Les « faiseuses » d’agenda
Les militantes féministes et l’émergence des abus sexuels sur mineurs en Europe
▻https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-2-page-221.htm
Alors que les abus sexuels sur mineurs [1][1] On peut en donner la définition suivante : « Un abus... ont toujours existé, ils sont longtemps restés confinés au silence et à la sphère privée de ceux qui les vivaient et ce n’est que récemment, dans le courant des années 1980, qu’ils deviennent un problème public et politique majeur en Europe, suscitant des changements législatifs de grande ampleur. Or, de manière contre-intuitive, les acteurs qui se saisissent les premiers de ces questions à ce moment-là ne sont pas ceux auxquels on pourrait s’attendre spontanément. Il existe en effet une prédiction sociologique forte selon laquelle les organisations préexistantes travaillant sur un terrain particulier sont les plus à même de prendre en charge un problème émergent lié à ce domaine. Dans cette logique, on pouvait s’attendre à ce que les associations de protection de l’enfance soient les premières à se mobiliser autour des questions d’abus sexuels sur mineurs et ce, d’autant plus que nous avons à faire à un secteur déjà bien développé et institutionnalisé au sein des sociétés française, belge et anglaise, qui sont celles que nous avons étudiées. Or, le constat qui s’impose est tout autre : les premières réponses données au phénomène « violences sexuelles sur enfants » proviennent d’acteurs non issus directement du secteur de la protection de l’enfance. Ainsi, ce dernier se trouve davantage dans une position de réaction que d’anticipation du problème : s’il accompagne parfois le mouvement d’émergence, il n’en est jamais l’initiateur. Les principales associations de protection de l’enfance en Europe à ce moment-là se donnent en effet des missions très vastes, telles que la lutte contre la maltraitance infantile dans son ensemble et sous toutes ses formes, sans qu’aucune spécification n’en soit finalement donnée, ce qui constitue un obstacle à la prise de conscience des seules violences sexuelles. L’agenda de ces associations est dominé d’ailleurs essentiellement par la maltraitance physique.