Entretien avec Eduardo Viveiros de Castro « Les Indiens d’Amazonie vivent dans un monde qui leur a été volé »

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  • Entretien avec Eduardo Viveiros de Castro
    « Les Indiens d’Amazonie vivent dans un monde qui leur a été volé »

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    Encore peu traduit en français (Métaphysiques cannibales, PUF, 2009), le Brésilien Eduardo Viveiros de Castro, né en 1951 à Rio de Janeiro, est un anthropologue qui connaît bien les Indiens d’Amazonie et leurs combats. Il a totalement renouvelé l’étude des cosmologies amérindiennes, du chamanisme, du cannibalisme, notamment en empruntant la perspective des peuples qu’il a étudiés.

    Entretien à bâtons rompus, en mai 2014 lors d’un passage à Paris.

    « J’emploie le mot “Indien” au sens large, en y incluant les Maoris de Nouvelle-Zélande, les Aborigènes, les Inuits, les Samis de Norvège... : tous ces peuples qui ne s’identifient pas à des États nationaux, qu’on appelle “minorités indigènes” et qui vivent dans les marges de notre magnifique civilisation chrétienne pétrolière. L’ONU estime qu’ils seraient 370 millions, soit plus que la population nord-américaine. Ce ne sont donc pas des “minorités” au sens démographique, même s’ils sont éparpillés à travers le monde. (...) »

    #Brésil #Amazonie #anthropologie #résistance_indienne #entretien

    • Effectivement, Dilma a une haine des Indiens, ce qui n’est pas le cas de Lula, qui est un type plus malin. Elle vient du sud du Brésil et ne comprend ni l’Amazonie ni les Indiens. Ni d’ailleurs toutes ces populations qui ont refusé d’entrer dans le jeu capitaliste et qui sont dans la débrouille (paysans sans terre, Noirs des communautés rurales, dites « quilombo »...). Le PT et la gauche brésilienne en général ne pensent le pauvre que comme un ouvrier de la métallurgie lourde de São Paulo, défini par le travail et destiné à se transformer en ouvrier au sens américain : classe moyenne, voiture, TV...

      Rappelons que Dilma a été la ministre de l’Énergie du gouvernement Lula : elle envisage d’abord le monde sous l’angle des ressources, principalement énergétiques. Nous avons donc à la tête du Brésil une personnalité dont la caractéristique est d’être ingénieur, constructeur de barrages, d’usines électriques... Selon son dernier « Plan géostratégique », le Brésil envisage de construire soixante-six grands barrages à travers l’Amazonie. Sans compter les petits barrages qu’on construit partout...

    • Vous insistez souvent sur le fait que notre vision de l’Amazonie reste faussée. Pourquoi ?

      Notre imagination est toujours binaire : il y aurait d’un côté la #forêt vierge, sans habitants, et de l’autre, la civilisation, les villes, le béton, le plastique... En réalité, une bonne partie de cette forêt est d’origine humaine : elle a été créée par les #Indiens et leurs activités agricoles, de façon à la fois délibérée et spontanée. La plupart des essences de bois, de fruits, qui sont aujourd’hui utiles à l’économie brésilienne, ont proliféré grâce aux Indiens. En pratiquant une forme d’arboriculture, ceux-ci ont favorisé leur croissance, leur ont fait de l’espace, les ont replantées... Il n’est pas nécessaire de détruire la forêt pour y vivre, contrairement à ce que nous imaginons. Et l’Amazonie n’a jamais été un territoire « vide » démographiquement, elle a toujours été remplie d’habitants : les Indiens !

      Comment le Brésil voit-il l’Amazonie aujourd’hui ?

      Le Brésil applique sur son territoire tropical et boisé des techniques, des technologies, des produits d’origine européenne, qui n’ont absolument pas été conçus pour ce type de sol. Idem pour les populations qui s’y sont installées. Car qui colonise l’Amazonie ? Il s’est d’abord agi des nordestinos, ces paysans sans terre d’origine portugaise : ils y ont émigré, sous l’impulsion du gouvernement, à la suite de la grande sécheresse qui a frappé le nord du pays à la fin du XIXe siècle. Ils ont constitué la principale force de travail pour l’économie du caoutchouc et se sont peu à peu adaptés, pour devenir la principale couche de population non indigène de l’Amazonie. Ils font partie de ce qu’on appelle au Brésil les « peuples traditionnels », et vivent surtout d’une économie agricole, un peu aux marges de l’économie capitaliste.

      Mais depuis les années 1960 et 1970, la colonisation est le fait d’une autre couche de population, venue du sud du Brésil, d’origine allemande et italienne, et dont l’implantation a été subventionnée par la dictature militaire. Ces gauchos, qui étaient bien adaptés au climat du sud — subtropical, tempéré —, sont partis en Amazonie sans savoir ce qu’ils allaient y trouver. Ce sont eux qui ont transformé la région de la façon la plus radicale, en commençant par la savane préamazonienne, dans le Brésil central.