• « Le travail moderne, c’est un retour au tâcheronnage du XIXe siècle »

    Rencontre avec un collectif de livreurs à vélo en lutte

    Par Jef Klak

    Avec le concours de Jean-Baptiste Bernard

    http://jefklak.org/?p=4412

    Jérôme : L’outil numérique nous a été imposé comme outil de travail, et nous essayons de le retourner en arme. Comme à Marseille en mars dernier, face à Deliveroo : une quinzaine de livreurs ont décidé de réagir à une baisse marquée de la tarification de la livraison. Ils ont bloqué quatre restos marseillais, empêchant les autres livreurs de prendre livraison des commandes. Deliveroo a dû gérer le mécontentement des clients, puis les rembourser. Elle a aussi dû rembourser les restaurateurs, qui avaient préparé les repas. Un beau bordel !

    Quatre restos bloqués, ça n’a l’air de rien. Mais Marseille est une ville où le marché de la livraison est encore jeune : il n’y a que quarante restaurants partenaires. En bloquer 10 %, c’est déjà beaucoup. Surtout que le mouvement a pris : les livreurs débarquant devant les piquets se mettaient en grève à leur tour. Ça n’a évidemment pas plu à la plateforme, qui a « débranché » les contestataires dès le premier soir. Sans avoir les moyens de ses ambitions : les livreurs désactivés faisaient partie de ceux qui travaillaient le plus, si bien qu’elle a annulé leur déconnexion dès le lendemain. Le mouvement a continué, et Deliveroo a finalement craqué.

    Ce type de protestation se généralise, avec des grèves en Angleterre, des manifs en Allemagne, des blocages en Italie… À chaque fois, une soirée suffit à mettre une pagaille monstre. C’est révélateur de la fragilité de cette économie : quinze livreurs bloquent quatre restos, et boum ! l’appli est dans les choux.

  • Saint Louis Cemetery
    La rentrée policière aux USA et en France
    Par Ferdinand Cazalis / Klaktualités

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    Après les talents de la plume, les virtuoses du plomb. Maintenant que la rentrée littéraire a fait long feu, braquons les projecteurs sur une tout autre rentrée, policière celle-ci. À Saint-Louis (25 km de Ferguson – Missouri), l’officier Jason Stockley qui avait tué Anthony Lamar Smith en 2011 vient d’être relaxé par la Justice. Depuis, c’est l’émeute. À Atlanta (Géorgie), c’est Scout Schultz, président.e transgenre de l’organisation LGBT du campus de Georgia Tech qui s’est fait abattre par la police cette semaine. Depuis, c’est l’émeute. Et à Vigneux-sur-Seine (Essonne) le week-end dernier, un jeune homme a perdu un œil après un tir de la BAC. Depuis, c’est...

  • Dret a decidir La Catalogne sur le chemin de l’indépendance ?

    Par Ferdinand Cazalis

    Mariano Rajoy voit rouge. Et jaune. Et encore rouge. Et encore jaune… Hier, mercredi 20 septembre, le chef de l’État espagnol a pris la décision que la plupart des catalan.es ne pensaient pas possible la veille encore : employer la force militaire pour empêcher le référendum sur l’indépendance de la Catalogne prévu le 1er Octobre prochain. (Ce texte sera remis à jour dans les jours qui viennent)

    http://jefklak.org/?p=4321

    Pas mal de militant.es de gauche, dont les plus révolutionnaires, voient même dans cette possibilité d’indépendance une échappée pour non seulement faire vivre et perdurer langue et culture, mais aussi rompre avec un État central structurellement corrompu, coresponsable de la crise et des expulsions massives de logement après l’explosion de la bulle immobilière de 2008. Une manière en somme de renouer avec des idéaux libertaires cristallisés par la Guerre civile contre l’extrême droite catholique de Franco. Réponse du gouvernement central de droite (Partido popular – PP), soutenu par le PSOE (Parti socialiste espagnol aussi socialiste qu’en France) : mobiliser tous les corps et les esprits nécessaires pour empêcher le vote prévu.

    • Mise à jour 22 septembre 2017 à 17h.

      http://jefklak.org/?p=4321

      Jeudi 21 septembre au petit matin, les dockers de Barcelone se sont rassemblés en assemblée générale et ont voté le refus d’accorder les services portuaires aux « navires de la répression », comme ils les appellent. Deux bateaux de croisière barrent le port de Barcelone, dont l’un arborant les terrifiantes couleurs de Titi et Gros-Minet, et un autre est amarré à Tarragone, pour loger les renforts de police envoyés par Madrid – chacun ayant une capacité de 3000 personnes environ. « Nous sommes vigilants. Vous n’êtes pas les bienvenus », pouvait-on lire sur le fil Twitter de la CNT portuaire de Barcelone.

      Quatre organisations syndicales ont déposé un préavis de grève générale à la date la plus proche légalement, le 3 octobre – Confédération générale des travailleurs (CGT), Coordination ouvrière syndicale (CO), Intersyndicale alternative de Catalogne (IAC) et la Confédération syndicale catalane (CSC). Avec pour double objet : dénoncer la casse des droits des travailleurs par les dernières réformes du droit du travail, et les attaques contre les droits fondamentaux de l’État espagnol en Catalogne ces derniers jours.

