• L’effet dopant des APL sur les loyers contesté, par Isabelle Rey-Lefebvre
    http://lemonde.fr/logement/article/2017/09/09/l-effet-dopant-des-apl-sur-les-loyers-conteste_5183294_1653445.html

    Une note de travail d’un service ministériel remet en cause les arguments du gouvernement en faveur d’une baisse de l’aide au logement.

    Les aides au logement poussent-elles les loyers à la hausse ? C’est en tout cas l’un des arguments du gouvernement pour justifier leur baisse de 5 euros par mois, à partir d’octobre. Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, argumentait, le 25 juillet, à l’antenne de RTL : « Quand on met un euro de plus sur l’APL, ça fait 78 centimes de hausse des loyers », s’appuyant, sans la citer, sur une étude ancienne de l’Insee, datant de 2005, de l’économiste Gabrielle Fack, qui mesurait un impact entre 60 % et 80 %. Une autre étude de l’Insee, de Céline Grislain-Letrémy et Corentin Trevien, parue en novembre 2014, utilisant une méthode différente comparant les loyers aux franges des zones où le niveau des aides change, concluait, comme Gabrielle Fack, à un effet inflationniste, mais bien moindre : de 5 % à 7 % seulement.

    Une très récente note de travail du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), cellule de recherche du gouvernement entre autres dans le domaine du logement, remet ce lien sérieusement en cause. Le document n’a pas été publié, mais une version provisoire, que nous avons pu consulter, circule et fait beaucoup parler. « Les aides personnalisées au logement n’ont pas engendré de surinflation du loyer des logements de leurs bénéficiaires par rapport à celui de l’ensemble du parc locatif privé », y conclut l’auteur.

    La note constate certes que les loyers des 25 % des locataires les plus modestes du parc privé ont bien, entre 1973 et 2013, augmenté de 43 % de plus que la moyenne des loyers (voire 57 % pour le loyer au mètre carré), tandis que les allocations logement étaient, à la suite de la réforme de 1988, distribuées massivement, pour atteindre aujourd’hui 18 milliards d’euros (contre 4,4 milliards d’euros en 1984). Mais l’inflation des loyers résulte plutôt d’effets de structure, en particulier du meilleur confort des appartements et d’une durée d’occupation plus courte.

    Mieux logés

    Désormais, 100 % des logements de locataires modestes sont équipés d’une douche, d’un chauffage et d’un WC, alors que ce n’était le cas que de, respectivement, 25 %, 15 % et 37 % d’entre eux en 1973. Ainsi, les aides au logement, créées en 1977, ont surtout contribué à ce que ces ménages soient mieux logés. Les bénéficiaires de ces aides, qui sont plus jeunes que l’ensemble des locataires désormais, louent, en outre, des logements plus petits et urbains, deux caractéristiques qui poussent également les loyers à la hausse.

    Cette évolution est due au « rajeunissement des pauvres ou la paupérisation des jeunes », dit la note : en 1970, les locataires les plus modestes étaient, en effet, de dix ans plus âgés que la moyenne ; en 2013, c’est l’inverse, ils sont plus jeunes de cinq ans (39 ans au lieu de 44).

    Lire aussi : Au Royaume-Uni, une baisse inefficace de l’aide au logement

    « A l’heure où le gouvernement remet en cause l’aide personnalisée au logement et veut faire des économies, il est incompréhensible qu’il ne rende pas publique cette note du CGEDD, pour alimenter le débat », s’insurge Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre.

    La démonstration du CGEDD enlève au gouvernement un argument pour justifier la réduction du budget alloué aux aides au logement qu’il annonce, bien au-delà des 5 euros déjà programmés, puisque le secteur craint une coupe jusqu’à 2 milliards d’euros. Jacques Mézard a aussi annoncé, mercredi 6 septembre dans Le Figaro, que les aides au logement ne seront réduites qu’à la condition que les loyers baissent dans le parc social, ce qui achève d’irriter les organismes HLM réunis jeudi 7 septembre, en présence du ministre. « Il est un peu paradoxal de nous demander de baisser nos loyers alors qu’ils sont déjà réglementés, avec une augmentation très faible de 0,19 % au cours des trois derniers exercices, et que 55 % des aides vont au parc privé », a plaidé Alain Cacheux, président de la Fédération des offices publics de l’habitat.

    « Mauvaise foi insupportable »

    « Les allocations logement ont, d’ailleurs, progressé deux fois moins vite que les loyers, argumente l’économiste Pierre Madec, de 16 %, entre 2000 et 2010, quand les loyers grimpaient de 32 %. »

    La demande d’Emmanuel Macron aux bailleurs privés pour qu’ils baissent tous, volontairement, leurs loyers de 5 euros ne suscite, elle, qu’ironie et colère du côté des bailleurs : « Avec cette injonction aux bailleurs, on atteint un niveau de mauvaise foi insupportable, proteste Jean-François Buet, président de la Fnaim. Les locataires veulent mieux que la compassion distante et les propriétaires veulent autre chose qu’un doigt accusateur. »

    Les associations de locataires, ravies de l’aubaine, se précipitent, elles, pour rappeler les moyens efficaces à la portée du gouvernement pour alléger les quittances des locataires. La CLCV demande, par exemple, au président de la République « de geler les loyers en 2018, ce qui équivaut à renoncer à une hausse de 0,75 %, et d’appliquer l’encadrement des loyers dans les 28 agglomérations prévues par la loi ALUR, seule solution efficace pour préserver le pouvoir d’achat des ménages ».

    #APL #Logement