourses occidentales, gonflant un peu plus les valorisations.

    Dans ces conditions, l’un des éléments clés de l’évolution des Bourses sera l’attitude des banques centrales, qui cherchent actuellement à « normaliser » leur politique monétaire.

    La Réserve fédérale américaine a ainsi commencé à relever ses taux, mais elle marche sur des œufs, pour ne pas effrayer les marchés. En zone euro, où le cycle économique est moins avancé, la Banque centrale européenne n’a pas encore entamé ce mouvement à la hausse, mais le moment se rapproche. La grande réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole, dans le Wyoming, jeudi 24 août, sera observée de très près.

    Combien de temps la bulle boursière peut-elle durer ? Comme toujours, ce n’est pas parce que les investisseurs sont conscients de la surévaluation d’un marché qu’ils vont s’en retirer. S’ils pensent que leurs confrères vont continuer à y mettre de l’argent, ils feront de même.

    « Pendant la bulle Internet, les valorisations ont continué à monter pendant un ou deux ans », rappelle M. Jackson, de Invesco Powershares, qui conclut par une boutade : « La seule chose dont je sois sûr, c’est que chaque jour qui passe nous rapproche un peu plus de la prochaine récession. »