      (...)

    • Et un ami photographe de Barcelone, entendant vers 19h les clameurs sous ses fenêtres me disait au téléphone : « Bon, ben là, je vais sortir, j’en ai marre de regarder tout ça sur Twitter. Ce n’est pas un délire d’indépendantistes, c’est une question toute simple de démocratie. Même ma mère, qui regardait tout ça de loin ces dernières semaines, est déjà en train de manifester ce soir. Pour elle, voir la Guardia civil intervenir de la sorte, ça fait remonter de très mauvais souvenirs de famille. C’est une image terrible que donne Rajoy, par rapport à un mouvement populaire qui ne demande qu’à pouvoir voter. Maintenant que les flics de Madrid quadrillent la ville, ils ne vont pas partir. Barcelone va être occupée comme ça jusqu’à la date prévue du référendum, qui n’aura donc peut-être pas lieu. Et alors ? On va être dans la rue, tous les soirs, on a l’habitude maintenant depuis 2011 ! Tout ça, c’est très bon pour nous : on ne demande qu’une chose, c’est plus de justice sociale, plus de liberté, et en face, ils nous envoient l’armée. Aucun.e catalan.e ne va prendre une Kalashnikov contre les flics de Rajoy, mais on va être beaucoup à affronter cette stratégie de la peur. »

  • « L’administration est dans ton corps »
    Validisme, fauteuils électriques et dignité. Entretien avec Zig Blanquer

    Par Joëlle Kehrli

    Zig Blanquer est le rédacteur de la chronique « Usure des mots » dans la revue Jef Klak . Le 19 septembre 2017, cet homme tétraplégique de 38 ans était au tribunal de Nantes. Il accuse un prestataire médical d’avoir mis cinq mois pour réparer son fauteuil électrique, l’immobilisant à son domicile durant toute cette période. Un enfermement non sans séquelles, dont ne se serait pas relevé Zig sans ressources militantes. À travers ce combat, c’est la lutte contre le « validisme » et le profit sans vergogne des entreprises qui est en jeu. Et pour la dignité de tou.te.s.

    http://jefklak.org/?p=4303

    En réalité, tu te rends compte que les décisions sont guidées par des médecins, dictées par les institutions financières, organisées par des services de prestataires médicaux ou d’aide à domicile – tout un ensemble sociétal valide qui a déjà décidé de quoi allait être faite ta journée, ta vie. Le validisme, c’est ça : comment, d’heure en heure, tu es dépossédé.e de tes choix, de tes volontés, de ton autonomie. Après, il y a la strate supérieure de la considération sociale : la façon dont, au guichet de la Poste, on ne t’adresse pas la parole, ou alors comme à quelqu’un qui viendrait de l’époque protozoaire – et ça continue comme ça, inlassablement. Il n’y a jamais (ou très rarement) de pause au validisme.

    Et, de façon inconsciente, ça fait une boule de discrimination, que tu avales au début parce que tu as l’impression que c’est normal, que c’est comme ça. Or toute vie mérite le respect des choix et la dignité. De nombreuses personnes me demandent comment j’en suis venu à une posture autonomiste… Probablement par quelque chose d’intersectionnel 6. Initialement, ma culture politique est queer, elle se situe plutôt du côté de tout ce qui est minorisation sexuelle, plutôt que par rapport au fait de pouvoir exister en tant qu’handi.e. Mais de fil en aiguille, j’ai constaté que le prisme de la discrimination que l’on applique aux minorités sexuelles convient parfaitement aux handicaps.

  • « On remet la photo choc à sa bonne place »
    Entretien avec Valentina Camu et Yann Levy, de la revue photographique États d’urgence

    Par Ferdinand Cazalis

    http://jefklak.org/?p=4242

    (via CQFD )

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    La nouvelle revue États d’urgence regroupe six professionnel.le.s de la « photographie sociale ». Tous les ans, 128 pages de regards au long cours sur nos urgences quotidiennes : casse sociale, crise migratoire, violence d’État, catastrophe écologique… Entretien à deux voix pour interroger le rôle de la photo dans les luttes : l’histoire est-elle soluble dans l’esthétique ?

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    Prendre une bonne « photographie sociale », comme vous dîtes, est-ce aussi prendre une belle photo ?

    Y. L. : Prenons un exemple : depuis un certain temps, les médias se focalisent sur l’esthétique de l’émeute, avec les affrontements de personnes habillées de noir et en cagoule. Et nous, en tant que photographes, on voit bien que photographier cela est plus vendeur. Mais on perd du même coup toutes les autres réalités qui font une manifestation. On se retrouve donc avec 50 photographes autour de 10 ou 15 personnes qui lancent un pauvre cocktail Molotov : l’info est réduite à cela. Et ils essaieront tous de vendre la même photo du CRS en flammes, car ils savent que c’est ce que veulent les rédactions en termes de « belle photo » : du spectaculaire et de l’effrayant. Alors qu’au même moment, il se passe plein de belles choses parmi les milliers de personnes présentes.