• (texte de l’article de Mediapart, en brut, sans les nombreux liens, par exemple - si des personnes savent comment faire simplement un copier-coller avec, je suis preneur)

      Les ordonnances affaiblissent les victimes de harcèlement
      28 sept. 2017 Par Louise Fessard

      Malgré les démentis du gouvernement, les ordonnances sur le travail risquent bien de léser les salariés, et notamment les femmes, victimes de harcèlement sexuel ou moral.

      Dans un avis publié en catimini le 22 septembre 2017 sur son site, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes montre que les craintes des organisations féministes (lire leur tribune sur Mediapart) sur l’impact des ordonnances pour les femmes sont justifiées. Cette instance consultative réunissant des représentants de l’administration, des employeurs, des salariés, ainsi que des experts se montre très critique envers la réforme du code du travail et pointe un impact « potentiellement défavorable » sur l’égalité professionnelle et sur l’emploi des femmes.

      Parmi ses membres, l’ensemble des organisations syndicales et sept des neuf personnes qualifiées ont rendu un avis défavorable (les organisations patronales et deux personnalités qualifiées émettant un avis favorable). Certaines mesures pourront « avoir un effet disproportionné sur les conditions de travail et les rémunérations des femmes, engendrant un risque de discrimination indirecte ». En effet, les femmes « occupent des emplois plus précaires et moins rémunérés » et elles sont « plus nombreuses dans les maillons faibles de la syndicalisation, notamment dans les PME et les secteurs d’activité à prédominance féminine, (…) comme l’aide à domicile ou le commerce ».

      Les femmes étant majoritaires parmi les salariés en contrat à durée déterminée (CDD), la multiplication et l’allongement des CDD (durée maximum de cinq ans, contre 18 mois actuellement), qui pourront être décidés dans chaque branche professionnelle après négociation entre représentants du patronat et syndicats, les « pénaliseront directement », souligne la CGT dans l’avis. « Permettre plus de flexibilité reviendrait alors à permettre plus d’inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes », renchérit FO.

      Le texte pointe par ailleurs une sérieuse faille en matière de lutte contre le harcèlement : contrairement aux promesses du gouvernement, le plafond d’indemnisation aux prud’hommes en cas de licenciement abusif pourra concerner les victimes de harcèlement moral ou sexuel, lorsqu’elles seront à l’initiative de la rupture de contrat.

      En cas de harcèlement sexuel ou moral sur son lieu de travail, un salarié ou une salariée peut décider de rompre unilatéralement son contrat de travail pour se protéger. Il lui suffit de prévenir son employeur par un courrier écrit listant les reproches faits. Cette « prise d’acte » entraîne la cessation immédiate du contrat de travail. S’il estime les griefs justifiés, le conseil de prud’hommes va dans un délai d’un mois requalifier cette prise d’acte comme un licenciement nul, car illégal. Dans le cas contraire, la prise d’acte aura les mêmes effets qu’une démission. « C’est une manière simple et rapide pour les victimes de se mettre à l’abri des violences sexuelles et de ne plus remettre les pieds sur leur lieu de travail, explique Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Nous l’utilisons dans un quart des quelque 170 dossiers de harcèlement sexuel dont est saisie l’association chaque année. » Pour les salariés ayant en parallèle déposé plainte au pénal pour harcèlement – la majorité –, cette prise d’acte permet également de bénéficier de l’assurance-chômage.
      « Nous ne plafonnerons pas les dommages et intérêts dans les cas de discrimination et de harcèlement, car il y a dans ce cas atteinte à l’intégrité de la personne », avait promis la ministre du travail, Muriel Pénicaud, en juin 2017 dans Les Échos. Si l’ordonnance publiée au Journal officiel le 23 septembre 2017 précise bien que le plafonnement des indemnités ne s’applique pas quand le licenciement du salarié est intervenu en violation d’une liberté fondamentale, à la suite de faits de harcèlement moral ou sexuel ou d’une discrimination, elle ne fait en revanche pas d’exception quand la rupture du contrat de travail est à l’initiative du salarié. « Lorsque la rupture du contrat de travail (…) fait suite à une demande du salarié (…), le montant de l’indemnité octroyée est déterminé selon les règles fixées à l’article L. 1235-3 », indique l’ordonnance.

      Ce dernier article renvoie au barème qui limite les dommages et intérêts à vingt mois de salaire pour les salariés les plus anciens (plus de 29 ans d’ancienneté), alors que, dans certains dossiers de harcèlement sexuel déjà jugés, « ces indemnités pouvaient s’élever à 27 mois de salaire pour des salariées ayant moins de 10 ans d’ancienneté », dit Marilyn Baldeck. Cette somme vise à indemniser les victimes à hauteur du préjudice subi, ainsi qu’à inciter les employeurs, en les frappant au portefeuille, à tout faire pour prévenir ces actes.

      Selon une étude du Défenseur des droits de 2015, une femme sur cinq déclare avoir été victime de harcèlement sexuel au travail dans sa vie professionnelle. Il s’agit majoritairement de « gestes, propos à connotation sexuelle répétés malgré son absence de consentement ». Et moins de deux employeurs sur dix ont mis en place des actions de prévention contre le harcèlement sexuel. « Les employeurs ne mettront jamais en place de plan de prévention des discriminations, si son défaut n’a pas un coût financier important », estime Marilyn Baldeck.

