• CETA : un rapport critique qui arrive trop tard

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/09/14/ceta-un-rapport-critique-qui-arrive-trop-tard_5185534_3234.html

    L’accord commercial entre l’Europe et le Canada entre provisoirement en vigueur le 21 septembre.

    Une expertise bienvenue, mais trop tardive : c’est ainsi que le gouvernement a accueilli le rapport qui lui a été remis, vendredi 8 septembre, par la commission d’évaluation de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada (Comprehensive Economic and Trade Agreement ; CETA), présidée par Katheline Schubert, économiste de l’environnement et professeur d’université à l’Ecole d’économie de Paris. Lors d’une conférence de presse, mercredi 13 septembre, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, a annoncé que « l’entrée en vigueur provisoire [du CETA] se fera le 21 septembre ». M. Lemoyne et Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, s’exprimaient pour tirer les « enseignements » de ce rapport.

    Installé par Emmanuel Macron en juillet, conformément à son engagement de campagne, ce panel de neuf experts a dû travailler en urgence pour éplucher en moins de deux mois les milliers de pages de cet austère traité de libre-échange, accusé par de nombreuses organisations de la société civile de favoriser les intérêts des multinationales au détriment des citoyens et de la planète.

    « Manque d’ambition » sur le plan environnemental

    Ce rapport, qui a le mérite d’apporter une analyse dépassionnée, reprend la plupart des réticences déjà soulevées depuis des années par les ONG au cours de leur travail de fourmi pour l’analyse de ce texte aride, négocié dans le secret.

    Sans verser dans le catastrophisme, les neuf experts soulignent plusieurs des faiblesses du CETA, à commencer par son « manque d’ambition » sur le plan environnemental. Elaboré avant la COP21, cet accord ne contient, en effet, ni engagement contraignant en matière climatique ni disposition pour limiter le commerce des énergies fossiles. En outre, en renforçant les flux commerciaux, il devrait mécaniquement augmenter l’émission de gaz à effet de serre, faute de s’attaquer au transport de marchandises.

    Le rapport relaie également les inquiétudes des agriculteurs et ONG européens, qui redoutent que la libéralisation des échanges agricoles ne donne la primeur au moins-disant canadien en matière de normes sanitaires et environnementales, affaiblissant du même coup l’agriculture européenne. Il relève ainsi les « exigences moindres » du Canada sur les pesticides, les OGM ou encore les activateurs de croissance (hormones et antibiotiques). « Le risque est que le CETA ne fournisse pas des conditions favorables aux objectifs de la transition écologique de l’agriculture », met en garde la commission.

    Des incertitudes sur la capacité des Etats à réguler

    Plus généralement, ce traité pourrait-il entraver la capacité des Etats à réglementer dans le domaine de l’environnement et de la santé ? Ses détracteurs le craignent, en soulignant le peu de cas fait dans le CETA du principe de précaution. Les neuf experts s’abstiennent de trancher ce débat hautement sensible. Si « les dispositifs actuels liés à l’application (…) du principe de précaution ne sont pas remis en cause », « l’absence de citation explicite de ce terme dans le texte de l’accord crée (…) une incertitude sur l’éventualité de contestation par le Canada de dispositifs futurs ». Signe de la complexité et de l’imprévisibilité de ces accords commerciaux, dont les effets ne peuvent souvent être pleinement évalués que plusieurs années après leur entrée en vigueur.

    La même incertitude demeure autour du nouveau mécanisme d’arbitrage des différends, qui doit offrir aux entreprises un moyen de contester devant une juridiction spéciale certaines décisions des Etats préjudiciables à leurs intérêts. Permettra-t-il aux multinationales de remettre en question les décisions politiques favorables à l’environnement (comme l’arrêt du nucléaire), au droit social (augmentation du smic) ou à la santé (réglementation des perturbateurs endocriniens), sous le regard complice de juges-arbitres à l’impartialité contestée ?

    Si le rapport salue les améliorations apportées par le CETA au vieux modèle des tribunaux d’arbitrage, qui offrent d’importantes garanties contre les abus et les dérives, l’accord ne dissipe pas « toutes les incertitudes et ambiguïtés qui découlent des mécanismes de protection des investissements ». La commission met en garde contre une « application non maîtrisée » de ce mécanisme d’arbitrage, qui pourrait amputer le pouvoir normatif des gouvernements, mais juge les risques limités : « Il n’est pas question de voir dans ce traité un instrument qui (…) entraînera un recul des politiques environnementales et sanitaires en Europe ou au Canada. »

    Le gouvernement refuse le coup d’arrêt

    Les neuf experts recommandent toutefois l’introduction d’un « veto climatique », qui protégerait le Canada et les Etats de l’Union européenne contre tout contentieux lié à leurs mesures de lutte contre le changement climatique.

    Une proposition qui arrive un peu tard, puisque le CETA, dont la négociation s’est achevée début 2016, doit entrer en vigueur dans une semaine, et ce alors que les ONG et l’interprofession de la viande réclamaient un report de cette échéance, voire une réouverture des négociations.

    Tout en assurant prendre en compte les recommandations de la commission de Mme Schubert, le gouvernement français se contente pour l’instant de temporiser, en renvoyant à la fin octobre pour de nouvelles propositions. Parmi les pistes sur la table figure la négociation d’un deuxième accord Europe-Canada, qui serait axé sur les questions climatiques pour compenser les lacunes du CETA.

    Entrée en vigueur imminente du traité

    Ratifié début 2017 par le Parlement européen, le CETA devrait entrer en vigueur provisoirement le 21 septembre. L’immense majorité de ses dispositions pourront s’appliquer immédiatement en Europe et au Canada. L’accord commercial devra toutefois subir un véritable parcours du combattant pour parachever sa ratification. Pas moins de 38 parlements nationaux et régionaux seront appelés à donner leur feu vert. Et ce n’est qu’à l’issue de cette procédure que pourrait entrer en vigueur son chapitre le plus controversé : le mécanisme d’arbitrage entreprises-Etats.