      Contacté, le cabinet de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, dément tout changement pour les salariés victimes de harcèlement moral ou sexuel. En cas de « prise d’acte », « si le ou la salarié-e invoque un cas de harcèlement sexuel et que le juge reconnaît que les faits sont fondés, le barème ne s’appliquera pas », assure la Direction générale du travail (DGT).

      Mais pourquoi ne pas avoir pris soin de préciser cette exception dans l’ordonnance ? s’interrogent les spécialistes du droit du travail que nous avons contactés. Cette faille avait pourtant été signalée dès le 5 septembre par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. « Ce n’est pas une coquille, cela fait trois semaines que nous le signalons au gouvernement et qu’il refuse de changer la rédaction », dit Sophie Binet, responsable de l’égalité femmes-hommes à la CGT.

      « Les ordonnances ont pris en compte certaines des remarques que nous avions faites sur l’égalité femmes-hommes, mais pas sur le harcèlement moral ou sexuel, confirme l’un des membres du Conseil, Michel Miné, professeur associé de droit du travail au Cnam. Dans sa rédaction actuelle, l’ordonnance dit clairement que quand il y a rupture du contrat à la suite d’une demande d’un salarié, le juge va attribuer une indemnité forfaitaire [plafonnée – ndlr]. »

      Ce plafonnement est interdit en cas de harcèlement sexuel par une directive européenne du 5 juillet 2006. « Le plafonnement des indemnités en cas de harcèlement ne tiendra pas devant le juge mais cela va générer une situation d’incertitude et un contentieux beaucoup plus complexe pour les salariés victimes », souligne Michel Miné.

      « Les avocats des employeurs vont se ruer sur cette ordonnance, on va être obligé d’invoquer le droit européen et partir dans des procédures de six à sept ans devant la chambre sociale de la Cour de cassation, dit l’avocate en droit social Maude Beckers, militante au Syndicat des avocats de France (SAF) et qui défend plusieurs des femmes suivies par l’AVFT. On peut être sûr que les femmes victimes, qui sont dans des situations urgentes, ne vont plus saisir les juridictions et que les employeurs ne seront pas punis ! »

      Patrice Adam, professeur de droit à l’université de Nancy et spécialiste de droit du travail, juge lui aussi la rédaction de l’ordonnance problématique. « Cela ouvre un front de contestation, les avocats patronaux vont s’engouffrer là-dedans, alors qu’on n’avait vraiment pas besoin de cela dans la lutte contre le harcèlement sexuel ou moral, regrette-t-il. Le temps que la Cour de cassation tranche et décide que le barème ne s’applique pas, cela va décourager des salariés. » Les procédures pour harcèlement sexuel, de la plainte au jugement, sont déjà un véritable parcours du combattant, et auraient donc gagné à être simplifiées plutôt que complexifiées...

      L’AVFT pointe également un retour en arrière concernant le rappel des salaires. Selon l’association, depuis la loi sur le travail El Khomri de 2016, lorsqu’un licenciement est jugé nul, notamment pour les salariées enceintes, les salariés protégés, en cas de discriminations, de harcèlement moral ou sexuel, l’employeur doit payer au salarié le montant des salaires qu’il aurait dû percevoir entre-temps s’il n’avait pas été licencié (lire l’article en question). « Vu les délais de procédure – parfois 18 mois avant le jugement des prud’hommes, c’était très dissuasif vis-à-vis des employeurs qui devaient payer 18 mois de salaire », souligne Maude Beckers.

      Mais l’ordonnance du 22 septembre 2017 spécifie que ce rappel des salaires n’aura lieu que pour les jeunes parents (femmes enceintes, retour de congé maternité ou paternité, etc.) et les salariés protégés (représentants du personnel, délégués syndicaux, etc.). Là encore, la Direction générale du travail (DGT) dément. Elle fait une interprétation diamétralement opposée de la loi sur le travail de 2016. Selon la DGT, cette dernière ne prévoyait « de paiement des salaires que pour maternité et salariés protégés » et ne concernait en rien les cas de discrimination et de harcèlement moral.

      « L’ordonnance ne change rien : les droits du rappel de salaire maternité et salariés protégés sont maintenus », indique la DGT. L’AVFT reconnaît que la loi « souffrait d’une rédaction quelque peu alambiquée, donnant du fil à retordre aux juristes » mais assure qu’elle commençait à en « sentir les effets bénéfiques en termes de rééquilibrage du rapport de force avec les employeurs défaillants ». « Nous avions réussi à obtenir à force de combats un droit protecteur pour les femmes victimes de harcèlement sexuel et là on recommence à zéro », s’alarme Maude Beckers.

      Le gouvernement peut encore modifier ces textes avant leur ratification par le Parlement. « S’il s’agit d’un moment d’inadvertance, nous espérons que ce sera rectifié dans les prochains jours », dit Marilyn Baldeck.